Étymologie :
Il s'agit d'un mot de grec ancien, οὐροϐóρος, latinisé sous la forme uroborus qui signifie littéralement « qui se mord la queue ».
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Symbolisme :
Louis Charbonneau-Lassay, auteur d'un article intitulé "L'Ouroboros" (in Le Bestiaire du Christ. La mystérieuse emblématique de Jésus-Christ, Éditions Desclée de Brouwer, 1940) donne sa vision ésotérique de l'ouroboros (traduit de l'italien) :
Pierre Julien, dans "Le serpent, l'ouroboros et la formule du benzène : Karl Scherp, Vom Schlangensymbol, in Die Basf". (In : Revue d'histoire de la pharmacie, 55ᵉ année, n°192, 1967. p. 406) propose le résumé d'un ouvrage reliant l'ouroboros au benzène :
Le serpent joua un rôle important dans la mythologie de tous les peuples anciens, de Sumer à la Chine et à l'Egypte. Il garda longtemps une signification symbolique particulière en matière d'alchimie, cas du caducée de Mercure par exemple, où les deux serpents enroulés représentent les deux principes de base de la prima materia, le sulfure et le mercure.
Cette valeur symbolique était surtout attachée à l'ouroboros, serpent ou dragon lové sur lui-même en anneau et se mordant la queue. Il incarnait la mystérieuse substance primordiale de toute opération alchimique. Mais il symbolisa aussi l'éternité, l'infinitude de la nature, l'éternel retour de tout ce qui constitue le monde c'est à ce titre qu'il figure sur la tombe de J.-G. von Herder à Weimar.
Et il lui revenait de jouer un rôle étonnant dans l'histoire des sciences, s'il est exact, comme il le semble, que Kekulé ait eu l'idée de la structure hexagonale du benzène un jour que, vraisemblablement en 1861-1862, durant son séjour à Gand, il vit sur son chemin, en se rendant à l'Université, le serpent blessé se mordant la queue qui ornait la porte d'une pharmacie.
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Selon le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,
L'ouroboros est un "serpent qui se mord la queue et symbolise un cycle d'évolution refermée sur elle-même. Ce symbole renferme en même temps les idées de mouvement, de continuité, d'autofécondation et, en conséquence, d'éternel retour. La forme circulaire de l'image a donné lieu à une autre interprétation : l'union du monde chtonien, figuré par le serpent, et du monde céleste figuré par le cercle. Cette interprétation serait confirmée par le fait que l'ouroboros, dans certaines représentations, serait moitié noir, moitié blanc. Il signifierait ainsi l'union de deux principes opposés, soit le ciel et la terre, soit le bien et le mal, soit le jour et la nuit, soit le Yang et le Yin chinois, et toutes les valeurs dont ces opposés sont les porteurs (voir serpent, dragon).
Une autre opposition apparaît dans une interprétation à deux niveaux : le serpent qui se mord la queue, en dessinant une forme circulaire, rompt avec une évolution linéaire, marque un changement tel qu'il semble émerger à un niveau d'être supérieur, le niveau de l'être céleste ou spiritualisé, symbolisé par le cercle ; il transcende ainsi le niveau de l'animalité, pour avancer dans le sens la plus fondamentale pulsion de vie ; mais cette interprétation ascendante ne repose que sur la symbolique du cercle, figure d'une perfection céleste. Au contraire, le serpent qui se mord la queue, qui ne cesse de tourner sur lui-même, s'enferme dans son propre cycle, évoque la roue des existences, le samsara, comme condamné à ne jamais échapper à son cycle pour s'élever à un niveau supérieur ; il symbolise alors le perpétuel retour, le cercle indéfini des renaissances, la continuelle répétition, qui trahit la prédominance d'une fondamentale pulsion de mort.
Selon Monique De Beaucorps, autrice de Les symboles vivants. (Éditions Nathan, 1989) :

Dans les civilisations primitives et anciennes, le serpent est souvent représenté enroulé autour de la coquille de l'œuf cosmique, ou sous la forme de l'ouroboros (en grec, le serpent « qui se mord la queue »), promoteur et animateur de l'énergie vitale ; ses crochets injectent leur venin dans son propre corps, qui forme un cercle se refermant sur lui-même. Il s'autoféconde en permanence. Comme le souligne Bachelard :
Cette « perpétuelle transmutation de mort en vie » représente la bipolarité de toute existence : la mort qui sort de la vie et la vie qui sort de la mort.
