Anne
La Sirène
Étymologie :
SIRÈNE, subst. fém.
Étymol. et Hist. I. A. 1. Fin xie s. sereine (Raschi, Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 1, p. 130) ; 1121-34 serena (var. sereine) « être fabuleux de la mythologie grecque » (Philippe de Thaon, Bestiaire, 1361 ds T.-L.) ; 1377 syrene (Oresme, Livre du ciel et du monde, éd. A. D. Menut et A. J. Denomy, 126d, 5-6) ; 1461-62 a voix de seraine (Villon, Ballade des dames du temps jadis, éd. Rychner et Henry, Testament, p. 346) ; 1604 « femme douée d'un dangereux pouvoir de séduction » (Montchrestien, Les Lacenes, éd. Petit de Julleville, p. 163) ; 2. 1852 hérald. (Grandm.). B. 1. 1819 syrène « appareil destiné à produire un son de hauteur variable et permettant de mesurer cette hauteur » (Rapport du Jury central sur les produits de l'industr. fr., chap. XXIV, p. 231) ; 2. 1888 « puissant appareil sonore destiné à produire un signal utilisé d'abord sur les navires dans les ports » (Maupass., Pierre et Jean, p. 107). II. 1671 « sorte de mammifère marin » (Bouhours, Entretiens d'Ar. et d'Eug., 1 ds Littré) ; 1805 « reptile batracien de la famille des Sirénidés » (Cuvier, loc. cit.). I empr. au b. lat. sirena, lat. siren « être fabuleux de la mythologie grecque », fig. « qui chante agréablement », gr. Σ ε ι ρ η ́ ν « génies mi-oiseaux, mi-femmes qui dans l'Odyssée attirent par leurs chants les navigateurs et causent leur perte », fig. « femme habile à séduire ». II mot lat. zool. siren (Linné, Syst. Nat.).
Lire également la définition du nom sirène afin d'amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
Selon Didier Colin, auteur du Dictionnaire se symboles, des mythes et des légendes (Larousse Livre, 2000) :
"Lorsqu'une sirène surgit dans un rêve, c'est surtout à son chant et à ce qu'il symbolise qu'il faut être attentif : l'autosuggestion, l'envoûtement, l'hypnose. Dès lors, celle ou celui qui est en présence d'une sirène dans son rêve est souvent en proie à une fascination, à une idée fixe qui guide et fausse sa raison et tous ses actes. A l'instar de la sorcière, elle est un peu une sorcière des mers, elle détourne l'homme de lui-même.
Toutefois, la sirène possède aussi un autre aspect, ambigu toujours mais beaucoup plus bénéfique et enchanteur. En effet, elle est aussi une figure de la Déesse de la mer, incarnée par exemple par Aphrodite-Vénus, dont la légende mythique révèle qu'elle surgit des flots, née du sperme de son père Ouranos qui, avant d'être émasculé, éjacula une dernière fois à la surface des eaux. Morgane, la déesse-fée celtique, elle aussi a surgi des flots, son nom signifiant tout simplement "femme de la mer". De ce fait, la sirène doit aussi être associée aux charmes de l'amour, qui peuvent également détourner l'homme de lui-même, le plonger dans un état second, dans une espèce d'envoûtement. On dit ainsi d'un homme amoureux qu'il est sous le charme de la sirène, et d'une femme pourvue d'un grand pouvoir de séduction irrésistible que c'est une sirène. Cependant, l'âme et l'inconscient n'ayant aucun de nos préjugés sexistes, quel que soit son sexe, lorsqu'on rêve d'une sirène, on peut tout aussi bien être sous le charme de son propre pouvoir de séduction et d'autosuggestion, victime de ses propres illusions."
