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Le Pétrel

Dernière mise à jour : 7 avr.




Étymologie :


  • PÉTREL, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1705 Petrel (Voyage de Guillaume Dampier aux terres australes, à la Nouvelle Hollande, etc., fait en 1699, IV, 79 ds Höfler Anglic.) ; 1723 pétrel (ibid., IV, 85, ibid.). Empr. à l'angl. petrel, att. sous cette forme en 1703 dans le récit original des voyages de W. Dampier qui lui donne pour orig. le nom de St Pierre (lat. Petrus, angl. Peter, d'où aussi p. ex. l'all. Petersvogel) en comparant le vol de cet oiseau frappant la surface de l'eau de ses pattes à la marche de Saint Pierre sur le lac de Génésareth (Tibériade). En fait, le terme angl. est att. dès 1676 sous une forme pitteral et l'orig. en est inconnue (NED ; FEW t. 18, p. 93b).


Lire également la définition du nom pétrel afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Hydrobates pelagicus - Caillette (Picardie) - Chie-vent (Normandie) - Chîvent (Normandie) - Écaillette (Picardie) - Épouvantail - Malamoque - Martinet (Nice) - Océanite tempête - Oiseau du diable (Finisterre) - Oiseau de tempête - Oiseau des tempêtes - Petit-pierre - Petit-Pierre - Petit puant (Finisterre) - Pétrel-tempête pélagique - Satani (Terre-Neuve) - Satanicle - Satanique - Sataniste (Terre-Neuve) - Satanite (Picardie) -

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Zoologie :


Jacques Balthazart, dans un article intitulé "L'olfaction chez les oiseaux : mythe ou réalité ?. (Aves, vol. 38, n°3, 2001) s'intéresse au sens de l'odorat, notamment chez les pétrels :


[...] La localisation de la nourriture en mer par les procellariiformes

La simple observation naturaliste a pu montrer que beaucoup d'espèces de procellariiformes, c'est-à-dire des pétrels et des puffins, s'assemblent fréquemment dans des régions de la mer qui contiennent des poissons ou des débris de poissons. La question qui se pose est de savoir si la localisation de cette source de nourriture se fait par des stimuli olfactifs ou visuels.

Les observations éthologiques suggèrent fortement que la première de ces hypothèses est correcte. En effet, lorsqu'un pétrel ou un puffin s'approche d'une source de nourriture, il le fait très souvent en remontant au vent, c'est-à-dire en remontant un gradient potentiel d'odeurs émises par la source de nourriture, et en avançant en zigzag à l'intérieur d'un cône d'odeurs. Au moment où il s'écarte de ce cône et donc sort de la zone de forte concentration en odeur, il fait demi-tour pour rentrer à nouveau dans le cône et se rapprocher progressivement jusqu'à quelques mètres de la source de nourriture (Hutchison & Wenzel, 1980). Cette observation est cependant anecdotique et ne prouve pas que l'animal utilise effectivement les stimuli olfactifs pour localiser la source de nourriture. Des expériences réalisées en pleine mer en conditions naturelles apportent cependant des arguments quantitatifs qui suggèrent très clairement que ce sont les stimuli olfactifs qui sont utilisés (Grubb, 1972 ; Hutchison & Wenzel, 1980). [...]


Localisation du nid chez les pétrels et les puffins

Les observations comportementales réalisées dans la nature, en association avec quelques expériences réalisées au laboratoire, démontrent également que diverses espèces de procellariiformes [...] utilisent l'olfaction pour localiser leurs nids lors du retour à terre après les pêches en mer. Pétrels et puffins nichent sur des falaises en bord de mer et certaines espèces font leurs nids dans des terriers situés dans de vastes colonies. Les nids peuvent donc être parfois très proches les uns des autres et chaque oiseau doit être capable de localiser son propre nid par rapport à ceux des voisins. On peut imaginer que la femelle restée au nid et les poussins émettent des vocalisations qui permettent au mâle de le retrouver. On a cependant pu montrer que des informations olfactives contribuent également à cette localisation (Grubb, 1971 ; Grubb, 1972). D'une part on démontre lorsqu'on observe les oiseaux sur le terrain que les pétrels retrouvent leurs nids et les distinguent de ceux des voisins même si le nid est inoccupé, donc en l'absence de stimuli acoustiques qui pourraient provenir du nid. Le pétrel est aussi capable de retrouver son nid par nuit noire ou par temps de brouillard épais. Il atterrit à un endroit très proche de l'entrée du nid et s'y dirige ensuite en marchant. Lorsqu'on observe le trajet qu'effectuent les oiseaux pour rentrer au nid, on remarque que, dans la grande majorité des cas, ils se rapprochent en remontant au vent, soit potentiellement dans un cône d'odeur à concentration croissante qui pourrait être émis par le nid. Lorsqu'on interfère expérimentalement avec ce retour, on observe que la section des nerfs olfactifs désoriente partiellement les oiseaux et les rend incapables de retrouver aisément l'entrée de leur nid.