Divinité cosmogonique, alliée à la création de l'univers, l'ouroboros, le serpent de l'éternité, est souvent accompagné de cette devise : Un est le Tout. Sé figuration évoque le parcours quotidien du soleil dans le ciel, suggère le mouvement perpétuel et infini du temps et du zodiaque : les Hittites l'imaginent sous la forme d'une chaîne torsadée autour de laquelle les astres sont placés ; alors que, dans d'autres civilisations, le soleil, la lune et les quatre points cardinaux sont dessinés à l'intérieur du circuit fermé créé par l'ouroboros, qui entoure tout l'univers et empêche sa désintégration.
Ces différentes représentations des planètes, autour ou à l'intérieur du cercle formé par le serpent qui se mord la queue, évoque l'union du monde chtonien et du monde céleste, du jour et de la nuit.
Le serpent surgit du monde originel, vénéré et mythifié, créateur et régénérateur de l'univers.
Raynald Valois, dans un article intitulé "C.-G. Jung et le féminin". (In : Philosophiques, 1994, vol. 21, no 2, pp. 393-404) explore des archétypes fondamentaux vécus dans les Mystères du Cobra :
L'ouroboros : Dans le Timée, Platon raconte que le monde originel était vivant, composé de quatre éléments, sphérique, doté du mouvement circulaire, divin, possédant une âme. Plus généralement le grand rond, qu'il soit figuré comme ouroboros (le serpent ou le dragon qui se mord la queue), comme lotus, comme oeuf cosmique ou toute autre forme circulaire ou sphérique est un symbole universel de l'état originel du cosmos. Or il se trouve que tous les mythes originels ne sont qu'une traduction imagée à travers laquelle nos ancêtres les plus lointains percevaient la naissance de leur propre conscience. Or, comme sur le plan biologique, chaque individu récapitule, dans sa propre genèse psychique, celle de l'humanité. Jung a donc émis l'hypothèse que le stade initial de la psyché en serait un d'auto-suffisance, de complétude, d'indifférenciation, c'est-à-dire de mélange dans lequel tous les contraires sont présents et agissants de façon chaotique : dans l'ouroboros les extrêmes se touchent se dévorent et se fécondent mutuellement. Il est intéressant de noter, en passant, que la cosmologie la plus récente propose comme stade originel du cosmos un état analogue d'indifférenciation, une grande soupe, comme dit Hubert Reeves, (les Indiens parlaient de brassage de lait : les recettes ont changé mais l'idée est la même) dans laquelle on ne pourrait pas encore distinguer même des particules très élémentaires.
Évidemment ce stade en est aussi un d'androgynie, ce qui est aussi très souvent symbolisé par des divinités originelles, androgynes. Par exemple, dans le Banquet, Platon décrit un androgyne originel, rond, se déplaçant d'un mouvement circulaire et doté d'une force qui lui permettait de défier les dieux. Ceci signifie donc que la psyché, aussi bien celle de l'homme que celle de la femme, est à l'origine dans un état complet d'indifférenciation sexuelle.
Un autre aspect du mythe consiste en ce que la lumière n'a pas encore été séparée des ténèbres, ce qui signifie que la conscience n'a pas encore été séparée de l'inconscient : il n'y a encore aucune possibilité de connaissance de soi, parce qu'il n'y a pas encore cette séparation entre un Moi, un Ego, et un Soi vers lequel cet Ego puisse se retourner comme vers un Autre, ce en quoi consiste la réflexion.
La Grande Mère : La phase ultérieure du développement est représentée par l'émergence de la lumière, ce qui constitue la création à proprement parler et le prélude à l'apparition de l'être humain, lequel symbolise l'émergence du Moi conscient. Avec la séparation de la lumière et des ténèbres, du ciel et de la terre, on assiste à une première différenciation des sexes sous formes des Parents originels. C'est aussi à ce moment que les traits psychologiques propres à chacun commencent à prendre de la consistance.
