Étymologie :
Étymol. et Hist. 1. Fin xve s. géom. en quarré « qui forme un quadrilatère qui a ses côtés égaux et ses angles droits » (Commynes, Mém., éd. J. Calmette, Paris, 1924-25, t. 2, p. 323) ; 1538 quarré (Est.) ; 2. objet de forme carrée a) 1548 jard. (Eutrapel, XXXV ds Gdf. Compl. : Le carré des allees) ; 1694 un quarré de tulipes (Ac.) ; b) 1679 bouch. quarré de mouton (Rich.) ; 1863 cuis. carré de lard (Littré) [1393 du lart decoppé comme par morceaulx quarrés, Ménagier, Sté Bibliophiles fr., II, 150] ; cf. 1873 des carrés de gras-double (Zola, Le Ventre de Paris, II, p. 38) ; c) 1707 anat. « muscle de forme carrée » (Dionis [Anat., Operat. de Chirurgie] ds Trév. 1732) ; d) 1808 arg. « palier d'étage » (argot de Saint-Cyr ds Esn.) cf. 1828-29 (F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, t. 3, p. 107) ; e) 1823 milit. « troupe disposée pour faire face des 4 côtés » (Hugo, Han d'Islande, p. 525 : un carré de soldats) cf. 1838 les carrés de la garde impériale (Chateaubriand, Congrès de Vérone, t. 1, p. 200) [1694 Bataillon quarré, un Bataillon qui a le nombre des hommes de la file égal au nombre des hommes du rang, Corneille] ; f) 1845 mar. « chambre d'un navire servant de salon ou de salle à manger aux officiers » (Besch.) ; g) 1962 carré de l'Est « sorte de fromage » (Ac. Gastr.) ; h) 1832 un carré de velours (G. Sand, Valentine, p. 62) ; 3. a) 1694 arithm. « produit d'un nombre par lui-même » (Corneille : quarré du premier nombre) ; b) 1873 arg. « élève qui est en 2eannée de préparation à une grande école » (ds Esn. sans ex.) ; cf. 1878 (L. Rigaud, Dict. du jargon parisien, p. 323) ; c) 1929 jeux « ensemble de quatre éléments semblables » (Lar. 20e) [1690 Fur. : quarré (...) au Piquet, c'est quand on marque 66 avec des jettons ensorte que cela fasse un quarré]. Du lat. quadratum « un carré » (Cic., I Tusc., 24 [57] ds Forc., s.v. quadro).
Lire également la définition du substantif carré afin d'amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
Dans "La Tétraktys et le carré de quatre" (publié dans les Études Traditionnelles, avril 1937) René Guénon établit le lien entre les nombres 10 et 4 :
Nous avons été amené, à plusieurs reprises au cours de nos études, à faire allusion à la Tétraktys pythagoricienne, et nous en avons indiqué alors la formule numérique : 1 + 2 + 3 + 4 = 10, montrant la relation qui unit directement le dénaire au quaternaire. On sait d’ailleurs l’importance toute particulière qu’y attachaient les Pythagoriciens, et qui se traduisait notamment par le fait qu’ils prêtaient serment « par la sainte Tétraktys » ; on a peut-être moins remarqué qu’ils avaient aussi une autre formule de serment, qui était « par le carré de quatre » ; et il y a entre les deux un rapport évident, car le nombre quatre est, pourrait-on dire, leur base commune. On pourrait déduire de là, entre autres conséquences, que la doctrine pythagoricienne devait se présenter avec un caractère plus « cosmologique » que purement métaphysique, ce qui n’est d’ailleurs pas un cas exceptionnel quand on a affaire aux traditions occidentales, puisque nous avons eu déjà l’occasion de faire une remarque analogue en ce qui concerne l’hermétisme. La raison de cette déduction, qui peut sembler étrange à première vue pour qui n’est pas habitué à l’usage du symbolisme numérique, est que le quaternaire est partout et toujours considéré comme étant proprement le nombre de la manifestation universelle ; il marque donc, à cet égard, le point de départ même de la « cosmologie », tandis que les nombres qui le précèdent, c’est à-dire l’unité, le binaire et le ternaire, se rapportent strictement à l’« ontologie » ; la mise en évidence plus particulière du quaternaire correspond donc bien par là à celle du point de vue « cosmologique » lui-même.
