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Le règne singulier des champignons


Documentaire Arte : Au Royaume des Champignons

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Mycologie :


Jean-Baptiste Barla, auteur de Les Champignons de la province de Nice (Imprimerie Canis Frères., 1859) propose une revue de la question à son époque :


Les anciens, frappés de la singularité des ces productions, dont la forme est souvent si bizarre, ont émis une infinité d'opinions, dont quelques-unes sont encore partagées de nos jours ; les uns les appelaient fleurs de la terre, et croyaient que leur développement n'était dû qu'au hasard ; les autres les regardaient comme un résultat des pluies d'orage, et cette supposition était en quelque sorte justifiée par cette remarque déjà faite, que c'est au moment des fortes pluies de l'été et de l'automne que les champignons se développent à profusion dans les champs, les bois et les prés. Théophraste, Dioscoride et Pline les prenaient pour des viscosités végétales qui revêtent une organisation ; d'autres croyaient qu'ils étaient amenés par les maladies des végétaux ; les truffes étaient, disait-on, engendrées par le tonnerre ; on les considérait aussi comme des gnomes produits par les racines des arbres ; Pline doutait que la truffe fût un être organisé.

De l'Escluse est le premier qui ait dit que les champignons naissent de semences ; et, après lui, Boccone, Tournefort, Micheli, Gleditsch, Linnée, Battarra, etc., ont confirmé cette découverte ; même quelques-uns d'entre eux ont prétendu apercevoir des fleurs dans ces végétaux (1). C'est à Palissot de Beauvais et à Bulliard que l'on doit d'avoir levé tous les doutes, en démontrant que les champignons sont organisés, à peu près, comme les végétaux staminifères ; qu'ils ont des fibres, des vaisseaux, des racines, une floraison, des semences particulières, sans le secours desquelles la régénération ne peut avoir lieu ; qu'ils ont aussi un premier développement, un accroissement, un dépérissement qui ne se terminent, comme dans tous les êtres organisés, qu'après avoir laissé des êtres semblables à eux et qui éprouvent les mêmes révolutions. On a cru longtemps que les champignons pouvaient être, dans la même espèce, tantôt comestibles et tantôt vénéneux ; et on les a frappés d'une sorte de proscription, en les désignant comme des substances de qualités équivoques. Nous voyons encore de nos jours que la nature de ces plantes curieuses donne lieu à une foule de suppositions où le merveilleux tient presque toujours la place de la vérité. Que de personnes s'imaginent, par exemple, que les champignons deviennent nuisibles, soit parce que des vipères, des crapauds ou d'autres reptiles les ont mordus ou souillés de leur bave, soit par la nature du terrain qui les produit, soit enfin par toute autre cause de la même valeur ! [...]


Notes : 1) ) Quoique Fon ait reconnu de tout temps des étamines ou organes mixtes dans les plantes parfaites, on n'en avait pas même soupçonné dans les plantes appelées imparfaites, et Micheli est le premier qui, en 1729, en ait indiqué et reconnu dans les champignons (Paquet, Traité de la Culture des Champignons, p. 10).

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Édouard Grimard, auteur de L'esprit des plantes, silhouettes végétales. (Éditions Mame, 1875) propose sa vision des champignons du temps où c'étaient encore des plantes, qui faisaient peur de surcroît :


Descendons au royaume des ombres. Dans l'herbe humide, sous la feuille morte, entre les froides pierres, au fond des cavernes ou des caves, dans tous les lieux bas et sombres enfin, habite un peuple de végétaux visqueux, mous, presque toujours livides, et souvent vénéneux : ce sont les Champignons.

A part et malgré quelques exceptions surprenantes, les Champignons sont une famille malsaine, croissant sur des corps désorganisés ou putréfiés, vivant de la mort des autres et flairant de loin le cadavre. Un arbre devient-il malade ; vite voilà les Champignons qui arrivent, venant on ne sait d'où et montrant leurs petites faces jaunâtres et gluantes entre les vicilles écorces pourries ou au fond des plaies de mauvaise nature. Un liquide fermente-t-il, Champignons ; un mets devient-il douteux, Champignons ; un fruit tourne-t-il à l'acide, Champignons : le pain lui-même, le pain vivifiant et pur est-il abandonné quelque temps à l'humidité, Champignons. Les Champignons sont les vautours du monde végétal. Depuis les infimes Moisissures verdâtres qui ressemblent au vert-de-gris, jusqu'aux larges Bolets des bois, jusqu'à la gigantesque Rafflesia elle-même, elle est partout et s'étend de toutes parts, l'innombrable et redoutable légion.