La femme dans son aspect de Déesse Mère se voit alors identifiée à la terre, source et origine de toute vie : tous les êtres sortent de son sein, sont nourris par elle puis finalement repris en son sein dans le sommeil de la mort. Autour de ce symbole central gravite une foule d'images qui expriment les différents aspects de la féminité. À titre d'exemple Jung en dresse une liste sommaire qui est déjà fort impressionnante :
[...] la terre, la forêt, la mer et l'eau tranquille; la matière, les enfers et la lune ; [...] le champ, le jardin, le rocher, la grotte, l'arbre, la source, le puits profond, les fonds baptismaux, la fleur considérée comme vase (rose et lotus) [...] le four, la marmite ; sous la forme animale, la vache, le lièvre et, en général tout animal secourable. [...] l'Église, l'université, la ville, le pays...
Il explique ensuite que tout ce symbolisme est ambivalent : il y a d'un côté la Bonne Mère, celle qui engendre, nourrit, protège, entoure de soins, soutient, fait croître, tous traits qui nous sont familiers; mais d'un autre côté, il y a la Mère Terrible, celle qui dévore ses enfants, le monstre qui avale le héros, la déesse de la guerre et de la mort, celle qui castre et tue ses fils-amants.
En termes psychologiques la Mère représente l'inconscient en tant que source et matrice de toute vie consciente. De plus, le symbolisme végétal et animal dont elle s'entoure montre aussi l'affinité de cette figure avec la sphère des instincts. Ce portrait s'accorde aussi avec la conception chinoise pour qui le yin correspond au côté obscur, froid et humide de la montagne tandis que le yang masculin est clair, chaud et sec. Bien plus, l'état chaotique et indifférencié de l'ouroboros, dont les principaux symboles se moulent dans des formes circulaires et englobantes, témoigne évidemment d'une prédominance du féminin, malgré son essence androgyne. Comme le dit Lao Zi du Tao :

Un être s'est formé.
Il est né avant le ciel et la terre ;
Seul, indépendant immuable ;
Partout en mouvement, immortel.
Peut-être est-il la mère du monde.
Je ne sais pas son nom,
Je l'appelle Tao.
Or on sait que pour Jung, le Tao n'est rien d'autre que l'inconscient collectif, source et fondement de toute vie psychique. Comme j e l'ai dit, l'inconscient est à la fois masculin et féminin. Cependant en tant que force génératrice et conservatrice de la vie psychique, il a un caractère nettement féminin-maternel.
Dans son aspect positif cette force est absolument essentielle et fondamentale. C'est elle qui assure à l'être humain son enracinement dans les lois de la nature, celles qui assurent la santé et l'équilibre mental.
À première vue il ne semble pas très glorieux pour la femme d'être associée à l'obscurité de la nuit. Évidemment, dans la lumière, la chaleur, la clarté masculine de la conscience, c'est beaucoup plus brillant, c'est le cas de le dire. Pourtant les mythes racontent que c'est la nuit qui a donné naissance au jour, et, même avant que le soleil ne se lève, elle est déjà peuplée d'une nuée d'étoiles, d'une infinité de petits soleils. Il y a une sagesse de la nuit, de la terre, de la nature, beaucoup plus profonde que celle de la Raison. C'est le monde de l'imaginaire, de l'inspiration créatrice, la mère de toutes les grandes réalisations. C'est pourquoi on peut affirmer que toutes les grandes conquêtes de la culture : la religion, la philosophie, et l'art, ne sont que des fruits portés par l'arbre féminin de l'inconscient.
Notre civilisation s'est édifiée sur une valorisation unilatérale des aspects masculins de la psyché. Le mythe d'Icare symbolise bien notre tragique destin : au moyen d'ailes soudées avec de la cire nous avons voulu nous détacher de la Terre et voler toujours plus près du Soleil. Nous sommes hypnotisés par l'attrait de la lumière intellectuelle : science, technique, acier, verre et béton. Mais les ailes d'Icare ont fondu et il a fait une chute vertigineuse dans la Mer. Heureusement, celle-ci est maternelle et peut-être qu'après l'avoir englouti elle le rendra à une vie nouvelle comme Jonas dans la baleine.