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Gillian Kemp, dans le livret de son jeu de cartes intitulé Sirènes & Dauphins et autres créatures fantastiques du royaume de Poséidon (édition originale, 2007 ; traduction français Éditions Contre-Dires, 2008) nous rappelle :
L'essentiel sur les Sirènes : Dans tout ruisseau, cascade, rivière, source, puits, lac, mare et mer vit un esprit aquatique doué du don de prophétie. Les sirènes, créatures surnaturelles dotées d'une beauté éblouissante, personnifient le charme et le mirage de la mer. La moitié supérieure de leur corps est celle d'une jeune femme, l'inférieure, celle d'un poisson. Ce sont des esprits bienveillants, qui soignent les malades. Nourries d'ambroisie, le miel spirituel de la vie, elles restent éternellement jeunes et belles.
Le torse dénudé de la sirène incarne la déesse-mère ou la déesse de l'amour, la sagesse dépassant le savoir, la gentillesse, l'éducation, l'abri, la croissance, la nourriture et la fertilité. Les sirènes symbolisent le domaine physique intérieur, la voix de l'intuition humaine et les pouvoirs vivifiants demeurant dans le subconscient de toute personne.
La queue de poisson de la sirène évoque les créatures à sang-froid, qui ne sont pas gouvernées par la chaleur de la passion. L'être mi-femme mi-poisson symbolise donc l'attrait et la confrontation de la peur de la voie foncièrement primitive, sans pitié, des débuts de la vie humaine. Revenir à la mer, c'est retourner à la mère - mourir, pas littéralement, mais découvrir la véritable source de vie et se détourner du comportement vil, exécrable, pas tout à fait humain, afin d'être toujours chaleureux et affectueux.
Mi-humaines mi-poissons, les sirènes représentent le sentiment d'unicité que peut éprouver toute personne assez hardie pour explorer la vibration spirituelle éternelle de grande sagesse qu'elles personnifient. Les mers, les fleuves, les lacs et les rivières où elles vivent signalent qu'il n'y a pas de frontières géographiques et symbolisent la cohésion de la conscience de l'amour, source universelle de toute création.
Dans de nombreux pays, les sirènes mentionnées par le folklore et la légende ont pullulé pendant des siècles dans les eaux douces plutôt que dans les mers. Le nom anglais de la sirène," mermaid " signifie "jeune fille du lac", de "mere", terme désignant le lac, et "molgs", jeune fille. Une "merewif ", femme ou épouse du lac, apparaît dans Beowulf, le texte littéraire en vieil anglais le plus notable; Chaucer parle lui aussi d'une "mere-maid ". Les contes populaires du monde entier abondent d'histoires de sirènes et de dames des eaux.
Comme il y a des sirènes, il y a des tritons, ainsi que leur progéniture, les enfants-poissons. L'apparence de ces derniers varie, la moitié supérieure ayant soit l'aspect d'un bébé de six mois, soit celui d'un enfant de trois ans,, une queue de poisson s'étirant au-dessous de la taille.
On raconte qu'il y a eu des mariages d'amour entre sirènes et tritons, et entre sirènes et humains, cependant quand une sirène assume une forme humaine, la liaison mortelle apporte ordinairement désastre et chagrin.
La plupart des légendes suivent l'un des trois schémas classiques. Le premier, une sirène tombe amoureuse d'un homme qu'elle convainc d'abandonner la terre pour vivre avec elle dans l'eau. Le deuxième, une sirène amoureuse d'un homme sacrifie la mer pour vivre avec lui sur la terre ferme. Le troisième, un triton tombe amoureux d'une femme et quitte la mer pour la terre. Le bonheur ne dure jamais et le triton retourne dans l'eau. Le mythe suggère symboliquement qu'il n'y a pas de bonheur durable sans retour au subconscient - dans ce cas, la mère, la mer.