Il y a des Champignons qui rongent les cheveux de l'homme, d'autres que s'implantent dans ses poumons malades, d'autres qui obstruent ses conduits auditifs, d'autres encore qui croissent sur les insectes, dans les yeux des Abeilles ou sous les élytres des Coléoptères ; il n'est guère de tissus malades, chez l'homme ou chez les animaux, qui ne soient exposés à l'envahissement de ces horribles parasites.

Ajoutez à cela que ces végétaux ont quelque chose d'étrange, de suspect et presque de mystérieux. Vous trouvez dans une prairie un de ces jolis Agarics blancs et roses - car il y en a de jolis, je n'en disconviens pas, qui généralement poussent par bandes dans ces ronds d'herbe d’un vert foncé que l'on appelle dans les campagnes « danses de sorcières » ; et vous croyez bonnement voir dans cet Agaric le Champignon lui-même, ou, en d'autres termes, la plante tout entière. Erreur ! Ce que vous voyez sur le sol n'est qu'une sorte d'appendice, que l'organe de la fructification ; le Champignon lui-même, la vraie plante est sous la terre, où elle étend, comme un filet, le fin réseau de ses ramifications. Il en est d'autres, la Truffe par exemple, sur la nature de laquelle les savants sont longtemps demeurés en désaccord, les uns ne voyant dans ce Cryptogame énigmatique qu'une sorte d'excroissance provenant de la piqûre d'un insecte faite sur les racines de certains arbres, tandis que d'autres soutiennent que la Truffe est simplement un Champignon plus ou moins analogue à beaucoup d'autres. Il faut bien dire que ces derniers paraissent avoir raison ; mais n'est-il pas étonnant de voir des végétaux connus et appréciés depuis si longtemps se dérober à toutes les investigations, et obliger la botanique moderne elle-même à se contenter de simples conjectures ?

Les Champignons sont donc de singuliers personnages, je vous le dis, des sournois qui ne racontent leurs affaires à personne, et qui du soir au matin apparaissent et se développent avec une rapidité tenant du prodige, parce qu'on en a vu parvenir, dans une seule nuit de la grosseur d'une noisette à celle de la plus énorme noix de coco.

La famille des Champignons se distingue, comme beaucoup d'autres du reste, par une prodigieuse diversité de formes. Dans certains cas, ces végétaux se réunissent aux Lichens, et, comme ces Cryptogame , auxquels ils ressemblent alors, ils recouvrent l'écorce des arbres de lames que teintent parfois les plus magnifiques couleurs. D'autres, les Bolets amadouviers, font saillie hors du tronc, qu'ils décorent d'une sorte de corniche d'une extrême solidité. Il en est aussi quelques-uns, - des originaux sans doute, - qui choisissent, pour se nicher, les endroits les plus improbables. J'ai vu un jour un vieux Chêne troué par les vers, envahi du haut en bas par de petits Champignons d'une superbe couleur orange pâle, qui tous s'étaient logés dans les galeries mêmes creusées par les larves. Chacun d'eux remplissait exactement le canal, sortait de l'arbre, affleurait l'écorce, puis faisait saillie au dehors ; ils ressemblaient alors à de grosses têtes de clous jaunes dont on aurait criblé le tronc vermoulu du vieux Chêne.

Les Champignons terrestres ont des formes encore plus remarquables. Ce sont des globes, des massues, des chapeaux, des boucliers, le tout coloré de teintes étranges et parfois éclatantes, comme l'Agaric muscaris, par exemple, dont le chapeau écarlate et pointillé surmonte une longue tige, dont la blancheur est admirable.

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Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque les différents modes de communication chez les animaux et chez les plantes, à une époque où on classe encore les champignons dans le règne des plantes :


[Il y a] des carnivores très primitives qui font partie du vaste monde des 70 000 espèces de champignons. Sur ce total impressionnant, 140 sont carnivores et ont une prédilection pour les petits vers du sol (les Nématodes). Ces champignons carnivores sont microscopiques ; ils déploient les pièges les plus ingénieux pour capturer les vers destructeurs des racines, qu'ils piègent à la glu ou avec des sortes de lacets formés de leurs filaments, à la manière des braconniers. Et l'on voit le malheureux ver, pris dans un véritable nœud coulant, se débattre, rendre les armes, et enfin rendre l'âme, littéralement dévoré et digéré par le champignon glouton.