En quoi consiste cette sagesse féminine, fille de la nuit ? Elle a toujours été identifiée à un pouvoir magique qui donne accès à l'au-delà, aux inspirations surnaturelles, à la divination sous toutes ses formes. Même Socrate, que Nietzsche accuse d'avoir tué la poésie, a fait l'éloge du délire, en se référant à la prophétesse de Delphes, aux prêtresses de Dodone, à la Sibylle :
Autant donc l'art divinatoire l'emporte évidemment en perfection [...] autant le délire, au témoignage de l'Antiquité, est une chose plus belle que le bon sens : le délire qui vient d'un Dieu, qu'un bon sens dont l'origine est humaine.
Il est intéressant de noter que Socrate associe au délire l'art de deviner l'avenir, l'art de la guérison, celui de la poésie, inspirée par les Muses, et enfin l'amour de la Beauté qui fait pousser des ailes à l'âme et l'élève vers la contemplation des réalités absolues. Et voilà que l'Éros féminin entraîne l'Âme vers les sommets de la Sagesse. Si la Sagesse est femme, l'amour de la Sagesse, la Philo-Sophie, serait peut-être aussi affaire de femme.
Éros et logos : Jung voit justement dans l'Éros le trait le plus caractéristique de la féminité :
La psychologie de la femme repose sur le principe du grand Éros qui unit et sépare, tandis que l'homme s'attache, depuis toujours, au Logos comme principe suprême. En langage moderne, on pourrait traduire le concept de l'Éros par : « relation spirituelle » et celui du Logos par « intérêt objectif ».
Et un peu plus loin Jung précise ce qu'il entend ici par « spirituel » en l'associant à « inconscient ». Or l'inconscient, c'est cette totalité originelle à partir de laquelle est engendré le Moi comme un Fils divin. L'Éros représente donc cette force de cohésion qui travaille à maintenir l'unité et l'intégrité de la psyché. C'est une force centripète qui attire toutes les parties vers le milieu et préserve de l'éclatement. C'est encore l'Éros qui tend à maintenir la pensée rationnelle dans la continuité de ses racines inconscientes grâce aux liens entretenus par l'intuition. Combien d'œuvres philosophiques auraient gagné en substance à s'alimenter dans l'intuition ? Que de verbiages creux nous seraient épargnés ? Le fait est que l'inconscient a la vue moins claire que le conscient mais combien plus large et plus profonde. Si l'étroitesse et l'unilatéralité de la pensée consciente ne sont pas compensées par un accès très libre aux trésors de l'inconscient, celle-ci perd rapidement contact avec le réel et s'égare dans des constructions, logiques en apparence, mais sans véritable intérêt pour l'acquisition de la sagesse, qui doit être englobante.
Ce qui est vrai de la philosophie et de la pensée en général, l'est encore plus en ce qui concerne la conduite de la vie personnelle et l'adaptation au monde qui nous entoure. J'ai mentionné plus haut que le symbolisme féminin renvoyait très souvent à la vie animale et instinctuelle : dans beaucoup de mythologie la femme est figurée comme la Reine des animaux. Cette dimension de la psyché se trouve hautement méprisée dans notre civilisation qui a homologué le corps, la sexualité et aussi la femme (la sorcière) au mal et à Satan. Il en résulte un déracinement très dangereux, une sorte de dissociation de l'âme moderne, qui n'a cessé de préoccuper Jung tout au long de sa carrière. Le patriarcat occidental a hypertrophié à un point tel l'aspect rationnel-masculin de la psyché, qu'il nous a coupé de la sphère des instincts qui sont nécessaires à notre survie individuelle et collective. C'est ainsi que l'on en est arrivé à se construire un mode de vie complètement artificiel, qui conduit des foules de gens à ruiner aussi bien leur santé physique que leur équilibre émotionnel. La dévastation de l'environnement n'est qu'un symptôme parmi d'autres de l'insensibilité moderne à tout ce qui est nature et vie.
La mère terrible : L'aspect négatif de l'image de la Mère originelle, c'est principalement son caractère dévorant. D'après Erich Neumann, les ogres et les ogresses, les monstres de toutes sortes qui menacent les héros des mythes et des légendes ont toujours un lien étroit avec la Grande Déesse Mère.
