Étymologie :
Étymol. et Hist. 1545 blé sarrasin (Ch. Estienne, De latinis et graecis nominibus arborum, fruticum, herbarum..., p. 35) ; 1551 sarrasin (G. de Gouberville, Journal, 27 juin ds Poppe 1936, p. 179). Ell. de blé sarrasin (sarrasin1*) à cause de la couleur noire du grain. Cf. lat. médiév. frumentum sarracenorum (1460, L. vert d'Avranches ds L. Delisle, Ét. sur la condition de la classe agric. et l'état de l'agric. en Normandie, p. 324).
Lire également la définition du nom sarrasin pour amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Polygonum fagopyrum - Blavass - Blé de cent jours - Blé cornu - Blé breton - Blé noir - Blé bucail - Dragée aux chevaux - Fajol - Mil nègre - Roghë -
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Botanique :
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Symbolisme :
Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), le Sarrasin (Polygonum fagopyrum) a les caractéristiques suivantes :
Genre : Féminin
Planète : Vénus
Élément : Terre
Pouvoirs : Protection ; Guérison.
Utilisation magique : Les grains de Sarrazin sont surtout employés pour les affections de la vue. En Basse-Bretagne, l'opérateur plonge dans une écuelle remplie d'eau neuf grains qu'il a mendiés dans neuf maisons différentes ; avec chacun d'eux il trace une croix sur les paupières malades, puis il fait faire à chacun des neuf grains neuf fois le tour de l'œil en récitant cette prière : Banne - impi - Me da ampech - da virvi - Dre vertuz – va greunen ed - En dour - te vo - beuzet - Amen. (Goutte - impie – je t'empêche - de bouillir - Par la vertu - de mon grain - Dans l'eau – tu seras - noyée - Amen.)
À mesure que le charme s'accomplit, on pose les grains au fond d'un verre dans lequel ont bu une très vieille femme et un tout jeune garçon ; ensuite on jette le tout au feu.
Les magiciens se placent au milieu d'un cercle de farine de Sarrazin pour se mettre à l'abri des influences négatives pendant l'accomplissement de leur rituel.
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :
Le diable qui voulut copier le blé et le seigle, créations divines, ne réussit qu'à faire le sarrasin; C'est pourquoi jadis, à la fin de chaque récolte, les paysans bretons laissaient quelques gerbes ou jetaient un peu de blé noir autour des champs : c'était « la part du malin ».
On prétend toutefois que se tenir au centre d'un cercle de farine de sarrasin protège des mauvaises influences pendant un rituel magique. Selon un usage de basse Bretagne, les grains de sarrasin viennent à bout des infections de la vue : il faut mendier neuf grains dans neuf maisons différentes, les plonger dans un récipient d'eau et les prendre un par un pour tracer une croix sur la paupière du malade et faire le tour de l'œil en disant : « Goutte - impie - je t'empêche - de bouillir - Par la vertu - de mon grain - Dans l'eau - tu seras - noyée - Amen. » On dépose alors les grains dans un verre qui a servi à une femme très âgée et à un garçonnet avant de jeter le tout au feu.
En Seine-et-Marne, lors de l'ensemencent du blé noir, on conseillait de faire cette invocation, en tenant une poignée de grains et le pied gauche en avant : « Blé, je te sème, qu'il plaise à Dieu que tu viennes aussi saint et pur comme la Sainte Vierge a enfanté Notre Seigneur Jésus-Christ. » Les Bretons croient que le sarrasin semé le premier vendredi de juin est sûr de réussir.
En Belgique, dire en semant le blé noir Pô lè mohon empêchera les moineaux de picorer le champ.