[...] Ici le lasso, le nœud coulant, la pendaison ou la strangulation sont les moyens d'action usuels mis en œuvre par ces redoutables champignons.

Certains autres mettent à mort ces minuscules êtres nageurs que sont les rotifères ; l'un d'eux est un champignon aquatique particulièrement carnassier (Zoophagus sp.). L'infortuné rotifère essaie bien de se défendre en mordant les extrémités du filament, mais celui-ci, à peine attaqué, se détend instantanément et étouffe le minuscule invertébré qui périt étranglé. Le champignon envahit alors son corps, envoyant des filaments qui, littéralement, le sucent du dedans.

[...] Mais le système le plus spectaculaire est l'anneau à trois cellules, qui constitue un véritable nœud coulant. Chaque cellule est sensible au toucher sur sa face interne, et malheur au ver qui pénètre dans l'anneau ! Les cellules se gonflent immédiatement, prenant jusqu'à trois fois leur volume originel ; et le nœud étrangle le ver, tandis que son corps est pénétré par des filaments. La réponse du champignon à la présence du ver est fort rapide : chaque cellule réagit en un dixième de seconde, c'est-à-dire, on l'a vu, à la vitesse de fermeture des deux lobes de la feuille de dionée. Et l'ont vient encore de découvrir un méga piège : un lacet huit fois plus gros que ceux évoqués ici...

Curieusement, on a pu observer que les champignons fabriquent des pièges en présence de leur proie, et non (ou peu) en leur absence. C'est donc la présence du ver qui induit l'élaboration du piège qui le perdra. Lavés avec de l'eau où on vécu ces vers, les champignons forment aussitôt leurs pièges. mais l'eau ordinaire ne déclenche aucun effet. Ce qui prouve que les vers sécrètent une ou des substances capables d'induire l'élaboration des pièges qui les tueront : curieux effet boomerang, étrange forme de suicide !

La décimation des vers nématodes du sol est sans doute utile pour la régulation des grands équilibres de la nature : car ce sont de redoutables ravageurs de cultures. On peut en compter jusqu'à 20 millions par mètre carré ! Les tailles sèches que produisent les champignons carnivores dans ces généreuses populations ne peuvent donc que contribuer à protéger les plantes victimes de ces vers prolifiques. Bel exemple d'une alliance objective entre une plante et un champignon associés dans leur lutte contre l'ennemi commun, belle forme de symbiose écologique ! Ils prouvent une fois encore que la nature ne fonctionne pas seulement à coups d'agression, mais pratique aussi la coopération, l'entraide, l'échange de services.

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Karine-Lou Matignon entame un dialogue fécond avec différents scientifiques dans La plus belle histoire des animaux (Éditions du Seuil, 2000), ici avec Pascal Picq :


- Très récemment, on a découvert du collagène dans un champignon. Or, on sait que cette protéine est nécessaire à la cohésion des os, de la peau et des muscles Ce qui fait que, d'un point de vue des relations de parenté, les champignons sont plus proches des animaux que des plantes.

- Pourtant ce champignon n'est pas un animal ?

- Non, en effet. Ce n'est pas non plus une plante puisqu'il n'a pas de chlorophylle, c'est un intermédiaire... Le règne animal plonge véritablement ses racines dans le milieu des vers.

 

Dans Les champignons mortels d'Europe (Éditions Klincksieck, collection De Natura Rerum, 2015), Xavier Carteret attire notre attention sur notre comportement irrationnel vis-à-vis des champignons :