Au début des Rasâïl Ikhwân Eç-Çafâ, les quatre termes du quaternaire fondamental sont énumérés ainsi : 1° le Principe, qui est désigné comme El-Bârî, le « Créateur » (ce qui indique qu’il ne s’agit pas du Principe suprême, mais seulement de l’Être, en tant que principe premier de la manifestation, qui d’ailleurs est bien en effet l’Unité métaphysique) ; 2° l’Esprit universel ; 3° l’Âme universelle ; 4° la Hylè primordiale. Nous ne développerons pas actuellement les différents points de vue auxquels ces termes pourraient être envisagés ; on pourrait notamment les faire correspondre respectivement aux quatre « mondes » de la Kabbale hébraïque, qui ont aussi leur exact équivalent dans l’ésotérisme islamique. Ce qui importe pour le moment, c’est que le quaternaire ainsi constitué est regardé comme présupposé par la manifestation, en ce sens que la présence de tous ses termes est nécessaire au développement complet des possibilités que comporte celle-ci ; et, est-il ajouté, c’est pourquoi, dans l’ordre des choses manifestées, on retrouve toujours spécialement la marque (on pourrait dire en quelque sorte la « signature ») du quaternaire : de là, par exemple, les quatre éléments (l’Éther n’étant pas compté ici, car il ne s’agit que des éléments « différenciés »), les quatre points cardinaux (ou les quatre régions de l’espace qui y correspondent, avec les quatre « piliers » du monde), les quatre phases en lesquelles tout cycle se divise naturellement (les âges de la vie humaine, les saisons dans le cycle annuel, les phases lunaires dans le cycle mensuel, etc.), et ainsi de suite ; on pourrait établir ainsi une multitude indéfinie d’applications du quaternaire, toutes reliées entre elles, d’ailleurs, par des correspondances analogiques rigoureuses, car elles ne sont, au fond, qu’autant d’aspects plus ou moins spéciaux d’un même « schéma » général de la manifestation.
Ce « schéma », sous sa forme géométrique, est un des symboles les plus répandus, un de ceux qui sont véritablement communs à toutes les traditions : c’est le cercle divisé en quatre parties égales par une croix formée de deux diamètres rectangulaires, et l’on peut remarquer tout de suite que cette figure exprime précisément la relation du quaternaire et du dénaire, comme l’exprime, sous la forme numérique, la formule que nous rappelions au début. En effet, le quaternaire est représenté géométriquement par le carré, si on l’envisage sous l’aspect « statique », mais, sous l’aspect « dynamique » comme c’est le cas ici, il l’est par la croix ; celleci, lorsqu’elle tourne autour de son centre, engendre la circonférence, qui, avec le centre, représente le dénaire, lequel est, comme nous l’avons dit précédemment, le cycle numérique complet. C’est là ce qu’on appelle la « circulature du quadrant », représentation géométrique de ce qu’exprime arithmétiquement la formule 1 + 2 + 3 + 4 = 10 ; inversement, le problème hermétique de la « quadrature du cercle » (expression si mal comprise d’ordinaire) n’est pas autre chose que ce que représente la division quaternaire du cercle supposé donné tout d’abord, par deux diamètres rectangulaires et il s’exprimera numériquement par la même formule, mais écrite en sens inverse : 10 = 1 + 2 + 3 + 4, pour montrer que tout le développement de la manifestation est ainsi ramené au quaternaire fondamental.
[...] . En continuant la série, on a, pour le quatrième nombre triangulaire, 1 + 2 + 3 + 4 = 10, c’est-à-dire la Tétraktys ; et l’on voit par là, comme nous l’avons déjà expliqué, que le quaternaire contient d’une certaine façon tous les nombres, puisqu’il contient le dénaire, d’où la formule du Tao-te-King que nous avons citée précédemment : « un a produit deux, deux a produit trois, trois a produit tous les nombres », ce qui revient encore à dire que toute la manifestation est comme enveloppée dans le quaternaire, ou, inversement, que celui-ci constitue la base complète de son développement intégral. [...]
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Raymond Christinger, auteur d'un article intitulé "Notions préliminaires d'une géographie mythique". (In : Le Globe. Revue genevoise de géographie, tome 105, 1965. pp. 119-159) explique le lien entre le carré et le symbolisme de la Terre :
Bien que, pour les Indous, la terra soit ronde et que l'un des autels védiques, le Gârhapatya, soit circulaire à son image, le carré domine cependant dans les traditions védiques, car le monde céleste est carré 3. Les quatre points cardinaux ayant « fixé » la terre qui était autrefois mobile — comme certaines îles des mythologios grecque et chinoise par exemple — les Indous en arrivèrent à parler d'une terre à quatre angles. Si la terre est en réalité circulaire (et non sphérique), elle est néanmoins considérée comme carrée dans ses relations avec le ciel qui la borne aux quatre points cardinaux. Ce qu'il importe de retenir c'est que le Vastupurusa-mandala est considéré comme la demeure dos dieux védiques et qu'il symbolise l'ordre cosmique sur terre. Cette présence de l'ordre cosmique sur terre est le résultat de la chute d'un Asura (Titan). Lorsque cet Asura à tête de chèvre s'écrasa sur terre, face contre le sol, il fit acte de soumission à Siva et demanda comme faveur, qui lui fut accordée, de devenir la résidence des dieux sur terre.
Le « Tableau du fleuve » chinois qui est probablement un symbole définissant le monde, a également une origine surnaturelle. Yu le Grand, organisateur du monde, arpenteur et géographe, l'aurait reçu du dieu du Fleuve jaune, mi-homme, mi-poisson, ou d'un cheval-dragon. Cette carte semble être un diagramme carré numérique, symbolisant la terre; car « c'est au moyen de nombres qu'il convient de figurer les secteurs logiques, les catégories concrètes qui figurent l'Univers ».