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Symbolisme :


Jean Prieur, auteur de Les symboles universels. (Éditions Fernand Lanore, 1989) fait un lien entre le pétrel et l'alcyon mythique :


On ne sait pas exactement quel oiseau était l'alcyon des Grecs ; on croit le reconnaître soit dans le martin-pêcheur, soit dans le pétrel des tempêtes.

 

Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Cet oiseau palmipède de haute mer est réputé annoncer le mauvais temps aux marins en volant au ras de l'eau En réalité, et à sa décharge, le pétrel se contente de suivre les bateau ou de s'y réfugier à l'approche du gros temps, d'om la naissance de cette superstition qui lui vaut une série de surnoms peu flatteurs : « oiseau des tempêtes », « épouvantail », « chie-vent », « oiseau du diable », « satanite », « satanique ». Les Anglais, eux, se contentent de l'appeler « pétrel des tempêtes » tandis que le folklore français fait le rapprochement entre son nom et saint Pierre, car l'oiseau, qui effleure les flots, semble, comme le saint, marcher sur les eaux.

Même s'il est de mauvais augure, tuer un pétrel porte malheur car, comme tous les oiseaux de mer, il représente l'âme d'un marin noyé.

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Mythologie :


Jean-Marie Tremblay dans un article intitulé "Bernard Saladin d Anglure, Mythe de la femme et pouvoir de l'homme chez les Inuit de l'Arctique central (Canada). Le rapport hommes-femmes." (1977 ; "Les classiques des sciences sociales", Université du Québec, Chicoutimi, 2005) rapporte un mythe inuit qui met en scène un pétrel :

[...]

Uinigumasuittuq (celle qui ne voulait pas se marier) vivait avec ses parents et leur chien Siarnaq. Elle refusait tous les prétendants. Un jour cependant elle accorda ses faveurs à un beau visiteur. C'était leur chien métamorphosé, que personne n'avait reconnu ; il revint souvent et elle devint enceinte. Le père découvrit alors l'identité de son hôte, et furieux, transporta le couple sur une lie.

La fille envoya le chien, à la nage, chercher de la nourriture chez son père. Ce dernier les approvisionna plusieurs fois puis un jour il chargea le chien de pierres et provoqua ainsi sa noyade. La jeune fille accoucha peu après d'êtres mi-hommes mi-chiens. Sur le conseil de leur mère ils déchirèrent le kayak de leur grand-père quand il vint lui-même leur apporter de la viande ; puis, accablée, Uinigumasuittuq se sépara de ses enfants afin qu'ils puissent survivre. Les premiers chiots furent envoyés au large, vers le sud, dans une semelle-empeigne de botte ; ils disparurent dans la brume au milieu d'un vacarme métallique et devinrent les ancêtres des Blancs. Elle en envoya d'autres vers le continent, au sud, qui devinrent les ancêtres des Indiens ; un autre groupe devint les ancêtres des Tunit, peuple préhistorique et le dernier enfin, envoyé vers le nord, devint l'ancêtre des Ijirait, êtres invisibles qui vivent du caribou.