Bien sûr, objectera-t-on à juste titre, la dégustation des pissenlits, orties et autres plantes sauvages n'est guère à la mesure gastronomique de celle des morilles, des girolles, de truffes ou des cèpes. L'écart est manifeste, mais la vérité est qu'il ne s'agit pas d'écart mais de gouffre béant. Entre la plante et le champignon, l'homme (armé de sa mesure propre) perçoit un surplus de sensualité chez le champignon. S'il règne une certaine égalité en ce qui concerne le sens visuel, les brèches se creusent quand on évoque l'odorat, le toucher... et le goût. Les odeurs, en général, sont à la fois plus variées et plus présentes chez les champignons que chez les végétaux : le premier geste du mycologue, comme celui du mycophage, est de sentir, et c'est assurément là le dernier du botaniste, l'olfaction constituant un caractère discriminant très mineur dans la détermination des plantes. [...] La gamme des parfums chez les fleurs, apparaît bien monotone comparativement à celle des champignons. Ceux-ci, les bons comme les mauvais, exhalent des senteurs d'une diversité infinie, parfois « banales » parce qu'on est rassasié (le champignon de Paris) parfois incongrues (odeur de « topinambour en train de cuire », de « fumée de locomotive », de barbe de maïs, odeur de sperme, etc.), certaines à devenir fou, soit parce qu'elles sont si complexes qu'on cherche durant des heures le rapprochement convenable, soit parce qu'elles sont puissamment capiteuses : alcool de poire, absinthe... La folie, on le sent, commence à pointer. Avec le toucher, la situation ne va pas s'améliorer : les champignons sont doux, ayant souvent, avouons-le, la tendreté d'un faux-filet. Chez certains, le passage de la pulpe du doigt sur les lamelles évoque le moelleux du lard. [...] Avec les champignons, notre penchant à la sensualité s'emballe, le désir libidineux de mordre à pleines dents dans la chair fraîche tourne parfois au délire ; le « gouffre béant » est creusé par cette forme viscérale et concupiscente de l'hybris. On sait le chiffre vertigineux de « morts par libido » ; malheureusement aussi, on sait que par essence, il ne peut pas changer. C'est pourquoi, peut-être, recense-t-on invariablement chaque année le même nombre de cas d'intoxication par les champignons.

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Selon Pauline Agator, dans un "Paradigme mycélaire et pouvoir messianique des champignons : une épistémologie de crise. Paul Stamets, Mycelium running : how mushrooms can help save the world. Berkeley : Ten Speed Press, 2005| Anna L. Tsing, Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, trad. Philipe Pignarre. Paris : La Découverte, 2017". (Revue d’anthropologie des connaissances, 2020, vol. 14, n°14-4) :


[...] À l'heure de crises environnementales et sociales, les auteurs s'inscrivent dans une forme d'épistémologie incantatoire, emploient une rhétorique messianique et présentent le règne des Fungi comme une Arche de Noé pour le vivant et la connaissance humaine. En alternative à un nomos humain dominant, dont les régulations sont incompatibles avec la survie des écosystèmes qui l'ont vu naître, le nomos fongique régule, mais survit aux crises. À ce titre, le paradigme mycélaire définit un modèle comportemental viable et répond à un état de crise généralisé. La vulgarisation par Tsing et Stamets des connaissances mycologiques interpelle un large public concerné par l'administration des politiques environnementales, économiques et de la connaissance. Ils proposent par la médiatisation de leurs travaux une révolution copernicienne de pensée et de perception du monde que nous habitons. Là où, dans la tradition aristotélicienne, les lois humaines, le nomós, s'opposent aux lois naturelles, la physis, autrement dit, aux lois de toutes les autres formes de vie, les auteurs invitent à un décentrage de l'Anthropos et à sa réinsertion dans une matrice interspécifique résiliente, coordonnée par un réseau tellurique dont tout reste encore à explorer.

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Selon Anna Tsing, auteure de l'article intitulé « Résurgence holocénique contre plantation anthropocénique », (Multitudes, vol. 72, n°3, 2018, pp. 77-85.) :

Les plantes n’occupent pas automatiquement les lieux ; leurs assemblées se forment à travers des négociations inter-espèces. Dans le reste de cet article, j’utilise les relations entre les champignons et les plantes pour représenter les nombreux types de relations multiespèces par lesquelles émergent la résurgence de l’Holocène, d’une part, et la prolifération de l’Anthropocène, d’autre part. Les champignons sont des acteurs importants dans la fabrication du paysage ; et pourtant, la plupart d’entre nous ne leur prêtons pas grande attention. Ils sont donc de bons ambassadeurs de tous les mondes cachés dont l’existence rend possible la soutenabilité des modes de subsistance, y compris ceux des humains. Dans ce qui suit, je considère deux modes de vie fongiques distincts, que nous pourrions considérer comme équivalents de la « chasse » et de l’« agriculture8 ». Mes champignons-chasseurs sont des décomposeurs. Ils localisent les proies végétales, et s’y installent pour se régaler. En abattant les arbres stressés et en fournissant des nutriments aux nouveaux arrivants, ils permettent le renouvellement forestier. Mes champignons-agriculteurs, eux, forment des liens symbiotiques appelés mycorhizes avec les racines des arbres. Comme les agriculteurs, ils prennent soin de leurs plantes, leur fournissant de l’eau et des nutriments. En retour, les plantes leur procurent un repas glucidique. Les deux modes de vie sont importants pour la résurgence de l’Holocène, mais je me concentre d’abord sur les mycorhizes. Je me tournerai ensuite vers les décomposeurs pour montrer comment la plantation bloque la résurgence, et génère par là même une ingérable prolifération.