Psychologiquement parlant, il est alors question de la force d'attraction que l'inconscient exerce sur le conscient. Comme je l'ai déjà mentionné, toute la vie psychique se joue comme une lutte entre des forces contraires. L'instinct de conservation, qui veut s'assurer que l'individu ne coupera pas le contact avec ses racines et ne se perdra pas dans des attitudes et des comportements inadaptés ou de nature à mettre sa vie en danger, peut entraver son développement et l'emprisonner dans une sorte d'inertie psychique.
Dans les mythes, la victoire du Moi sur ces forces menaçantes est symbolisée par la victoire du Héros masculin sur le monstre féminin. Dans cette lutte épique, le Héros est supporté par le Père divin spirituel. Ceci signifie, pour Erich Neumann, que les forces psychiques qui soutiennent la formation du Moi individuel, de la conscience personnalisée, ont un caractère masculin, aussi bien chez la femme que chez l'homme. C'est d'ailleurs aussi ce que pense le freudisme en soutenant que c'est le père qui coupe le cordon ombilical qui retient et le fils et la fille à la mère et à l'état d'inconscience et d'irresponsabilité infantile.
Lorsque le Héros échoue dans son entreprise, comme c'est le cas d'Attis, d'Adonis, de Dionysos, d'Osiris, etc., il meurt dans la fleur de l'âge, castré, démembré, et dévoré par la Grande Mère ou ses suppôts. Cela signifie que l'attraction de l'inconscient a réussi à empêcher le Moi de se former en tout ou en partie. La mort du Moi c'est, ou bien la stagnation dans un état d'inconscience et d'immaturité, ou, dans les cas graves, la psychose. La mort du Héros peut cependant signifier le passage par un état ténébreux et souffrant qui sera suivi d'une résurrection, d'un nouvel enfantement. Alors le sein de la Grande Mère devient un vase de transformation.
L'arbre philosophique : Quand le Moi a réussi à émerger, aussi bien chez l'homme que chez la femme, ce qui correspond à l'acquisition du statut d'adulte, l'évolution psychologique est loin d'être terminée. En effet, la victoire de la lumière sur les ténèbres, du conscient sur l'inconscient, la séparation de la terre maternelle, la sortie du Soleil de l'Océan cosmique et son élévation au zénith, cet acquis n'est jamais définitif. Le Soleil devra replonger à nouveau dans ces mêmes ténèbres, être de nouveau avalé par le monstre marin et renaître au matin encore plus vigoureux qu'auparavant, et cela selon un cycle perpétuel comme celui des jours et des saisons.
Nous abordons ici le thème qui contrarie sans doute le plus carrément notre moderne mentalité. Notre civilisation prométhéenne se glorifie d'avoir ravi le feu aux divinités de l'Olympe, c'est-à-dire aux forces de l'inconscient. Fière d'avoir instauré le royaume de la déesse Raison, elle n'a que faire des intuitions, des pressentiments, des émotions et autres faiblesses féminines, comme si la domination de la lumière, de la chaleur et du sec pouvait être définitive. L'avance implacable du désert et le recul constant de la forêt vierge symbolisent bien au plan planétaire cette maladie psychique de notre civilisation.
Pourtant le but ultime du développement humain est symbolisé dans toutes les traditions par un retour à la totalité et à l'unité de l'androgyne originel, réalisées désormais à un niveau supérieur de la conscience. Ce processus psychologique d'aspect tout à fait paradoxal, implique une communion très étroite entre les forces féminines de l'inconscient, toutes en largeur et en profondeur et l'intensité masculine, fondée sur l'étroitesse et la concentration. En effet la conscience claire est toujours limitée comme un faisceau très mince qui permet d'être présent à l'ici et maintenant, tandis que la lumière aurorale de l'inconscient se déploie à l'infini dans le passé et l'avenir, l'ici et !'ailleurs, et rend possible une orientation appuyée sur la perception globale de nos horizons psychiques.