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Dans Comme le sel, je suis le cours de l'eau : le chamanisme à écriture des Yi du Yunnan (Chine) ( Éditions de la Société d'ethnologie, 2008), Aurélie Névot détaille un rituel qui met en valeur le sarrasin :
Avant d'accomplir les dernières offrandes, d'alcool en l'occurrence, le chamane explique comment et de quoi cet alcool, dje, est fait. Aujourd'hui, de l'alcool de riz acheté dans l'échoppe de Lava est utilisé pour faire les différentes ablutions. Il est communément employé lors des rituels domestiques. Les deuxième et troisième jours, l'alcool de sarrasin, djegu, entrera en scène. « Sarrasin », gu, étant homophone de gu, « année », semer des graines de sarrasin revient à ensemencer la terre et à donner naissance à l'année. C'est l'année qui sera symboliquement semée au travers du sarrasin. (1)
Ici, l'alcool de riz ressoude les alliances. La psalmodie entonnée par midjebimo souligne son aspect fédérateur : des offrandes d'alcool sont faites aux individus afin qu'ils vivent heureux en couple et qu'ils entretiennent de bons rapports entre eux et avec leurs ancêtres. Des offrandes d'alcool sont par ailleurs adressées aux agnats et aux utérins afin que la paix règne. […] Enfin, une dernière psalmodie concerne l'offrande d'alcool destinée à la parole, la parole étant cette fois-ci celle des humains et non plus celle de l'animal sacrificiel. C'est que l'alcool est perçu par les Nipa comme un régulateur des relations sociales. Sans lui, « la langue est rigide comme un os », dit explicitement le texte, et la société sombre dans le chaos. Le chamane décrit les douze registres du discours concernés par ces offrandes :
Les paroles qui se réfèrent aux origines du monde et à la création du cosmos, la parole qu'on se dit à soi-même et celle destinée aux autres, les discussions pour résoudre une querelle, les consolations pour soulager quelqu'un de malheureux, les paroles qui « ordonnent » [édictent des lois et les font respecter], les paroles humoristiques qui ne doivent blesser personne, les paroles de compassion adressées aux individus en souffrance, les discussions à propos d'un mariage, les propos tenus au sein de la maison et à l'extérieur, les discussions entre jeunes et vieux, les mots adressés aux bestiaux, les mots qui résolvent les confits.
[…]
Pendant que le chamane psalmodie les textes rituels d'usage, les djegu (les officiants qui font et servent l'alcool rituel) entrent en scène. Ils portent l'urne d'alcool de sarrasin (un pot de terre) et la placent dans un panier, lequel est accroché à l'arbre céleste, à l'extérieur de l'aire des officiants. Ainsi l'urne est diamétralement opposée l'autel.
L'alcool dans la calebasse : la quintessence du cosmos
Un texte rituel relativement long se réfère à l'alcool de sarrasin bu en ce deuxième jour. Il explique son processus de fabrication qui a débuté treize jours plus tôt. Il est comparable à une période de gestation préparant la cérémonie. Les différentes étapes sont minutieusement décrites. Comme pour la bière de mil dogon, le début de la fabrication de l'alcool rituel déclenche le « compte à rebours » des festivités, mais ouvre et ponctue aussi le processus rituel. Toute la création du cosmos est explicitée au travers des phases successives par lesquelles le riz (?) passe : tout d'abord, sa décortication sur un mortier l'engendrement par le raffinement de l'essence pure. Ensuite la fermentation et la cuisson, qui transforme le riz froid et mouillé en riz chaud et sucré, […]
1) L'homme est la maître des cultures - notamment celle du sarrasin - dans le mythe évoquant l'origine des chema, la femme étant quant à elle associée aux cycles cosmologiques, à l'espace-temps.
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Symbolisme alimentaire :
Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :
Le Sarrasin même est solidement concentré en lui-même, dans la Matière ; Il semble parfois être pétrifié en lui-même, de façon saturnienne. Il ne bouge pas ; il ne dit rien ; il EST simplement très fortement présent en lu au niveau physique. Il se tient en lui-même d'une façon rigide, raide, contraignante, sérieuse. Il ressemble un peu à un surveillant sévère. Immobile comme une statue (vivante) ; il ne sait pas rire. Il ne s'autorise pas à fuir ; il se tient fermement à l'intérieur de son carcan ; il ne lève pas les yeux et il ne tourne pas la tête.
Il regarde devant lui, mais plutôt de façon insignifiante, indifférente, comme s'il voulait dire : "Le plus important..., l'essentiel est de pouvoir Être dans la matière et de pouvoir se perpétuer dans elle." Le reste ne l'intéresse pas, est secondaire pour lui ou découle tout naturellement du précédent. Il manque totalement d'imagination et en fait il ne connaît pas beaucoup plus que ce qui se déroule sous son nez. Mais tout cela l'indiffère : il n'a qu'une seule tâche à remplir et c'est d'être l'exemple clairet vivant de : "comment se fixer et se maintenir dans le monde de la matière". Il semble vraiment être fait en pierre de taille : fort, ferme, immobile, essentiel. Ce qu'il y a de positif dans son caractère c'est qu'il garde tellement "la matière" en lui-même, dans son corps, que rien ne se perd, que tine ne s'évapore.