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Usages traditionnels :


Le Dr Lucien-Marie Gautier, auteur de Les Champignons considérés dans leurs rapports avec la médecine, l'hygiène publique et privée, l'agriculture et l'industrie (Librairie J. B. Baillière et fils, 1884) mentionne une liste de champignons utilisés pour leurs qualités en teinture :


1. -Utilité dans les arts et dans l'industrie.


Un certain nombre de Champignons fournissent à la teinture des éléments utiles ; ainsi le Polyporus igniarius donne aux teinturiers un principe colorant en brun noir ; le Polyporus hispidus sert aux mégissiers pour colorer certaines peaux en marron fauve, aux ébénistes et aux menuisiers pour teindre en brun certains bois, et aux teinturiers pour donner la même couleur à la soie, à la laine et au coton ; l'Hexagona mori ou Bolet, du mûrier blanc est usité en Italie pour donner à divers tissus une couleur très solide jaune verdâtre, jaune chamois et jonquille, suivant la proportion employée et la durée de la macération du tissu ; le Polyporus sulfureus est employé quelquefois pour teindre en jaune ; le Polysaccum crassipes ou tinctorium est usité aux Canaries, en Italie, aux environs de Nice, etc., pour teindre en brun la soie, le fil et la laine, le principe colorant paraissant surtout constitué par les spores ; plusieurs Russules, à chapeau rouge, ont fourni à Filhol, de Toulouse, une belle couleur rouge ; et Bulliard a obtenu une couleur d'un beau bistre rougeâtre de la variété violette de la Tremella mesenteriformis (Tr. lutescens Fr.) , var. violascens.

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D'après Pierre Leutaghi, auteur d'un article intitulé "Aux frontières (culturelles) du comestible" (Éditions Presses Universitaires de France | « Ethnologie française », 2004/3, Vol. 34 | pages 485 à 494) :

[...]

Sans aller bien loin côté mycophagie (sauf à doubler l’article), on rappellera que la cueillette des champignons se situe dans une sorte d’annexe forestière du monde urbain, prodigieusement élargie dans la deuxième moitié du XXe siècle, qu’elle hérite assez peu des savoirs et des pratiques de la tradition orale. Dans la banalisation d’un aliment de ramassage que les paysans laissaient souvent aux crapauds (et autres bêtes suspectes supposées s’en nourrir), il vaut voir en premier lieu l’incidence du sybaritisme bourgeois postrévolutionnaire, où les gastronomes s’emparent de ces saveurs rares, guidés par des botanistes du même bord social (ils sont médecins, notaires, « rentiers » 8 ...). On ne saurait négliger le rôle de ces citadins nantis, assez riches et lettrés pour acquérir et manier les coûteuses iconographies descriptives, dans la genèse de l’engouement moderne pour les champignons. Amplifiant les savoirs partiels de la tradition orale, il y a bien eu, aux temps romantiques, émergence d’une connaissance qu’on peut aujourd’hui qualifier de « populaire », à partir d’une initiation savante. Celle-ci se perpétue à travers des manuels désormais accessibles à tous, la plupart rédigés par de vrais spécialistes, contrairement à ce qui concerne aliments de ramassage et plantes médicinales : l’erreur, ici, ne pardonne pas.

Outre les quelques espèces sûres, facilement identifiables, souvent consommées autrefois, cèpes, chanterelles, pied-de-mouton, rosé des prés, etc., toujours les plus ramassées, on voit de nos jours la cueillette s’étendre à beaucoup de champignons rejetés en bloc par l’ancienne société rurale. Cette évolution tient pour l’essentiel aux guides de mycologie grand public, dont la multiplication, dans les dernières décennies du XXe siècle, croît avec le taux de population en zones urbaines. Devenu populaire au point de s’apparenter, en certaines régions, à une prédation massive, le ramassage des champignons est sûrement l’un des plus forts systèmes compensatoires mis en place par nos sociétés citadines dans la négociation symbolique avec une nature jamais autant perdue que rêvée – car, ici, de surcroît, le symbole se déguste, la terre sauvage doit s’avouer nourricière en même temps que ludique.