Après la dispersion de ceux qui furent à l'origine des races humaines, elle retourna chez son père. Puis par deux fois encore, elle refusa des prétendants (un loup et un caribou métamorphosés) pour accepter finalement d'en suivre un troisième, un pétrel, qui avait pris forme humaine. Il l'emmena sur son kayak mais elle découvrit trop tard sa laideur et son rire sarcastique qui la dégoûtèrent. Elle réussit par la suite à s'enfuir avec la complicité de son père, dans un bateau de peau. Mais le pétrel découvrit la fuite et provoqua une terrible tempête ; le père affolé jeta sa fille à l'eau et comme elle s'agrippait aux bordages il lui trancha les doigts des deux mains et lui creva les yeux. Elle coula dans la mer et de ses mains tranchées naquirent les phoques barbus et les phoques annelés. Désespéré, le père se laissa recouvrir par la marée et rejoignit au fond de la mer sa fille et son chien, où ils vécurent depuis. Ils contrôlent les mouvements des gibiers marins, et punissent, après la mort, tous les coupables d'infractions sexuelles, de bestialité en particulier (Saladin d'Anglure 1974).


Ce nouvel épisode de la lente émergence de la culture telle que conçue par les Inuit prête à plusieurs remarques.

La première concerne ce qu'on pourrait appeler la tentative d'autonomie féministe de Uinigumasuittuq. Le tabou de l'inceste ayant donné à la femme toute sa valeur d'échange il était tentant pour elle de profiter de ce nouveau pouvoir, ce qu'elle essaie de faire en s'efforçant de garder le contrôle de sa vie sexuelle, en refusant d'abord les prétendants, en s'offrant ensuite au chien ou au pétrel. Deux expériences malheureuses qui se terminent par une double mutilation, morale d'abord, avec la privation de sa progéniture qui ne devra sa survie qu'à l'éloignement et à l'écart culturel, physique ensuite, avec la perte de ses yeux et de ses mains, qui la met à l'écart de la culture et de ses fonctions de productrice-reproductrice. [...]

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Bernard Saladin d'Anglure lui-même, dans "La part du chamane ou le communisme sexuel inuit dans l'Arctique central canadien." (In : Journal de la Société des Américanistes, 1989, vol. 75, no 1, pp. 132-171) revient sur ce personnage mythique :


[...] Arnaqquaksaq, fait partie d'un réseau d'espaces sanctuaires très respectés par les Inuit de la région ; c'est là que vécut, selon la tradition, le grand personnage mythique Kannaaluk (« la grande d'en bas »), la maîtresse des mammifères marins. Le toponyme lui-même renvoie à cette figure mythique, puisqu'il la désigne dans le langage métaphorique des chamanes, dans les rituels, les charmes, incantations, prières, formules magiques, chants sacrés et dans certains mythes. Il signifie littéralement « celle qui va tenir le rôle d'une vieille femme ». Elle est surtout la principale héroïne d'un mythe répandu dans tout l'arctique central dont voici le résumé à partir d'une version recueillie à Igloolik (cf. M. Kupaq 1973) :


II s'agit d'une jeune femme connue, dans un premier épisode du mythe, sous le nom d'Uinigumasuittuq (celle qui ne voulait pas se marier). Elle vivait sur l'île d'Iglulik avec ses parents et refusait tous les prétendants. Un jour le chien de la famille se métamorphosa en homme et vint en visite chez elle ; ils passèrent la nuit ensemble et souvent il revint, sans que l'on sache qui il était. Quand elle tomba enceinte, son père découvrit l'identité du visiteur et exila le couple contre nature sur un îlot voisin [Qikiqtaarjuk (1)] où elle donna naissance à une progéniture mi-humaine, mi-canine. Mais après que son père eut provoqué la noyade du chien, elle dut disperser ses rejetons dans toutes les directions. Les diverses races humaines et certains esprits descendant d'eux [...] Dans un second épisode [qui se passe au camp d'été d'Ungaluujaq], elle épousa, sur les instances de sa mère, un pétrel sous forme humaine qui l'emmena dans une autre partie de l'île d'Iglulik [à Arnaqquaksaq]. Malheureuse avec cet « homme oiseau », elle s'enfuit grâce à la complicité de son père. Le pétrel furieux provoqua une grande tempête, et pour y échapper le père jeta sa fille à la mer, lui creva un œil et trancha les articulations de ses doigts lorsqu'elle chercha à s'accrocher au bord du bateau de peau. Elle coula au fond de la mer et ses phalanges devinrent les mammifères marins. Désespéré, son père [qui avait atteint le continent à Ungaluujakuluk] se laissa recouvrir par la marée et vint rejoindre sa fille et le chien [cf. B. Saladin d'Anglure 1988a : 31-32].


