Pendant deux jours, à chaque plongée dans le lac de Carouge (à Saint-Pierre d'Albigny), j'allais rendre visite au grèbe huppé qui reposait dans son nid flottant, caché dans les arbres qui débordait de la petite île centrale. A mon approche un peu brusque, il dressait immédiatement son long cou, relevait les plumes noires de sa tête comme deux petites oreilles pointues et gonflait les plumes rousses de son cou comme un cobra dressé en chuintant un bruit assez désagréable, censé m'impressionner je suppose.
Cela dit, quand j'ai vu de profil la longueur de son bec, j'ai ralenti mes mouvements et me suis présentée gentiment...
Étymologie :
GRÈBE, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1557 (Belon, Portr. d'oys., f°35 r°ds Gdf. : Mouette cendree, gavian, glammet, en Savoye elle est nommee grebe, ou griaibe, begue, heyson). Mot savoyard (d'apr. P. Belon) d'orig. inc. (V. FEW t. 21, p. 246).
Lire aussi la définition pour amorcer la réflexion symbolique.
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Zoologie :
Dans le Hors-série de Causette (été 2018) intitulé « Histoires d'A...mours », Claudine Colozzi nous propose un petit "Kama-sutra des animaux" sous forme d'abécédaire :
R comme Radeau
Certains animaux préfèrent l'amour en mer. C'est le cas du grèbe à cou noir, un oiseau qui choisit de s'accoupler sur une plateforme flottante construite pour l'occasion. Après quelques préliminaires, le coule se pose sur le radeau. Le mâle arrive par-derrière, se frotte contre la femelle puis il lui passe par-dessus comme s'il jouait à saute-mouton.
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Symbolisme :
Selon L'Alphabet des Oiseaux, (œuvre diffusée sur Internet) proposé par Robert-Régor Mougeot :
"Le GRÈBE HUPPÉ est un "palmipède farouche et discret, au long cou fin et élancé, le grèbe huppé vit dans les roselières des lacs. Il caquette et pousse des kèk-kèk-kèk répétés ; il battit un nid flottant dans les roseaux. Sa huppe et ses favoris sont ébouriffés lors de la parade nuptiale spectaculaire. Il plonge remarquablement et longtemps pour pêcher et réapparaît très loin. Se nourrissant de poisson, il arrache les plumes du duvet de sa poitrine pour rendre les arrêtes inoffensives ! Le mot serait d’origine savoyarde.
Grèbe : Génère (G) les choses (R) duelles (Be).
Huppé : Esprit (H) ou (U) paix (P) doublement humaine (E) !
Ne convient-il pas de dépasser la dualité des choses par l’Esprit pour trouver la paix ?"
La parade nuptiale des grèbes fidèles à leur partenaire toute leur vie : (extrait de la série Life, l'aventure de la vie)
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Contes et légendes :
Le grèbe et l'Esprit de l'hiver (tradition Chippewa)
Tous les hivers, les oiseaux partaient vers le sud. Une fois, un grèbe accepta de passer l'hiver sur place pou prendre soin de deux oiseaux blessés, une grue blanche et un canard colvert, qui tous deux avaient une aile brisée. Il plongeait ans l'eau par un trou creusé dans la glace, et leur attrapait du poisson. Jaloux de sa réussite à la pêche, Gabibonike, l'Esprit de l'hiver, attendit que le grèbe plonge, puis il glaça l'eau afin de reboucher le trou. Le grèbe nagea jusqu'au rivage où poussaient beaucoup de joncs. Il ne prit un dans son bec et troua la couche de glace. Puis il sorti et regagna son wigwam. Il s'aperçut bientôt que quelqu'un l'épiait par l'ouverture de la porte. C'était Gabibonike qui essayait de le geler sur place. Le grèbe alluma du feu, mais il faisait encore très froid dans le wigwam. Il essaya alors de duper Gabibonike en s'épongeant le visage avec un mouchoir et en s'écriant : "Il fait drôlement chaud ici !" Redoutant la chaleur, Gabibonike s'éloigna.
Un jour le grèbe décida d'organiser un festin. Il se procura du riz sauvage et envoya un canard inviter Gabibonike. Le canard mourut gelé avant d'arriver à destination. Le grèbe demanda à une perdrix de le remplacer. Elle s'envola aussitôt. Elle eut très froid, elle aussi, mais s'enfouit sous la neige pour se réchauffer avant de continuer sa route. Une fois chez Gabibonike, elle lui dit : "Tu es invité au festin que donne le grèbe."
Quand Gabibonike arriva chez le grèbe, on aurait cru que le blizzard entrait dans le wigwam. il avait des glaçons sous le nez et sur le visage. Le grèbe attisa le feu et la chaleur monta. Les glaçons dont Gabiboike était couvert commencèrent à fondre. Il faisait beine trop chaud pour lui, mais Gabibonike aimait beaucoup le riz sauvage et ne voulait pas arrêter d'ne manger.
Le grèbe dit : "Il fait chaud ! Le printemps doit déjà être là."
Gabibonike ramassa alors sa couverture et partit en courant.
Le grèbe avait fait venir le printemps. Il ne restait plus que quelques plaques de neige ici et là. Gabibonike eut beaucoup de mal à regagner sa maison, dans le Nord, là où il y a toujours de la neige.
in Howard Norman, Contes du Grand Nord, récits traditionnels des peuples Inuits et Indiens,
1990, traduction française Albin Michel 2003.
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Littérature :
Jacqueline Pigeot, autrice de “La caille et le pluvier : l'imagination dans la poétique japonaise à l'époque du Shinkokin-Shu" (In : Extrême-Orient Extrême-Occident, no. 7 (1985) : pp. 93–122.) transcrit un poème ancien qui évoque le grèbe et a suscité polémique :
[...] Une première attitude, la moins fréquente, consiste à mettre l'imagination poétique à l'épreuve de la réalité. Chômei rapporte comment un poème que Minamoto no Yorimasa avait, lors d'un concours qui se tint en 1170, composé sur le sujet « Oiseaux d'eau familiers », fut critiqué par Minamoto no Yûshô. Le poème était ainsi conçu :
Le nid flottant que le grèbe
A construit par amour pour ses petits
Approche au fil de l'eau :
Refuserait-il de les abandonner
Qu'il ne plonge pas pour se cacher ?
Chômei raconte :
Ce poème, jugé original (mezurashi), remporta la victoire. Le moine Yûshô, lorsqu'il le vit, le critiqua violemment : « C'est ignorer à qui ressemble un nid de grèbe ! Ces nids flottants ne sauraient se déplacer au fil de l'eau ! Le grèbe sait que la marée monte et descend ; aussi, quand il construit son nid, l'établit-il autour de tiges de roseaux, mais ne l'y attachant de façon lâche, afin qu'il monte avec la marée et redescende avec elle. Si le nid se déplaçait au gré des vagues, il dériverait je ne sais où au moindre souffle de vent, serait brisé par les flots, ou bien tomberait aux mains des gens. C'est parce qu'il n'y avait personne dans l'assemblée qui le sût, que ce poème a obtenu la victoire. Mais maintenant, conclut-il, il n'y a plus rien à dire. »
Chômei ne prend pas parti dans le débat, à propos du motif poétique bien connu qu'est le « nid flottant du grèbe », débat qui, nous le savons, fut relancé par la suite.
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