La Sphère su Sarrasin est inexprimable ; elle n'est ni trop terre-à-terre, ni perdue dans des sphères éthérées. Il est présent dans le Maintenant, mais plutôt de façon fonctionnelle, apathique et froide. Son cœur bat de façon fonctionnelle, mais pas vraiment à partir de la Joie de son Être. Cela viendra plus tard, c'est du moins ce qu'il pense ; je dois d'abord m'installer, me maintenir et me perpétuer. Il considère la vie comme un événement austère et fonctionnel. Il faut qu'il en soit ainsi et cela restera ainsi. Il ne s'attend absolument à RIEN et il ressemble à un gardien stoïque et consciencieux qui se tient devant les grilles d'acier d'un palais. Il fait son devoir ; il EST, mais pour le reste, il ne donne pas d'autre contenu à cet Être Humain. Il n'est pas exactement ce qu'on appelle un ami joyeux ! Néanmoins on peut compter sur lui, comme pilier fonctionnel dans une structure dans laquelle chaque colonne joue son rôle nécessaire, ce qui fait que l'Ensemble se déroule aisément.
Celui qui a envie de Sarrasin se perd dans le détail, il perd souvent la réalité de vue ; il peut tellement s'absorber dans un petit "fragment" de la réalité qu'il oublie totalement l'ensemble. Il n'appartient alors plus à la terre ; il s'éloigne en rêvant ; et c'est avec un regard qui plane et qui n'est plus terrestre qu'il semble monter au plafond.. Des situations schizophréniques, des désincarnations, une désagrégation intérieure (du corps) peuvent alors se produire ; il est possible que certaines personnes qui planent dans le rêve, qui ont tendance à se perdre dans des chimères, et qui doivent de toute urgence redescendre dans la Matière, qui ont fui leur Moi, ainsi que certains alcooliques... aient une très grande envie de Sarrasin.
Celui qui raffole du Sarrasin situe avec envie son ciel hors de lui-même, hors de ce monde, et il commence déjà à décoller... Il rêve et il est absent ; son regard se porte au loin, il a les yeux troubles et dans le vague, ou bien il se perd dans l'extase du rêve céleste qu'il évoque dans son esprit... Si vous lui demandez quelque chose, il est bien possible qu'il ne vous répondra même pas. Il est "parti" dans ses sphères élevées. Il connaît la Griserie euphorique... mais la vraie Joie terrestre lui est totalement inconnue. C'est parce que la vie lui semblait trop froide qu'il a fui dans le faux, dans l'ILLUSION.
Quoique e Sarrasin n'apporte pas la joie, il pose néanmoins la première pierre : "Entre en toi-même, dans ton corps, dans la Matière, sur terre ! Ce n'est qu'à partir de cette base que tu peux commencer à "édifier" ta Vie !
A suivre
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Mythes et légendes :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Les paysans se servent de locutions proverbiales qui semblent attribuer aux plantes une sorte d'animisme. Lou blads nigris volount perir nùou cops. Le sarrasin veut se flétrir neuf fois.
[...] Les offrandes de plantes aux génies de la terre ou aux oiseaux ont été rarement constatées, surtout les premières, peut-être parce qu'elles sont clandestines. Cependant l'une d'elles et la plus curieuse, relevée au commencement du XVIIe siècle, semble avoir été pratiquée publiquement par des paysans bas-bretons qui croyaient que, le diable avait produit le blé noir, « de manière qu'après avoir fait la récolte de cette sorte de grain, ils en jettoient plusieurs poignées dans les fossez qui bornoient les champs d'où ils les avoient recueillis, pour en faire présent à celuy à qui ils s'imaginoient en avoir l'obligation. A Saint-Pôtan (Côtes-du-Nord) on abandonne parfois des gerbes dans les champs, c'est la part du malin.
[...] On trouve également en plusieurs pays le récit facétieux dans lequel un personnage rusé qui ne possède qu'un seul grain de blé, de sarrasin ou de lentille, le confie à une fermière, dont la poule le dévore ; il a la poule, et après une suite d'aventures il finit par devenir riche.
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