Certains tritons sont très laids et rudes, d'autres, beaux. On les voir moins souvent, parce que, à la différence des sirènes, le genre humain les intéresse peu. Les tritons défendent les sirènes et, de par cette protection implacable, incarnent les tempêtes. Ils suscitent de grands vents et font sombrer les marins qui ont fait du mal à une sirène ou à un triton;
Les divers genres de sirènes et tritons vivent dans des lieux spécifiques. On dit que les femelles merrow et les mâles merrow vivent parmi les caissons à homard. Les femelles merrow ont la peau pâle, de beaux yeux sombres, une chevelure flottante, des doigts palmés et une queue de poisson. Les mâles merrow ont des yeux clairs, la peau et les dents verdâtres, et sont extrêmement laids. Leur nez rouge pointu s'accorde au bonnet qui leur permet de respirer sous l'eau. Comme pour les roanes et les selkies, les descendants d'une union avec un humain ont la peau écailleuse. On dit que les merrows gardent les âmes des pêcheurs morts dans les "cages d'âmes" en algues tressées. Joviaux, ils pensent que les âmes ont de la chance d'avoir un endroit où rester.
On raconte que des sirènes et des tritons étaient parfois capturés et, menacés de mort, étaient obligés de prédire l'avenir et d'exaucer les vœux. Ce faisant, la sirène ou le triton ajoutait toujours une malédiction pour punir l'impudence humaine.
Si un enfant-poisson, un mermaele, était attrapé par un pêcheur, il était d'habitude rejeté immédiatement à l'eau. Parfois, on le conduisait sur la terre ferme et on lui offrait du lait, auquel il réagissait en roulant ses yeux pour mieux voir l'environnement inconnu où il se retrouvait. Ses ravisseurs voulaient avant tout connaître l'avenir. Après 24 heures, la créature était remise à la mer, à l'endroit précis où elle avait été capturée. Le non-respect de cette coutume était supposé attirer le désastre sur ses ravisseurs.
Bien que normalement bienveillantes, les sirènes peuvent devenir dangereuses, entraînant sous les eaux les mortels charmés par leur beauté. Les sirènes sont fières de leur voix douce, persuasive, enchanteresse, qui rend difficile de résister à leur invitation. On raconte que c'est grâce à son peigne, à son miroir et à son chant que la sirène, assise sur un rocher, séduit les marins et les conduit à leur mort.
On pensait jadis que les fleuves descendaient du Ciel pour balayer les erreurs humaines. A ce jour, cette croyance perdure en Inde, où le fleuve Gange consume les péchés des dévots hindous. Les pèlerinages vers des sources situées le long du fleuve sacré purifient les méfaits.
Les fleuves représentent le pouvoir créatif de la nature et du temps. Ils symbolisent la fertilité et l'irrigation progressive du sol, ainsi que le passage irréversible du temps et le sentiment de perte qui s'ensuit.
Beaucoup de cultures anciennes, dont la culture slave, priaient et offraient des sacrifices aux sources, aux puits, aux cascades, aux torrents et à l'océan. Les bains, les ablutions et les couronnes de fleurs jetées dans les eaux étaient partie intégrante du culte des esprits qui protégeaient les navigateurs et les marins, en plus d'offrir guérison, protection et réconfort aux enfants malades. La coutume de jeter une pièce de monnaie dans une fontaine ou un puits vient de la croyance que les dieux de l'eau vivent dans des châteaux magnifiques remplis de trésors qui doivent s'accroître.
Demander le pardon de l'eau : Pour se faire pardonner leurs péchés et pour soigner leurs maladies, les gens priaient la déesse de la mer, mère des sirènes et des esprits des eaux. A cette fin, ils jetaient dans l'eau un morceau de pain, saluaient celle-ci et récitaient trois fois un exorcisme :
"Je viens à toi, mère eau,
Tête baissée et repentant,
Pardonne-moi, pardonne-moi,
Et vous aussi, ancêtres et aïeux des eaux."
Jusque vers la fin du XIXè siècle, l'existence d'une race de créatures aquatiques mi-humaines mi-poissons faisait partie du savoir ancestral des marins et des habitants des côtes. Les rivages balayés par les tempêtes et les brumes fréquentes sont le théâtre de mystérieuses légendes de sirènes, de navires fantôme et d'esprits des noyés. Les histoires vont de l'imaginaire au semi-historique, remontant à des époques où les gens croyaient dur comme fer à la magie.