Pour avoir voulu garder le contrôle de sa sexualité, puis pour s'être adonnée à des alliances contre nature avec le monde animal, Kannaaluk fut privée de sa progéniture monstrueuse, puis de sa capacité productive de femme, en perdant un œil et touts ses doigts. Exclue du monde humain, puis qu'elle vit maintenant au fond de la mer quelque part entre Arnaqquaksaq et Ungaluujakuluk, elle est devenue par sa descendance, l'ancêtre de toutes les races humaines et par ses doigts coupés, transformés en animaux marins, la maîtresse des mammifères marins. Sa présence toute proche, et sa puissance qui n'est opérante que dans l'obscurité, c'est-à-dire à la fin de l'automne et au début de l'hiver, lorsque le soleil n'apparaît plus, constituent, nous allons le voir, un des arrière-plans les plus significatifs, bien qu'en partie implicite, de l'échange rituel des conjoints et de la fête des Tivajuut à Iglulik, ce haut lieu de la mythologie inuit.


Note : 1) Cet îlot qui, selon le mythe, était rattaché à l'île principale d'Iglulik, a marée basse, lors des marées de vives eaux, est maintenant une presqu'île. Il serait donc théoriquement possible de dater la version de ce mythe, telle que transmise chez les Iglulik, en tenant compte du phénomène connu et mesurable de surrection de l'écorce terrestre dans cette région, lié à l'isostasie et à l'effet des variations climatiques sur le niveau des mers. Ce type d'étude apporterait sans doute des arguments nouveaux et intéressants pour traiter de la production historique des mythes. En particulier, en regard de l'analyse critique de B. Sonne (1987) qui conteste l'ancienneté de la version Iglulik du mythe de Sedna. Elle voit dans le second épisode du mythe, celui du mari pétrel [qui dans les autres régions fait l'objet d'un mythe autonome], un développement récent suscité par les baleiniers.

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Xavier Blaisel dans "La logique du don dans le mythe inuit de la lune et du soleil." (In : « Actualité du mythe », Religiologiques, 1994, vol. 10, pp. 111-141) fait également allusion à ce mythe :


Le mythe d'origine des mammifères marins (1) éclaire le mythe d'origine des astres.


Note : 1) Uinigumasuittuq devient la Mère du gibier marin, Takaannaaluk, comme Aningat (le rondelet) devient Taqiq, la lune. Dans l'histoire de Uinigumasuittuq, Celle qui ne veut pas chercher de mari, une jeune fille refuse tous les prétendants au mariage de son village, puis part avec un kayakeur étranger qui l'amène sur son île natale. Son père tente de la reprendre mais le mari, un pétrel, les poursuit en kayak. Voyant qu'il lui sera impossible de reprendre son épouse, le pétrel déclenche une tempête. Le père pousse alors sa fille hors de son kayak, mais elle s'agrippe des deux mains au bateau. Son père sectionne alors les phalanges des mains de sa fille, qui en tombant dans la mer se métamorphosent en diverses espèces de mammifères marins (voir Savard, 1970 ; Paniaq, 1987 ; Blaisel, à paraître).

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Selon Françoise Palleau-Papin, autrice d'un article intitulé "L’archive traduite: WS Merwin troubadour de Hawaii". (In : Sillages critiques, 2017, no 23.) :


[...] Chez les Hawaiiens de souche, l’adéquation au monde n’est pas une affaire de décision politique ou idéologique mais une façon naturelle d’être au monde. Leur cosmogonie rend l’île autour d’eux sacrée, puisque les humains, les animaux et les plantes émanent tous d’une même nature divine. Les noms hawaiiens traduisent cette appartenance au monde alentour, comme on l’a vu, puisqu’ils portent un sens qui allie leur destin naturel et leur destin héroïque, digne des dieux. Le héros Ko’olau qui défie les autorités porte dans son nom sa destinée qui est de mourir libre, en un « Tombeau dans le vent », tandis que son épouse Pi’ilani est une « Grimpe au Ciel », comme on le comprend au moment des vœux du mariage :