Fréquenter les champignons, c’est croiser du poison expert en maquillage. Il y a bien péril mortel ; d’autant plus que les meilleurs manuels ne cernent jamais tout, laissent toujours des zones d’incertitude en blanc. L’acte de cueillette, et surtout de consommation, en devient quelque peu héroïque, frisson ignoré des pères tranquilles de la girolle. Qui n’a pas franchi l’épreuve initiatique du sauté d’amanites golmotes, qu’on aura bien distinguées l’une après l’autre de leurs proches cousines panthères qui poussent dans le même bois, ne sait rien des victoires primitives de la raison. La part de risque n’est pas sans ajouter au plaisir de la mycophagie hors normes

Mais l’engouement extraordinaire de notre temps pour les champignons relève aussi de leur nature même. Plantes ? les livres seuls l’affirment. Pas de feuilles, pas de fleurs, ni pépins ni noyaux, rien que de la chair. Les pionniers du végétarisme parlent bien de « chair végétale », affirment une valeur nutritive analogue à celle de la viande – et leurs descendants en font un composant majeur des substituts de pâtés. Avec un chapeau entier de coulemelles frits à la poêle, on fait un steak des plus convenables. Les gastronomes du XIXe siècle contribuent à valoriser cette chair dont ils explorent et célèbrent les richesses gustatives. La médecine vient d’abandonner les représentations hippocratiques du corps, des aliments et des remèdes. Les milieux éclairés n’ont plus rien à faire des « qualités » ; peu leur importe la « froideur » jadis attribuée à ce qui entre désormais dans le registre du plaisir.

Les champignons s’accordent aux représentations contemporaines de la nourriture ; ils passent du sous-bois à l’assiette sans requérir ces opérations compliquées qui voudraient civiliser les petites ressources sylvestres ; ils étendent magnifiquement le champ des saveurs ; à eux seuls, ils font désormais une catégorie de la classification implicite des comestibles, plus carnée que végétale, mais pas animale pour autant, naturelle s’il en est, pas trafiquée 9 . Aussi vivent-ils désormais dans leur temps, aliments modernes qui répondent entièrement à nos critères, et que survalorise l’appartenance au sauvage, à l’originel-dont-on-a-tant-besoin.

Bien sûr, la Grande Déesse, la Mère des forêts ne saurait toujours dispenser de telles largesses sans une contrepartie sacrificielle. De temps à autre, comme les chiens d’Artémis dévoraient un chasseur, ces petites Parques à volve et à lamelles cassent un fil, rappellent que l’ordre du froid reste intact sous les feuilles mortes, occupé à élaborer les grands poisons.

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Magdalena Koźluk, autrice de "Se nourrir et se soigner : jardin et médecine pratique aux XVIe et XVIIe siècles." (In : Seizième Siècle, N°8, 2012. Les textes scientifiques à la Renaissance. pp. 209-225) rappelle la mauvaise réputation initiale des champignons :


Certaines anecdotes racontées par les médecins, visent franchement à avertir sinon à terrifier le consommateur potentiel. C’est ainsi que certaines plantes du jardin deviennent elles-mêmes, les dramatis personæ d’un vrai théâtre d’horreur. Les champignons par exemple « ne sont bons qu’à estre jettez par la fenestre sans en gouster » et servent avant tout comme poisons efficaces. La preuve ?


L’impératrice Agrippine les a rendus infames et suspects se servant d’iceux pour empoisonner l’Empereur Claude son mary, afin de faire regner son fils Neron ; il en mangea, mais plus rien apres, car il en mourut, comme dit Juvenal Sat. 5.


Si un exemple venu de l’Antiquité ne paraît pas suffisant, Guy Patin, se laissant aller au plaisir de l’amplificatio, en citera d’autres :


Clement septiesme, de la maison de Medicis, en estoit si friand que tous les jours à son souper il en mangeoit un plein plat. Il avoit fait defence aux pays de son obeïssance, que personne n’eust à en cueillir que pour luy. Aussi mourut-il tost apres, et sa mort monstra combien un mauvais regime sert à l’homme à luy accourcir la vie.