Des pièces de monnaie phéniciennes sont ornées des emblèmes d'hommes-poissons, du dieu poisson Oannes et de la déesse Aphrodite accompagnée de ses suivantes mi-humaines mi-poissons. Oannes, Seigneur des eaux, arbore une tête de poisson en guise de couvre-chef, le reste du poisson formant son manteau, avec la queue touchant ses chevilles.
Le Domesday Book (Livre du jugement dernier) islandais, englobe un compte rendu de la capture d'un triton au large de l'île de Grimsey.
Une sirène capturée en 1531 dans la mer Baltique avait été offerte au roi Sigismond de Pologne. elle n'avait vécu que trois jours, pendant lesquels l'ensemble de la cour était venu la voir.
En 1717, un livre dédié au roi Georges 1er de Grande-Bretagne montre l'image d'une sirène, avec la légende : "Un monstre ressemblant à une sirène a été capturé près de l'île de Borne ou Boeren, dans le département d'Amboine. Il était long de 59 pouces (1.50 m) et avait les proportions d'une anguille. Il a vécu dans une cuve remplie d'eau pendant sept jours et sept heures. De temps à autre, il émettait de petits cris, comme ceux d'une souris. Il a refusé la nourriture, bien qu'on lui ait offert de petits poissons, des coquillages, des crabes, des homards, etc."
The Gentlemen's Magazine de janvier 1747 parle d'une sirène : "qui a la forme d'un corps humain depuis le tronc vers le haut et est un poisson au-dessous. Elle a été transportée à quelques kilomètres au sud en remontant le Devron."
Presque 60 ans plus tard, The Shipping Gazette parle de marins ayant vu une sirène : "Ressemblant une femme aux grands seins, au teint sombre, au beau visage."
Une chanson de marins parle d'un navire sombrant au fond de la mer :
"Un vendredi matin, quand nous levions la voile,
Et notre navire n'était pas loin de la terre,
Nous avons aperçu une très belle jeune fille,
Avec un peigne et un miroir dans sa main."
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Dans Vert, Histoire d'une couleur (Éditions du Seuil, 2013) Michel Pastoureau s'attache à retracer l'histoire de la perception visuelle, sociale, culturelle de cette couleur en Occident, de l'Antiquité au XIXe siècle. C'est aussi l'occasion d'évoquer d'autres éléments de la symbolique liées à la couleur verte. Ainsi :
"Dans l'eau vivent d'autres créatures vertes tout aussi négatives [que le serpent et le dragon]. [...] La sirène l'est également. C'est une créature hybride, mi-femme mi animal. Dans l'Antiquité, elle était le plus souvent oiseau ; au Moyen Âge, elle est surtout poisson. Son corps, féminin et superbe dans la partie supérieure, se termine par une inquiétante que "empoisonnée" de couleur verte. Les sirènes sont hypocrites et cruelles : elles charment les marins par leur beauté et la douceur de leur chant, les attirent en haute mer et les endorment. Elles montent alors à bord des navires, abusent des dormeurs puis les précipitent dans les gouffres marins ; certaines dévorent même leurs cadavres."
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Oracle :
Selon Gillian Kemp, auteure d'un livret et d'un jeu de cartes intitulé Sirènes & Dauphins et autres créatures fantastiques du royaume de Poséidon (édition originale, 2007 ; traduction français Éditions Contre-Dires, 2008), la Sirène peut servir d'oracle :
La Sirène : Mot-clef = Décision
De même que la sirène charme par son chant doux, vos mots suscitent la réaction désirée. Une invitation à laquelle il est difficile de résister arrivera d'une personne qui vous est émotionnellement attachée. Vous devez accepter les gens qui viennent délibérément vers vous et laisser aller les autres. Une relation ne s'achèvera pas bien si elle a mal commencé. Des signes révélateurs peuvent vous pousser à questionner l'honnêteté d'autrui : il se peut que la honte soit secrète. L'homme imprudent qui s'approche d'une sirène ne reviendra jamais, car les sirènes étaient es déesses perfides, invoquées à l'instant de la mort. Comme la sirène, vous charmez en douceur - pas en jouant d'une lyre ou d'une flûte mais grâce à votre esprit observateur.