Reverend Rowell carefully pronounced Ko’olau’s whole name

—Do you—he had said—Kalua i Ko’olau

Do you The Grave at Ko’olau Do you The Grave

on the Windward Side take this woman Pi’ilani

Climbing Heaven to be your lawful wedded wife


L’onomastique définit le destin et détermine une identité. Un personnage clé est ainsi désigné comme proche des oiseaux dont il reproduit le chant. À la mort de l’enfant Kaleimanu, l’oiseau qu’il imitait avec bonheur chante dans la montagne, et la mère reconnaît l’identité de son fils mort dans l’onomatopée qui semble aussi assonantique de son prénom :


and through her hair she heard the night winds high in the valley

rising and leaving and she heard ‘uwa’u ‘uwa’u

the cry of the petrels echoing in the cliffs


Ainsi, l’oiseau qu’imite Kaleimanu, le fils de Pi’ilani et de Ko’olau, en vient à le caractériser. Le chant du pétrel est transcrit par onomatopées, version écrite humaine la plus proche du chant de la nature, nature et enfant étant transcrits respectueusement par le poète qui cherche à ne pas déformer leur expression. Lorsqu’à la fin de sa vie, l’enfant boit du bouillon de pétrel pour trouver un peu de force, la nourriture semble moins physique et alimentaire que symbolique et essentielle, en un véritable transfert d’identité :


[…] he carried the bird

to Pi’ilani and they made a broth of it

and gave it to Kaleimanu that night telling him

what it was and he drank it saying ‘uwa’u

over and over and then he seemed to be better


L’enfant reconnaît son pareil dans le monde animal, qui lui redonne un peu de vie momentanément. L’ingestion n’est pas une destruction mais un passage de la vie de l’oiseau à celle de l’enfant, passage qui transfère les facultés de l’oiseau à l’enfant affaibli par la lèpre, et le rapproche de l’unité divine entre la nature et l’humain. Le chant mélodieux de l’oiseau devient une métaphore filée des talents de conteur de Kaleimanu, élevé depuis la petite enfance en héritier des légendes de sa communauté. Et comme l’enfant qui meurt de la lèpre, l’oiseau est menacé de disparition, celle de son espèce, ainsi qu’il est précisé dans le lexique, hors texte.

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Littérature :


Selon Marion Naugrette-Fournier, autrice d'une étude intitulée « A Nest on the Waves », (In : Études irlandaises [En ligne], 37-1 | 2012) :


RÉFÉRENCE David WHEATLEY, A Nest on the Waves, Gallery Press, 2010, ISBN 978-1-85235-503-6. 1

« House on the swing bridge, house in the air. » Le dernier recueil de David Wheatley s’ouvre sur une instabilité paradoxale, une construction impossible de l’esprit qui sont les deux piliers en équilibre sur lesquels s’appuient les poèmes de A Nest on the Waves, titre improbable s’il en est. Cet oxymore est une autre allusion aérienne, qui renvoie à la croyance populaire selon laquelle les oiseaux marins que sont les pétrels pondraient leurs œufs en mer, d’où cette trouvaille aux accents surréalistes du nid niché au creux de la vague.


 

Clément Kabs, auteur d'un article intitulé "Comment les oiseaux s’appellent-ils ? Observation, nomination et cohabitation chez Kathleen Jamie." (in : L'Entre-Deux, n°3 : Les oiseaux, de l'animal au symbole, juin 2018) étudie comment l'autrice écossaise décrit un pétrel mort :


Une mutation d’un autre genre et tout aussi capable de changer son statut, montre l’oiseau mort :


It wasn‟t the dead bird we saw, lying on the turf, not at first, but a tiny wing of metal. I said, “look, what‟s that ?” And Stuart replied, “storm-petrel. They breed here. But ringed – that‟s a real find.” So here it is on my desk, in a polythene sample bag. An ex-storm-petrel, just a clump of desiccated feather and bone, with a tiny ring on its hooked up leg. When you report a ringed bird, it‟s called a „recovery,‟ but this one was beyond hope of that. My five-volume wartime Handbook to British Birds says that storm-petrels are “essentially pelagic” ; they “never occur inland, except as storm driven waifs.” That‟s the kind of language they inspire.