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Dans son mémoire intitulé Diversité et usage des champignons sauvages dans la commune de Pobe, (soutenu le 18 avril 2013) Jean Evans I. CODJIA rappelle brièvement l'importance des champignons dans la culture humaine :


Depuis l’antiquité, les champignons sauvages sont reconnus pour leurs effets bénéfiques sur la santé :

  • les grecs les considéraient comme source de force pour les guerriers dans les batailles ;

  • les pharaons les prisaient comme des mets raffinés ;

  • les romains les considéraient comme la nourriture des dieux (fêtes) ;

  • les vikings devenaient fous furieux en les goûtant ;

  • les populations d’Amérique du sud franchissaient les barrières physiques et spirituelles grâce à leur activité hallucinogène.

Il y a des champignons sauvages utilisés à des fins médicinales et toniques comme :

  • Lycoperdon spp. est utilisé pour arrêter les hémorragies d’une blessure externe ;

  • Lentinus edodes est utilisé comme antitumoral et hypoglycémique ;

  • Psylosibe spp. est consommé lors de cérémonies religieuses (Mexique).

Par ailleurs, des champignons sont domestiqués et consommés pour leurs caractéristiques gustatives et médicinales :

  • Lentinus edodes est utilisé comme antitumoral et hypoglycémique ;

  • Pleurotus ostreatus, comme aliment et pour ces propriétés nutritionnelles ;

  • Flammulina velutipes, en cuisine en Chine et au Japon, Antitumoral ;

  • Hericium erinaceus, en cuisine traditionnelle et pour des recettes médicinales ;

  • Ganoderma japonica, effets aphrodisiaques.

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Mythes et légendes :


Charles Richon, auteur d'un Atlas des champignons comestibles et vénéneux de la France et des pays circonvoisins. (Doin Éditeurs, 1888) fait référence à Ovide :


Nous trouvons, dans ses Métamorphoses (Liv. VII, 3924 vers et suivant) un passage du voyage fantastique de Médée à Corinthe, où l'effet de la pluie sur la naissance des Champignons est brièvement indiqué.

« C'était là où, d'après une ancienne tradition, des mortels naquirent autrefois de Champignons produits par la pluie ? ».

 

D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


CHAMPIGNON. — A cause de leur génération apparemment spontanée, Porphyre appelait les champignons fils des dieux. Le héros solaire se cache parfois sous un champignon ; dans ce cas, évidemment, le nuage est représenté comme un champignon. Le héros solaire, dans la mythologie populaire indo-européenne, apparaît sous la forme d’un roi des pois qui monte au ciel. Quand donc nous lisons, dans un conte russe d’Afanassieff (IV, 35), que les champignons livrent bataille au roi des pois, la signification de ce conte mythologique ne semble pouvoir être que celle-ci : les nuages livrent bataille au soleil. On m’écrit de la Terra d’Otranto que l’on y croit vénéneux les champignons qui poussent près du fer, du cuivre, ou de quelque autre métal. Cette croyance tient sans doute à l’usage peut-être tout aussi superstitieux de jeter une pièce de métal dans l’eau où l’on fait bouillir les champignons, avec l’idée que la substance vénéneuse des champignons, dès qu’on les cuit, s’attache immédiatement aux corps métalliques.

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Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Dans la presqu'île guérandaise on prétend que là où les sorciers ont dansé, un champignon pousse sous chacun de leurs pas.

[...] Dans le Mentonnais, pour trouver des champignons, ou doit mettre sa veste à l'envers. En Gascogne, quand on en a cueilli un, on récite cette formulette :

Champignon, petit champignon,

Fais-moi trouver ton compagnon.

[...]

Les cryptogames, à cause du mystère qui entoure leur apparition, et de leur forme sont en relation avec la sorcellerie. En Haute-Bretagne ils sont appelés Ronds de sorcières, et au dessous se trouvent des crapauds ; le nom de trônes de crapauds, qu'ils portent en pays bretonnant, sembla indiquer que ces batraciens, dont les accointances avec les sorcières sont fréquentes (cf., t. 111, p. 281 et suiv.) s'en servent en guise de sièges. Les paysans du Maine et ceux de l'Ille-et-Vilaine ont soin de ne pas laisser les vaches manger les champignons mous parce qu'ils ont été déposés par les charmeurs qui veulent tirer le beurre.

