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Le Silure




Étymologie :


  • SILURE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1558 (L. Joubert, Hist. des poiss. de Rondelet, II, 133 ds Gdf. Compl.). Empr. au lat. silurus, lui-même empr. au gr. σ ι ́ λ ο υ ρ ο ς « grand poisson de rivière ».


Lire également la définition du nom silure afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Poisson-chat ;




Zoologie :


Didier Paugy, Christian Levêque, Isabelle Mouas, auteurs de Poissons d'Afrique et peuples de l'eau (IRD Éditions, 2011) décrivent la grande famille des Silures :


Les Siluriformes ou « poissons-chats », constituent un groupe très diversifié d'environ 2 900 espèces que l'on rencontre sur tous les continents. Toutes les espèces ont le corps nu, sans écailles, et possèdent généralement au bout du museau quatre paires de barbillons parfois très développés, ce qui leur confère leur nom car ils rappellent les longues moustaches des félins. La plupart des espèces possèdent de fortes épines aux nageoires pectorales et à la nageoire dorsale dont il faut se méfier lorsqu'on les manipule. Bien que ce ne soit pas une règle absolue, les silures vivent généralement sur le fond, et leurs barbillons leur servent d'organes tactiles pour s'orienter et repérer leur nourriture. On peut aisément observer, à travers la vitre d'un aquarium, la faon dont certaines espèces (Synodontis, silures de verre...) se servent de leurs barbillons. La plupart des espèces fréquentent les eaux douces ou saumâtres, mais quelques familles, comme les Ariidae, sont presque exclusivement marines. Plusieurs espèces de silures africains sont vénérées par les populations locales. Cette sacralisation est peut-être liée à l'absence d'écailles qui les différencie de toutes les autres espèces.

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Symbolisme :


Gilles Armani, auteur d'un article intitulé "« Les dents de la Saône » : le silure en question." (In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, n°1-3/1999. Le Rhône. Un fleuve et des hommes. pp. 127-140) nous en dit davantage sur les habitants de nos rivières :


Les dents de la Saône
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Dans un article intitulé "La préservation de la biodiversité : les réponses de la tradition religieuse africaine" (In : Journal of the Pan African Anthropological Association, Number 2 , Volume VIII, Octobre 2001, pp. 178-199), Gadou DAKOURI M. explique la vision du monde qui prévaut en Afrique noire :


Aussi, dans la nature, certains espaces (forêts, rochers, montagnes) et certaines espèces végétales sont-elles considérées comme domicile de dieux qui sont de véritables sanctuaires dont la fonction principale est de permettre aux humains d'entrer en communication avec le sacré princeps : Dieu. Ces espaces et espèces sacrés sont inviolables, ils sont interdits à toute personne n'appartenant pas à la confrérie des initiés : adorateurs, gardiens de la tradition, initiateurs, porteurs de masques. De même, ils sont interdits à la hache ou à la machette des défricheurs. Non seulement, on ne doit jamais travailler ces endroits, mais aussi, on ne doit jamais non plus couper du bois aux alentours, ni pêcher dans les rivières qui les traversent, ni toucher certains arbres, ni également y chasser du gibier, car certains animaux et certaines espèces végétales y sont sacrés. Comme par exemple, les silures sacrés de Sapia ; les caïmans sacrés de Gbanhui, les singes sacrés de Soko chez les Koulango et Abron de Côte d'Ivoire dans la région de Bondoukou. "Il est formellement interdit, écrit Jonas Ibo, de pêcher du poisson dans la rivière sransi qui abrite les silures sacrés ; [...]"