Ce processus d'intégration des deux moitiés de la psyché a été appelé individuation, par Jung. Il lui a consacré la majeure partie de ses recherches, parce qu'il y a vu le problème le plus grave du XXe siècle, celui qui risque de conduire et l'individu et l'humanité au seuil de l'abîme. La quête des sources de l'imagerie inconsciente de l'âme moderne l'a conduit à fouiller les mouvements de pensée qui ont mené une vie souterraine depuis le début de la chrétienté et se sont maintenus malgré tous les anathèmes de l'autorité cléricale, à savoir la gnose et la philosophie alchimique. En effet, il y a découvert une prolifération de symboles, où il a discerné une immense réaction compensatoire à l'unilatéralité du patriarcat chrétien. Il a pu, grâce à de multiples études comparatives, déterminer la signification de ce symbolisme et arriver à la conclusion que le Grand Œuvre alchimique n'avait rien à voir avec la transmutation physique de la matière et la fabrication de l'or. Le but visé inconsciemment consistait à intégrer dans le développement psychique l'aspect matériel et ténébreux, refoulé par un christianisme uniquement préoccupé de spiritualiser l'homme. L'opération en était une de croissance intérieure et de conciliation des contraires : d'où l'idée de noces alchimiques et d'enfantement de 1'androgyne.
Or les trois plus grands symboles de l'Œuvre sont le mercure, l'athanor (vase dans lequel on opérait) et l'arbre philosophique. Le mercure est une substance extraite du sein de la terre mère et qui représente son esprit double, masculin et surtout féminin ; le vase n'est autre que l'utérus dans lequel s'opère la transmutation ; enfin l'arbre représente le processus de croissance qui doit amener l'individu à sa pleine maturité. C'est aussi un symbole féminin parce qu'il renvoie au dynamisme intérieur, aux forces de la fécondité naturelle qui poussent la psyché dans la direction de son achèvement. Voici comment Jung résume le symbolisme de l'arbre :
Les associations statistiquement les plus fréquentes concernant le sens de l'arbre sont probablement la croissance, la vie, le déploiement de la forme au point de vue physique et spirituel, le développement, la croissance de bas en haut et vice versa, l'aspect maternel : protection, ombrage, toit, fruits comestibles, source de vie, fermeté, durée, enracinement (et aussi impossibilité de bouger de place), âge, personnalité et enfin mort et renaissance.
Une magnifique illustration de ce symbolisme nous est fournie par une image empruntée à la mythologie germanique. On y voit Yggdrasill, l'arbre cosmique de l'Edda, qui plonge ses racines dans les profondeurs du monde souterrain, des enfers, traverse le disque de la terre en son centre pour se déployer dans la voûte céleste, comme une puissance protectrice qui dispense la vie à tous les êtres.
En bref, tout ce symbolisme met en grande évidence le fait que l'évolution psychologique à laquelle est désormais confronté l'adulte n'est pas principalement une affaire masculine de volonté, de cogitations, de décision, comme chez l'adolescent mais plutôt une capacité de prêter l'oreille à la Voix intérieure, à cette poussée venue du dedans qui se traduit par toutes sortes de messages lancés par l'inconscient : rêves, fantasmes, obsessions, pour ne rien dire de tous les troubles physiques qui nous obligent à nous arrêter vers le milieu de la vie.
On peut conclure de tout ceci que la féminité n'est pas simplement un principe de conservation et d'inertie, mais aussi un facteur dynamique qui conduit la psyché à son accomplissement ultime, à l'intégration finale qui doit rétablir l'unité qui a dû être temporairement sacrifiée pour permettre au Soi de devenir conscient de lui-même. D'où il devient clair que, lorsqu'on parle de passivité au sujet du principe féminin, il faut bien comprendre qu'il s'agit de cette disponibilité de la terre à être labourée et fécondée par le principe masculin. Mais il faut surtout se rendre à l'évidence que c'est elle qui fait pousser la plante et que c'est elle, en tant que nature, qui agit à l'intérieur de celle-ci pour la mener à maturité. À la limite la terre pourrait s'arranger seule, sans l'intervention souvent maladroite et désastreuse de celui qui prétend améliorer le rendement.