 « Ce n’était pas l’oiseau mort que nous voyions, couché sur la tourbe, pas initialement, mais une petite aile de métal. Je lui ai dit : ‘regarde, qu’est-ce que c’est ?’ Et Stuart m’a répondu : ‘un pétrel tempête. Ils viennent ici pour ce reproduire. Mais il est bagué – ça c’est une trouvaille’. Alors il est là sur mon bureau, dans un sac de prélèvement en plastique. Un ex-pétrel tempête, juste un amas de plumes et d’os desséchés, avec une bague sur sa patte qui était accrochée. Quand on signale un oiseau bagué, on dit qu’on le ‘récupère’ ; mais celui-ci était au-delà de tout espoir de récupération ». Mon Guide des Oiseaux de Grande-Bretagne, qui date de la dernière guerre, dit que les pétrels tempêtes sont ‘essentiellement pélagiques. On ne les trouve jamais dans les terres, sauf sous la forme d’animaux errants mus par les tempêtes.’ Voilà le genre de langue qu’ils inspirent ».


Dans cet extrait, Jamie, qui accompagne un ornithologue, vient de retrouver un océanite tempête, ou pétrel tempête, mort, doté d’une bague de suivi. L’oiseau est ramené à son statut de spécimen en capacité de se reproduire. Il est ramené aux caractéristiques d’une espèce, son caractère pélagique, ses habitudes. Ce qui distingue cet oiseau-là d’autres vus précédemment, c’est le fait qu’il est mort. Le pétrel tempête mort, arrangé dans un sac pour l’observation, est isolé de ses observateurs, de Jamie, pour éviter la contamination, sans doute. Mais il est isolé d’une autre manière, bien plus indiscutable. Le pétrel mort, sur le bureau, n’est plus qu’un « ex-pétrel ». La préfixation change, il ne s’agit pas d’un pronom, mais d’un préfixe. Le pétrel n’est plus. Et de plus, il n’est plus un pétrel. Sa mort l’a fait changer, muter encore, pour devenir une chose indescriptible, un paradoxe de l’être, « une masse de plumes et d’os desséchés ».

Ici, Jamie utilise l’intertexte d’un guide d’observation pour indiquer un fait de langage particulier. On ne parle pas de ce pétrel comme on parlait des autres oiseaux. Elle n’a plus la parole, pas plus que d’éventuels compagnons dont le discours a été rapporté dans d’autres essais. Ce qui prend la parole, c’est une métalangue dont le but est de décrire des espèces. Elle fonctionne à l’aide du présent de vérité générale, de l’absence de pronom personnel animé, de la généralisation. Voilà ce que suscite l’oiseau mort. Un langage lui-même mort parce qu’il n’est plus que livresque. Un livre technique, qui ne remarque pas l’individu qu’il y aurait eu à voir, quoique l’auteur sans nom se soit laissé aller à une faible portion de lyrisme, évoquée à la fin de l’extrait cité…

Bien sûr, on n’invente rien en disant qu’il faut tuer pour disséquer, et que l’observation tue. Encore qu’il ne faille pas tuer, plutôt même le contraire, pour observer les habitudes. Mais ce qui frappe ici est plutôt le caractère péremptoire de la perte d’identité. Cet oiseau identifié par sa bague – c’est-à-dire aussi identifié que peut l’être un oiseau sauvage pour un ornithologue – n’est plus ce qu’il était, tout identifié qu’il est. Celui-ci est amené à lutter, à se sacrifier, pour susciter le langage du poète. Et pourtant…


There‟s a lovely poem by Richard Murphy, called „Storm petrel,‟ which begins : „Gipsy of the sea / in winter wambling over scurvy whaleroads / jooking in the wake if ships…’

« Il y a un joli poème de Richard Murphy, intitulé ‘le Pétrel tempête,’ qui commence comme ça : ‘Gitan de la mer/ marchant d’un pas nauséeux sur les méprisables chemins des baleines/ transperçant la surface des eaux dans le sillage des navires...’ ».

(Kathleen JAMIE, Sightlines, op. cit., p. 211)


La citation s’arrête ainsi, sans plus d’explication. Il n’en reste pas moins qu’en passant, le pétrel – vivant – a fait reparaître chez le poète trois mots rares (« scurvy » : méprisable ; « wambling » : marcher d’un pas nauséeux ; « jooking » : transperçant). Ainsi la binarité, dans ce bref passage, est appuyée : l’oiseau vivant est un oiseau de poète. À l’ornithologue nous laisserons l’oiseau mort.

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Philatélie :






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