Ce souci, que l'on constate en Chine comme en Inde, d'imaginer l'Univers de façon symbolique, afin de mieux mesurer la taille de l'homme et de le situer dans l'Univers, a été partagé par les Romains.
A la chute de Vastupurusa sur terre correspond, à Rome, la projection sur terre du templum, c'est-à-dire de la portion du ciel observé par l'augure. Varron nous renseigne avec précision en relevant que templum a trois acceptions différentes, soit par rapport à la nature dans le ciel, soit par rapport aux auspices sur terre, soit par analogie sous terre. Templum dérive de tueri (voir, contempler) et désigne l'espace que la vue peut embrasser. C'est pourquoi le ciel a été appelé temple. Quant au temple terrestre, c'était primitivement l'espace désigné pour l'observation du vol augural des oiseaux. Varron rattache également le monde, mundus, au temps et à l'espace, en affirmant que « le temps est la durée du mouvement du monde ». Comme le mouvement des astres, qui a principalement servi à déterminer la division du temps, s'opère dans toute l'étendue du ciel, le mouvement (motus) a engendré le monde (mundus). Or le mundus a désigné, dans les cités italiques, une fosse pratiquée dans le sol de la future ville. Les éléments architecturaux du mundus correspondent exactement aux acceptions du mot templum rapportées par Varron. La fosse, en forme de ruche, est en effet fermée par une pierre carrée (le templum sur terre) munie d'un orifice rond. Autour de cet orifice on a creusé un sillon circulaire qui reproduit la voûte céleste. On retrouve donc les trois éléments : souterrain, terrestre, céleste.
Nicole Brocard rend compte de l'ouvrage intitulé Flore et jardins, usages, savoirs et représentations du monde végétal au Moyen Âge, Études réunies par Pierre-Gilles Girault, coll. Le Léopard d'Or dirigée par Michel Pastoureau, Paris, 1997.. (In : Bulletin Monumental, tome 156, n°3, année 1998. pp. 326-330) :
La synthèse Jardins clos des initiés, le symbolisme du carré en Orient et en Occident de Brigitte Stevenard (page 253 à 280) expose, ainsi qu'il est apparu tout au long des articles précédents, comment le jardin clos du XIIe siècle prend ses racines en Orient. Au pied du Temple de la Jérusalem céleste au plan carré, jaillit une source donnant naissance à un torrent bordé d'arbres fruitiers. L'Inde ancienne reprend le même modèle : Viçvakarman, le dieu constructeur du monde, a mesuré la terre et tracé le carré de son équerre. Là, l'homme évolue en quête de connaissance, comme l'indique symboliquement ce diagramme carré inscrit dans un cercle qu'est le mandala. Une pénétration vers le centre s'y fait justement en franchissant des carrés concentriques. Les temples khmers expriment la même symbolique. D'une manière identique, le jardin se présente comme un espace clos, quadrangulaire, ceint de haies ou palissades, subdivisé en carrés. Il est la figure du jardin des bienheureux, endroit de ressourcement, servant dans les romans courtois d'idéal à la quête chevaleresque. Jardin secret, jardin des initiés, jardin d'alchimiste, il conduit à la sagesse un petit nombre d'initiés à travers le dédale de ses labyrinthes. Il illustre la pérégrination de l'homme vers un centre, vers l'Eden.
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Littérature :
Sur le site pédagogique de l'Académie de Nice, on trouve le document suivant à propos des poèmes carrés :
Le site de l'Oulipo complète cette présentation :
Poème carré ou carré lescurien : Le carré lescurien utilise quatre mots permutant entre eux. « Rien n’est plus facile que d’interchanger les beaux adjectifs. Rien n’est plus beau que d’interchanger les faciles adjectifs. Avec les substantifs déjà la difficulté se fait plus étrange. Avec la difficulté déjà le substantif se fait plus étrange ». Ces phrases de Jean Lescure définissent la permutation en la pratiquant.
Les permutations se font entre deux mots appartenant aux mêmes catégories du discours. Elles peuvent se faire suivant diverses modalités : - permutations plates : le premier substantif, par exemple, d’une phrase permute avec le second, le troisième avec le quatrième etc. – permutations alternées : le premier avec le troisième, le second avec le quatrième etc. ; - permutations embrassées : le premier avec le quatrième, le second avec le troisième.
Exemple d’après Racine :
« Tandis que le sommeil réparant la nature
Tient enchaînés le travail et le bruit
Nous rompons ses liens, ô clarté toujours pure,
Pour te louer dans la profonde nuit »
(permutation embrassée)
Tandis que le bruit réparant le travail
Tient enchaînés la nature et le sommeil,
Nous rompons sa nuit, ô clarté toujours pure
Pour te louer dans les profonds liens
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