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Jörmungand : Pour Melissa Alvarez, auteure de A la Rencontre de votre Animal énergétique (LLewellyn Publications, 2017 ; traduction française Éditions Véga, 2017), le Jörmungand est défini par les caractéristiques suivantes :
Traits : Le Jörmungand, selon la mytholoie nordique de jadis, est un énorme serpent avec de grands crocs et une queue plate ; il vit das l'océan qui entoure Midgard, le royaume des humains. Il grandit jusqu'à pouvoir envelopper le Midgard de son corps en attrapant sa queue dans sa bouche. Appelé "ouroboros", il est un symbole des cycles, du fait qu'il se recrée dès qu'"il est détruit, à la façon du phénix. On dit que si le Jörmungand lâchait sa queue, ce serait la fin du monde, mais que le monde renaîtrait aussitôt. Thor a mené plusieurs batailles contre le Jörmungand, car ils étaient ennemis ; lors de la dernière bataille, ils se sont entretués, ce qui a amené la fin du monde, et la terre s'est enfoncée dans la mer. Mais, très vite, elle a émergé à nouveau et la vie a recommencé.
Talents : Changement - Conviction - Cycles - Détermination - Intuition - Visibilité - Vie - Mystère - Mystique - Renaissance - Régénération - Silence - Développement spirituel - Force.
Défis : Fin des choses - Fuyant - Attitude négative - Repli sur soi.
Élément : Eau.
Couleurs primaires : Noir - Vert.
Apparitions : Lorsque le Jörmungand apparaît, cela veut dire que vous devez vous prépare à un changement positif d'importance dans votre vie. Vous allez peut-être déménager, commencer un nouveau travail ou fonder une famille. Quelle que soit la situation dans laquelle vous vous trouvez, le Jörmungand signifie que la vie telle que vous la connaissiez ne sera jamais la même après les événements qui s'annoncent. C'est le moment de vous accrocher à votre foi, à votre esprit positif et à une attitude joyeuse. La lutte entre le Jörmungand et Thor, qui a causé la fin du monde d'après la mythologie, signifie que le monde que vous connaissiez va changer du tout au tout au point que vous aurez le sentiment que c'est la fin du monde. Le nouveau monde dans lequel vous vous retrouverez sera rempli d'amour, de choses délicieuses et d'événements extraordinaires. C'est une période de renaissance, de développement et d'élévation de vos désirs. Écoutez votre être supérieur, vivez le renouvellement de votre spiritualité, connectez-vous à la joie et à la félicité, et vivez dans le bonheur et l'amour. Le Jörmungand vous dit de vivre votre vie avec conviction. Tenez-vous du côté de ce en quoi vous croyez et auprès de veux que vous aimez. Votre soutien, c'est pour eux le monde ! Le Jörmungand vous met en garde contre le fait de vous retirer de la vie et de vous replier sur vous-même dans les ajustements que vous faites aux changements que vous rencontrez : vus pouvez vous adapter plus facilement à ces changements en ayant l'aide des autres.
Aide : Vous devez garder autour de vous une aura de mystère. Si vous avez des secrets que vous n'êtes pas prêt à révéler, ou s'il y a des changements qui se produisent dans votre vie mais que vous souhaitiez en réserver la surprise aux autres, le Jörmungand peut vous aider à ce que vous puissiez les garder tranquillement pour vous. Il peut aussi vous aider à être davantage déterminé et résolu lorsque vous arrivez à vos buts. Si vous avez besoin de rester caché pour découvrir une information qui vous est nécessaire, le Jörmungand va vous aider à rester invisible pendant votre recherche. Il vous prévient de veiller à ne pas laisser les autres vous envahir et vous déranger. Il vous incite à garder une attitude positive et vous demande de ne pas laisser la négativité avoir prise sur vous. Tout va bien marcher, tenez-vous simplement à ce que vous faites.
Fréquence : L'énergie du Jörmungand est lisse, rapide et puissante. Elle bouge autour de vous comme une tornade, en tournoyant à toute allure. On la ressent comme froide, distante et calculatrice. Sa sonorité ressemble au long grognement de lamentation d'un monstre.
Imaginez...