Le Sac de la Sirène : Mot-clef = Naissance
Attendez un éveil fertile de la nature et le début d'une nouvelle vie extraordinaire. Ce qui semble non-existant existe parce que la croissance du poisson commence à l'intérieur de la coquille de son œuf. Dépositaire de la nouvelle vie, le sac de la sirène (en fait, oreiller de mer) représente l'énergie vitale et la guérison mystique dans tous les domaines de la vie quotidienne. C'est un emblème d'immortalité et d'espoir dans la vie future.Un désir de longue date sera satisfait. Le temps vous aide à exploiter au maximum les possibilités. Surfez sur les vagues du destin, car la marée tourne avec régularité.
NB. Oreille-de-mer = ormeau.
Le Rocher de la Sirène : Mot-clef = Union.
Votre prière sera exaucée. Vous découvrirez ce qui est infiniment bon pour vous et recevrez la pierre ouvrée que que vous désiriez. Le rocher de la sirène annonce vos capacités latentes : l'éducation et une diversité d'affinements éveilleront en vus l'aspect sacré et l'aspect mystérieux qui engendrent la solidité et la cohésion. Il représente une extension du divin qui est immuable, solide et éternel. La victoire dépend de la force inhérente et la fondation immuable de votre foi. Le rocher de la sirène symbolise la demeure sublime des âmes des ancêtres disparus, qui, en faisant partie de vous, offrent bénédictions et aide. Le lien d'amour est éternel, sauf si votre cœur a été transformé en pierre.
Le Gant de la Sirène : Mot-clef = Confident.
Grande éponge avec des branches ressemblant à des doigts, le gant de la sirène (la chaline) prédit que quelqu'un vous jurera une foi éternelle. Un compagnon deviendra aussi proche qu'un gant l'est de la main. Deviner un secret qui surprendra le partenaire présente un défi à affronter. Certain de ne pas perdre, vous acceptez la compétition amicale, car il n'y a pas d'autre moyen de régler un problème. Vous serez récompensé pour avoir montré un peu de gentillesse. Vous obtiendrez une position élevée en délaissant la réalité quotidienne et en exécutant ce que l'ordre exige. Vous n'avez aucun mal à faire une chose que vous connaissez. Vous êtes un gagnant prêt à tout affrontement.
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Littérature :
Les Sirènes
Les Sirènes chantaient... Là-bas, vers les îlots, Une harpe d'amour soupirait, infinie ; Les flots voluptueux ruisselaient d'harmonie Et des larmes montaient aux yeux des matelots.
Les Sirènes chantaient... Là-bas, vers les rochers, Une haleine de fleurs alanguissait les voiles ; Et le ciel reflété dans les flots pleins d'étoiles Versait tout son azur en l'âme des nochers,

Les Sirènes chantaient... Plus tendres à présent, Leurs voix d'amour pleuraient des larmes dans la brise, Et c'était une extase où le cœur plein se brise, Comme un fruit mûr qui s'ouvre au soir d'un jour pesant !
Vers les lointains, fleuris de jardins vaporeux, Le vaisseau s'en allait, enveloppé de rêves ; Et là-bas — visions — sur l'or pâle des grèves Ondulaient vaguement des torses amoureux.
Diaphanes blancheurs dans la nuit émergeant, Les Sirènes venaient, lentes, tordant leurs queues Souples, et sous la lune, au long des vagues bleues, Roulaient et déroulaient leurs volutes d'argent.