[...] Dans le Maine, les champignons, presque tous confondus sous le nom générique de pis de chien, sont le venin de la terre, son mauvais sang qui sort en pustules ; aucun paysan ne consentirait à en manger.

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Charles Stépanoff, auteur de “Coordonner les imaginaires : mythologie et art ornemental ket”, (In : Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [Online], 121 | 2014) rapporte le mythe suivant :


Un autre mythe relevé par Anučin décrit ainsi l’origine des hommes :


À l’origine, il n’y avait que des femmes, pas d’hommes. Des phallus poussaient en abondance dans les forêts et les femmes allaient en chercher selon leurs besoins. Une femme en prit un chez elle, mais il se coinça quelque part et ni elle ni ses voisines ne purent le retirer, de sorte que toutes se mirent à pleurer. Es’ [« Ciel »] leur envoie alors un homme (sans phallus) qui parvient à déloger le phallus. Reconnaissantes, les femmes lui donnent à boire et à manger, de sorte que, ses deux mains étant occupées, l’homme se cale le phallus entre les jambes. S’apprêtant à partir et à le retirer, il s’aperçoit qu’il est collé. Les femmes s’en réjouirent et gardèrent l’homme. Les phallus des forêts sont devenus des champignons – les Russes en mangent.

Ce mythe attribue aux hommes et aux femmes des origines différentes et accorde aux femmes une existence plus ancienne, indépendante des hommes. Alors que les hommes ont une origine céleste, les femmes paraissent d’origine terrestre, ce qui est concordant avec le caractère féminin de tous les esprits terrestres, appelés des « mères ». À l’inverse, les termes désignant des objets verticaux comme les perches et les mâts appartiennent sur le plan linguistique à la classe des noms masculins, réservée aux êtres mâles ou aux phénomènes socialement importants. Findeisen rapporte que les hommes ket qu’il interrogea considéraient la femme comme un être « incomparablement inférieur » en raison de son « impureté ».

Ce point de vue masculin était toutefois loin de s’imposer comme une évidence aux femmes. Le solstice d’été était l’occasion d’une fête au cours de laquelle les vieilles femmes dansaient dénudées autour du feu dans le sens solaire, en se tenant les seins et en chantant notamment : « Si ma vulve (lus) avait des dents, elle arracherait le pénis (bys) ». Ces paroles renvoyant au thème menaçant de la vagina dentata évoquent la possibilité d’un retour à l’époque décrite par le mythe où les femmes disposaient de pénis séparés du corps des hommes.

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Antoinette Charbonnel et Lyra Ceoltoir, autrices de L'Oracle de la Magie forestière (Éditions Arcana sacra, 2021) nous confient que :


Dans la mythologie scandinave, il est dit qu'ils sont nés de l'écume tombée de la bouche de Sleipnir, le coursier à huit pattes d'Odin, lancé au grand galop. En Polynésie, ils sont une manifestation du Mana, la puissance spirituelle de l'Univers.

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En Occident, le christianisme leur a dressé une réputation aussi sulfureuse que celle du sabbat des sorcières (auquel ils étaient souvent associés, d'ailleurs, en témoignent les Ronds de Sorcières, ces cercles de Champignons qui étaient réputés pousser justement à l'endroit où s'était tenu un sabbat) et les a associés au Diable et aux sorcières. On en retrouve trace aujourd'hui dans un grand nombre de noms vernaculaires, comme le bolet Satan ou la trompette de la mort. Plus sympathiquement, ils furent aussi associés au Petit Peuple, en témoignent les noms de selle de dryade ou autre casquette de nains. Les fameux Ronds de Sorcières, dans les îles britanniques sont d'ailleurs appelés des Cercles de fées (fairy rings). Qui, aujourd'hui, n'a pas en tête l'image de la vile sorcière au nez crochu ramassant des champignons (des amanites, évidemment) au clair de lune, pour ses potions ?

D'ailleurs, cette image n'est pas si fausse que cela, car les champignons sont de merveilleux outils de magie.

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Chansons :


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Arts visuels :

Samurai Champloo_ le métissage culturel comme vecteur de revitalisation
. Culture populaire
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Laurence Perron, "Samurai Champloo : le métissage culturel comme vecteur de revitalisation. Culture populaire et tournesols." (2017) =>






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