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Alain Anselin, auteur de "Aegyptio-Graphica II. Le Scorpion, ses hiéroglyphes et ses mots." (in : Revista de la Sociedad Uruguaya de Egiptologia, 2006, no 26, pp. 1-6) fait un lien entre silure et scorpion :


[...] Au delà des ressemblances imputables à l’identité du référent tant en Asie qu’en Egypte, le sémogramme du scorpion reçoit une place différente dans l’agencement écologique de chacune des deux cultures. Atlante de la voûte céleste ici, divinité chtonienne et/ou figure royale là, d’une part. Place dans le bestiaire, d’autre part. En effet, un trait remarquable de la figure du scorpion dans la culture égyptienne est que cet arachnide entre dans la même catégorie que les siluridae dans le bestiaire du pouvoir. Silures et scorpions portent les mêmes noms : [...] , synodonte et [...], scorpion (Wb I 351,1- 8), [...] est le scorpion (Wb IV 204,1-3), et les clarias anguillaris, « les poissons [...] sont les suivants et les protecteurs du soleil défunt, c’est à dire du roi » (J-C. Goyon, 1985, I, 272). Bref, le scorpion est un silure de terre, le silure un scorpion d’eau que rapprochent leur agressivité et les décharges brûlantes, perçantes qu’ils administrent. L’hétérobranchus longifilis, le silure n'r, entre dans le basilonyme de Narmer (I. Gamer Wallert, 1970, 24, 111 ; A. Anselin, 1998, 5-58) - une proximité analogique qui éclaire en retour celle de Scorpion II et de Narmer, selon une manière ancienne et active de penser et de catégoriser le monde. Dans tous les cas de figure, les deux basilonymes du Scorpion et du Silure émargent au bestiaire solaire de la culture égyptienne – on observera que le scorpion est aussi associé à une autre figure du bestiaire solaire, la girafe sur les Vases Decorated du Nagada II D. De ce point de vue, Scorpion II et Narmer sont caractérisés soit par une identité, soit par une continuité étroite de leur emploi métaphorique. Soit ils se confondent dans une figure unique sous des dénominations équivalentes, soit le second continue le premier au plus près de ses attributs.

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Selon Luc de Heusch, auteur de "Considérations sur le symbolisme des religions bantoues." (in : L’Homme. Revue française d’anthropologie, 2007, no 184, pp. 167-189) :


[...] Voilà donc le banzi engagé dans la voie de la guérison, dans la voie qui mènera certains de ses congénères à être des devins et guérisseurs accomplis. Le second degré initiatique dans le bwete misoko est l’acquisition du titre de nganga-a misoko. Il a lieu après l’accomplissement de deux rites qui ont visiblement pour but de préparer à cet état. Il en est ainsi du rite edika qui « est conçu comme l’acquisition d’un véritable auxiliaire spirituel qui alerte son propriétaire en cas d’agressions sorcières ». [...]

Le second rite est encore plus éloquent. Il met en jeu le silure motoba. Le banzi s’y soumet après la confection du paquet ficelé qui fait appel au python. Le candidat avale divers ingrédients « pour qu’il [le poisson] glisse bien dans la gorge du banzi et circule bien dans son organisme afin de lui envoyer des signaux corporels ». Le silure, qu’il absorbe tout vivant, véhicule en effet la parole divinatoire.

Avec l’intervention du python et du silure, le banzi est devenu un nganga.

[...] Ce serait faire fausse route que d’identifier purement et simplement ces nganga et madundi, qui dansent ainsi parés lors des veillées, à des esprits ancestraux et de considérer leur danse comme une forme de possession. Après les différentes étapes de l’initiation, les nganga se manifestent en tant que chamans anti-sorciers lucides. Les ancêtres bienfaisants réveillent en eux, même s’ils ne sont pas en transe, la parole divinatoire que le génie silure leur a donnée pour que leur personnalité transformée soit capable de combattre la sorcellerie. Ces acteurs participent d’ailleurs à la musique, si l’on croit cette indication relative aux mabandi, qui accompagnent les nganga : elles brandissent un hochet pendant la danse. Les nganga et leurs compagnes sont donc bien des chamans musiquants. Le lendemain matin ils officieront comme devins, ils recevront leurs clients à titre privé. Ils diagnostiqueront leur maladie ou formuleront des prédictions. Il soigneront aussi les malades.

[...]