Les nacres de leurs chairs sous un liquide émail Chatoyaient, ruisselant de perles cristallines, Et leurs seins nus, cambrant leurs rondeurs opalines, Tendaient lascivement des pointes de corail.
Leurs bras nus suppliants s'ouvraient, immaculés ; Leurs cheveux blonds flottaient, emmêlés d'algues [vertes, Et, le col renversé, les narines ouvertes, Elles offraient le ciel dans leurs yeux étoilés !...
Des lyres se mouraient dans l'air harmonieux ; Suprême, une langueur s'exhalait des calices, Et les marins pâmés sentaient, lentes délices, Des velours de baisers se poser sur leurs yeux...
Jusqu'au bout, aux mortels condamnés par le sort, Chœur fatal et divin, elles faisaient cortège ; Et, doucement captif entre leurs bras de neige, Le vaisseau descendait, radieux, dans la mort !
La nuit tiède embaumait...Là-bas, vers les îlots, Une harpe d'amour soupirait, infinie ; Et la mer, déroulant ses vagues d'harmonie, Étendait son linceul bleu sur les matelots.
Les Sirènes chantaient... Mais le temps est passé Des beaux trépas cueillis en les Syrtes sereines, Où l'on pouvait mourir aux lèvres des Sirènes, Et pour jamais dormir sur son rêve enlacé.
Albert Samain, "Les Sirènes" in Au jardin de l'infante, 1893.
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Les Sirènes
Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ? Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.
Guillaume Apollinaire, "Les Sirènes" in Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, 1911
Jean Teulé raconte l'histoire de Fleur de tonnerre (Éditions Julliard, 2013), une empoisonneuse bretonne du XIXème siècle, pétrie de légendes celtiques :
- Viens...
Il ne peut résister à l'appel de la nymphe gracieusement assise, jambes croisées sur un côté. Le long des chevilles, mollets, serrés dans la mer jusqu'au-dessus des genoux, les jeux de l'eau avec le miroitement de la lumière dessinent des écailles et les pieds, aux orteils écartés mais talons joints, ressemblent à une queue de poisson.
- Tiens, une chirène ! montre du doigt le ventru perruquier au bras traçant un 5 au-dessus de la falaise.
- Une sirène ? Mon pauvre vieux, tu devines de plus en plus breton depuis que t'as reçu un coup de sabot dans la tête, regrette le borgne, se tournant vers la mer.
En bas sur son récif, entourée par les miroirs et les lustres des vagues, Fleur de Tonnerre tend la main à son amant en chantant d'un timbre irréel : « Viens... ». Dans sa voix claire et lente un serpent avance telle la corde que la Morbihannaise, sans dote par jeu, enroule autour du cou de Yann puis elle pousse, derrière elle, l'ancre marine qu'elle lui a chipée. Viltansoù bascule : « Ah ! » et file droit, tête tractée la première, vers le fond de la fosse tellement profonde. De grosses bulles éclatent à la surface de l'eau et le grand perruquier en reste bouche bée. Pensant avoir la berlue, il frotte son œil valide : « Mais ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, ça ! »
- Ah, monseur Viltansoù n'aimait pas la confiture...
Fleur de tonnerre, sur le rocher, repdnre sa pose de femme-poisson habitant les mers. Ses beaux yeux de rêve languissent - ses beaux yeux tristes et fin de race - tandis qu'elle glisse ses doigts comme les dents d'un peigne le long de sa chevelure de soleil.
- Non ! Non, ce n'est pas possible...
Le borgne refuse d'admettre l'évidence :
- Les sirènes n'existent pas !
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Arts visuels :
Jacques Bousquet et Jacqueline Leclercq-Marx. — La sirène dans la pensée et dans l'art de l'Antiquité et du moyen âge. Du mythe païen au symbole chrétien. Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1997.. (In : Cahiers de civilisation médiévale, 42e année (n°167), Juillet-septembre 1999. pp. 297-301) :
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