Examinons plus attentivement la partie occidentale de l’Afrique centrale où le génie Python arc-en-ciel portait le nom de Mbumba jusqu’à une époque récente. Nous avons déjà aperçu ce génie dans le bwete au Gabon. On se souviendra qu’un silure doit être avalé tout cru par le candidat nganga au moment de l’edika, et que cet épisode prélude à l’intervention de Mbumba le Python. Or, un épisode du mythe yombe doit être rapproché du rite gabonais. Aux yeux des femmes, Mbumba apparaît associé au silure lors d’une partie de pêche. Elles avaient asséché le trou d’eau où il avait cherché refuge, vraisemblablement durant la saison sèche car c’est à cette époque que les eaux sont basses. Les femmes prennent Mbumba pour un gros silure rouge et il attaque les femmes qui tentent de l’assommer : il mord le doigt de l’une d’entre elles et la sœur de celle-ci s’évanouit. Il ne les tue cependant pas et remonte au ciel où il plaide la cause d’un esclave malmené du génie Foudre. Ce génie est secourable aussi au Gabon malgré le fait qu’il arrive et qu’il « prenne » le foie d’un patient ; il ne ressemble donc nullement aux sorciers avec qui les nganga ont habituellement affaire. Il faut remarquer aussi que Mbumba, le génie Python arc-en-ciel yombe est la figure mythique centrale du rituel initiatique religieux que constitue le khimba. On peut légitimement le comparer au bwete misoko des Gabonais : il initiait les jeunes gens des deux sexes (mais les garçons étaient les plus nombreux) lorsque la sorcellerie prenait des proportions alarmantes dans toute une région (De Heusch 2000 : 259-260). Les candidats subissaient une mort symbolique et ressuscitaient le lendemain. Ceux-ci, entièrement rasés, étaient assimilés à des silures glabres. La statue en bois du génie Python arc-en-ciel appelée Mbumba, représentant deux personnages adossés au sommet d’une espèce de sceptre, était présentée lors du rite de sortie de la maison du khimba. Elle connotait la dualité de l’arc-en-ciel, dont l’extrémité supérieure s’élançait dans le ciel, et l’extrémité inférieure restait enracinée dans la terre. La statue était passée sur le corps des initiés qui juraient de garder le secret. Nous avons déjà noté que Mbumba était un être double dans le bwete misoko.

Le khimba est la réplique du grand rituel initiatique kimpasi kongo, qui connaissait diverses variantes au sud des Yombe. Là encore, le silure entrait en jeu. Les candidats, qui subissaient une mort symbolique, devaient mimer l’avalement de ce poisson lors du retour à la vie. Les organisateurs étaient au bord d’un petit étang et ils y creusaient un fossé cruciforme, alimenté par un barrage. Ils écopaient ensuite le fossé. À l’intersection de la croix, ils aménageaient un petit bassin d’une profondeur de trente centimètres où ils lâchaient des silures vivants, capturés précédemment et percés d’une aiguille. On invitait les candidats agenouillés à prendre un silure par l’aiguille, comme s’ils étaient à la pêche. L’initiateur leur enfonçait la tête du poisson dans la bouche. Ils le recrachaient ensuite et prononçaient le grand serment du secret initiatique. En les rasant soigneusement ils étaient identifiés à des silures (Ibid. : 168-170). Les mœurs de ce poisson, capable de survivre dans les eaux boueuses en fait un signe particulièrement apte à signifier le changement, qu’il s’agisse des saisons ou des hommes.

Dans un conte kongo, l’héroïne Nkenge rencontre dans l’eau un ban de silures qui lui révèlent le chemin à suivre pour rencontrer les esprits de l’eau (nkita). Cette tradition littéraire et le rite vécu dans le kimpasi (considéré comme « la mort-nkita ») nous apprennent que le silure est un terme médiateur entre les esprits de l’eau protecteurs et les hommes exposés à toutes sortes de maux (Ibid. : 99). Nkenge, image de l’initiée malheureuse, rencontre au lieu des nkita de dangereux sorciers après avoir rencontré des poissons (Ibid. : chap. XIII).

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Dans Poissons d'Afrique et peuples de l'eau (IRD Éditions, 2011) Didier Paugy, Christian Levêque, Isabelle Mouas, font le lien entre certains silures et l'électricité :


De la légende à l'électricité animale : Plusieurs millénaires avant que la nature de l'électricité ait été étudiée par les hommes, ses effets ont émerveillé ou terrifié, à travers des phénomènes naturels comme la foudre restés pendant des siècles incompréhensibles. De ces mystères sont nées de nombreuses légendes, et diverses civilisations y ont associé toutes sortes de divinités.

Les manifestations électriques, relevaient du fantastique mais étaient connues de tous. En revanche, dans quelques régions, un tout autre phénomène électrique naturel se manifeste dans la capacité qu'ont certains poissons de provoquer des décharges électriques.

En effet, grâce à leurs organes électriques, la torpille en mer, le poisson-chat électrique (malaptérure) ou encore des anguilles électriques ou gymnotes d'Amazonie produisent des décharges pour capturer leurs proies ou se défendre de leurs prédateurs qui vont jusqu'à plusieurs centaines de volts. Bien avant la connaissance de l'électricité, ces animaux ont été l'objet d'observations et ont habité l'imaginaire des anciennes civilisations.

Plusieurs témoignages de l'Ancienne Égypte (comme un bas-relief du tombeau du seigneur Ti à Saqqarah) montrent que les pêcheurs égyptiens connaissaient l'existence de ces poissons qui provoquent de violentes commotions. Lorsqu'un de ces silures se trouvait pris dans leur filet, il restait engourdi plusieurs minutes : le poisson-chat semblait protéger les autres poissons, et les pêcheurs considéraient alors qu'ils devaient libérer les autres prises de son filet. De protecteurs des poissons, le poisson-chat et la torpille furent également considérés comme protecteurs des marins et des autres habitants de la mer.

Plus près de nous, le jésuite Nicolao Godigno (1615) raconte comment des poissons morts sont ramenés à la vie lorsqu'ils sont mis en contact de cette espèce.

De son côté, Michel Adanson (1757) le premier naturaliste à avoir rapporté une collection de poissons d'eau douce d'Afrique (Sénégal), relate à propos de cette espèce :

« Son effet qui ne 'a pas paru différer sensiblement de la commotion électrique de l'expérience de Leyde, que j'avais déjà éprouvée plusieurs fois, se communique de même par le simple attouchement, avec un bâton ou une verge de fer de cinq ou six pieds de long, de manière qu'on laisse tomber dans le moment tout ce qu'on tenait à la main ».

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Dans l'article intitulé "Pratique d’Interdits Alimentaires : entre logique identitaire, enjeux sanitaires et conservation de la biodiversité chez les Agni de Bongouanou (Côte d’Ivoire)" (In : European Scientific Journal, ESJ, 14 (27), 82., 2018) du collectif formé de Valentin, K. B., Gilbert, F., Bouaki, K. B., Obrist, B., Gnabeli, R. Y., & Bonfoh, B. on découvre une enquête ethnologique qui montre la pérennité du tabou du silure dans certaines communautés :


Construction identitaire des Agni de Bongouanou autour du poisson silure du lac Socotè :

Le refus de consommation du poisson silure du lac Socotè participe à la sociabilité et à l’affirmation de l’identité autochtone chez les Agni de Bongouanou. Ainsi, ces poissons font l’objet d’une forme d’appropriation et de spécification associée aux Agni de Bongouanou. Pour les membres de ces communautés, face à la menace de l’ordre villageois et de l’identité du groupe autochtone, la proscription du poisson silure est perçue comme une ressource de préservation identitaire et d’intégration sociale. De ce fait, le bris de cette norme alimentaire est considéré comme une source de désintégration sociale et de reniement de son identité. Dans ce sens, la plupart des enquêtés justifient les interdits alimentaires comme étant propre au territoire ou à l’espace Agni de Bongouanou. Pour ceux-ci, ces poissons sont interdits à la consommation parce qu’ils ont contribué au maintien et à la survie de leur groupe social et symbolisent ainsi leur existence et la réincarnation des leurs ancêtres. D’après un notable du village de Kangadji : « chez nous ici, il est interdit de consommer le poisson silure du lac Socotè. Tout vrai Agni de Bongouanou doit respecter cette pratique qui existe depuis la création du village. Selon nos parents, c’est grâce à ces poissons que nos ancêtres ont pu s’installer sur cet espace et ainsi de suite jusqu’à ce que nous autres soyons là aujourd’hui à vous parler » (Entretien_Notable du village_Kangadji, 26/05/17). D’après cette croyance, l’existence de la communauté est liée à la survie de ces poissons. Cette symbolique s’expliquerait par le fait que cette interdiction relève du respect de leur tradition reçue en héritage des ancêtres. Par conséquent, cet interdit assurerait la pérennité de la culture et du lien aux ancêtres. En effet, les consignes associées à l’interdit stipulent qu’il marque le fondement et la survie du groupe Agni de Bongouanou. Ainsi, le consommer s’assimilerait à un manque de reconnaissance aux ancêtres et provoquerait une certaine (vraie) culpabilité. Pour d’autres, la mort de cet animal est ressentie comme la mort d’un parent ou encore la mort du génie protecteur de la communauté. Ce poisson est de ce fait considéré comme un être spécial parce qu’intermédiaire entre les humains et Dieu ou les divinités ainsi que du monde des défunts (des ancêtres). A ce titre, le chef de village de Tanosso indique :« Chez nous les Agni de Bongouanou, ce poisson s‘appelle « Edjuéblé (1) » et c’est par lui, que nous arrivons à communiquer avec nos ancêtres. Ne pas les consommer c’est nous respecter nous mêmes et c’est aussi respecter notre culture » (Entretien_Chef de village_Tanosso, 27/05/17). Dans l’imaginaire populaire, l’interdiction de consommer édjoblé rime avec respect de la culture Agni de Bongouanou. Ce marquage culturel trace ainsi une frontière symbolique avec les autres groupes sociaux partageant l’espace culturel ivoirien. Cette façon de transmettre ce qui les lie au poisson silure du lac Socotè, relève de la préservation des constituants culturels de ce groupe. Aussi, ils précisent que ce poisson reste le trait caractéristique qui fait l’unanimité dans l’identité culturelle de la société Agni de Bongouanou.

Outre cet aspect explicatif de leur identité, deux idées sont revenues fréquemment dans le discours des répondants. La première se focalise sur le sentiment de protection ou d’assistance spirituelle de la part des ancêtres par le respect de cet interdit. Ainsi, les conséquences de son non-respect sont les multiples difficultés et malheurs. Pour eux, les exemples les plus édifiants sont entre autres, les maladies incurables, l’infertilité, les cas de déviance, les conflits inter-ethniques, le faible rendement agricole, la hausse du taux de décès chez les jeunes, etc..

La deuxième idée se focalise sur le caractère humain attribué à ce poisson. Selon les informateurs, au-delà de l’aspect animal observé, ces poissons incarnent la parenté. Par conséquent, toute personne qui consomme ce poisson, commettrait ainsi un sacrilège, car il aurait ainsi consommé un ancêtre. Un notable du village de Kangadji croit en ce lien qui les unit aux poissons du Socotè, en affirmant que :« Ces poissons sont nos ancêtres et on n’imagine pas manger ceux qui nous ont donné la vie ou encore manger nos ancêtres. Pour nous, les manger reviendrait à manger ceux qui nous protègent » (Entretien_Notable du village_Kangadji, 26/05/17). En plus de ce rapport humain évoqué par les acteurs autochtones, ils croient que ce poisson silure leur procurerait une assistance sociale particulière, notamment: l’accès à l’emploi, les promotions professionnelles, la fécondité etc. Pour eux, cette attention spéciale s’explique par les rapports spécifiques qu’ils entretiennent avec ces poissons à la différence d’autres groupes avec qui, ils partagent le même espace social. Par ailleurs, ils ont estimé que ceux qui ne respectent pas cette norme alimentaire même en dehors du territoire de Bongouanou ne sont pas de ‟vrai Agni de Bongouanou”. Ceux-ci sont considérés comme des déviants et sont exposés à des sanctions (exclusion du clan ou groupe, maladie incurable, stérilité etc.,). Désirant affirmer l’importance de cette pratique d’interdit, le Roi de Bongouanou mentionne que : « Chez nous ici, le poisson silure n’est pas consommable. Aussi, tous les Agni savent qu’ils ne doivent pas manger ces poissons, car ils protègent tous les Agni de Bongouanou sans distinction » (Entretien Roi de Bongouanou, Agnikro, 25/05/17). À sa suite, un jeune autochtone d’Agnikro soutient que le poisson silure illustre plus la culture de son groupe social, que tous les autres éléments matériels: « Pour nous, le poisson silure est tellement important, qu’on ne saurait le manger pour n’importe quelle raison. Aussi, tu constateras que pour toutes situations importantes traitant de la survie des Agni de Bongouanou, on se réfère toujours au poisson silure du Socotè » (Focus group_Jeune du village_Agnikro, 25/05/17). [...]


Notes : 1) « Edjueblé » est le nom Agni attribué au poisson silure. Ce nom est composé « Edjue » (poisson) et « blé » (noir).

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Mythologie :


Selon Henry Tourneux, auteur d'un article intitulé "Le protoptère et le déluge." (In : Le milieu et les hommes, Recherches comparatives et historiques dans le bassin du lac Tchad, Actes du 2e colloque, Méga-Tchad, 1988) :


Chez les Dogon, le silure est le premier être animé créé par Amma dans son double placenta (Marcel Griaule et Geneviève Dieterlen, 1965, p. 133). Toujours dans la même mythologie, le silure Clarias senegalensis, préalablement appâté dans la mare initiale avec un sexe masculin, est donné à la femme, où il prend place sous forme de fœtus. (M. GRIAULE, 1955, p. 300).

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En annexe, voici la traduction d'un conte recueilli le 3 juin 1985 en langue munjuk (dialecte de Pouss) de la bouche de Hawat Patang. Le protoptère y joue un rôle important. Nous ne sommes pas là au niveau du mythe, mais j'oserai signaler une certaine similitude entre le mythe de création dogon, où le silure est le premier circonciseur (M. GRIAULE, 1955, pp. 299-300) et l'épisode du conte où le protoptère ampute le bout de la langue du naïf Kedaf Lapiy. Il semble que le conte vise a expliquer la répartition des Munjuk entre pêcheurs et non-pêcheurs, ainsi qu'a démontrer la supériorité de la pêche au filet sur la pêche à la foëne, archaïque et hautement aléatoire.

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Igor de Garine, auteur de "Les relations symboliques entre les animaux et les hommes chez les Masa et les Musey (nord du Cameroun et sud-ouest du Tchad) (© IRD, 2007, pp. 607-628) nous renseigne sur l'épouse du silure :

L’eau et sa divinité Mununta : On entre en relation avec le domaine de l’eau, non seulement sur les lieux où l’on pêche, mais aussi dans les mares et les puits. Les animaux aquatiques et les poissons ne sont pas de dangereuse augure. Ils dépendent de Mununta, le génie de l’eau, une femme aux cheveux longs et rouges. Son mari est le “silure” (Clarias lazera (Cuvier et Valenciennes), Clariidae), gimilla (ma), ganaganna (mu). Elle possède aussi des messagers tels que la “perche du Nil” (Lates niloticus (L.), Serranidae), la tortue (Palomedusa subrufa (Lacépède), Testudinidae) et son chien, un “poisson qui pique” (Schilbe mystus L., Schilbeidae) nergedena. Ces deux puissances vivent sous l’eau une existence analogue à celle des humains. Mununta, qui aime les beaux hommes, capture de temps en temps un vigoureux pêcheur qu’elle emmène sous l’eau et dont elle fait son amant pendant quelque temps, puis elle le relâche, lui ayant fait cadeau d’une bague ou d’un bracelet en bronze. La rumeur publique désigne nommément des individus qui auraient vécu cette expérience. Malheur à l’amant de Mununta découvert par son mari, on retrouvera son corps noyé et avec le nez cassé. Mununta est familière ; nombreux sont ceux qui prétendent l’avoir rencontrée au bord de l’eau.

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