Vous êtes dans un magasin où vous voyez un pendentif représentant un serpent qui se mord la queue. Il vous attire, aussi vous l'achetez. Cette nuit-là, vous dormez en gardant le pendentif et vous rêvez d'une terre lointaine, une très grande île entourée d'eau. La créature de votre pendentif vit dans ces eaux qui entourent l'île. Vous la voyez lâcher sa queue et se glisser vers la terre. De tout son poids, la terre s'effondre dans l'océan. Le grand serpent encercle à nouveau l'endroit et il attrape sa queue. Vous observez alors la terre qui émerge des eaux et, comme si tout se mettait à revivre très vite, les arbres grandissent et la vie revient sur terre. Voila que vous voyez à nouveau des êtres sur la terre, et le temps ralentit pour revenir à une vitesse normale. Vous vous réveillez, déterminé à faire des changements positifs dans votre existence pour pouvoir expérimenter la même sorte de renouveau.
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Anass Dakkach, auteur de "De Mehen à l’ouroboros: le symbole du serpent circulaire sur les gemmes magiques gréco-romaines." (Mémoire, Université de Montréal, 2019) situe l'histoire du symbole :
L’ouroboros, le symbole du serpent qui dévore sa propre queue, trouve son origine dans la littérature funéraire du Nouvel Empire (1). Il est le résultat d’une évolution de la théologie archaïque de Mehen (2), le protecteur ophidien de Rê, d’Osiris et de certains dieux obscurs de l’au-delà égyptien. La figure du reptile circulaire se développe durant l’époque pharaonique principalement en contexte magique et funéraire. Parvenu à l’Antiquité tardive, il avait trouvé sa place dans la koinê magique méditerranéenne et s’était répandu aussi loin que la Mésopotamie Sassanide. Des ouroboroi se retrouvent, avec différentes interprétations, dans les écrits gnostiques, les traités alchimiques et curieusement même dans le Talmud. Avec la pyramide et le sphinx, ce symbole sera l’un des rares concepts égyptiens à perdurer dans l’imaginaire occidental après la chute de l’Égypte lors de la conquête musulmane. Le serpent circulaire survit à travers le Moyen Âge, période durant laquelle des auteurs comme Hartmann von Aue continuent à lui prêter un symbolisme du temps cyclique. Il réémerge ensuite dans les arts de la fin de la Renaissance ; on le retrouve dans l’Allégorie de la vie humaine attribuée au peintre baroque Guiddo Cagnacci, mais aussi dans l’Emblematum Liber d’Alciato signifiant « l’immortalité acquise par l’étude des Lettres ». Toujours dans son symbolisme d’éternité, il est présenté dans les Amorum emblemata d’Otto van Veen (XVIIe siècle) encerclant un Éros armé d’un arc et de flèches et accompagné de la légende « Amor Aeternus ». L’ouroboros est particulièrement prisé par la France de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle ; il se retrouve discrètement sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais aussi, de façon plus ostentatoire, entourant le « N » de Napoléon dans la Description de l’Égypte rédigée à la suite de la fameuse expédition de 1798. Il est encore représenté sur la page du titre du Panthéon égyptien de Champollion, un des premiers ouvrages égyptologiques à paraitre après le déchiffrement des hiéroglyphes. Enfin, pour citer un exemple du XXe siècle en esquivant la littérature ésotérique, le symbole apparaît sur le drapeau de la brève régence italienne de Carnaro instituée en 1920 sous le commandement du célèbre aventurier Gabriele d’Annuzio. Quant à l’emploi moderne du terme « ouroboros », il aurait commencé dans un cercle scientifique connecté à Preisendanz qui étudiait les papyri magiques grecs. Il a ensuite été popularisé par le psychologue Gustav Carl Jung et ses disciples. Dans son contexte égyptologique, l’ouroboros a attiré l’attention de multiples savants en commençant par Stricker, de son intérêt pour les serpents colossaux. Hornung, Assmann et Kákosy ont été amenés à leurs tours à aborder le symbole en nombreuses occasions, principalement en étudiant l’iconographie funéraire. Plus récemment, Bąkowska Grażyna et Maria Grazia Lancellotti ont publié sur le motif dans le contexte plus précis des gemmes magiques gréco-romaines. Tous n’ont toutefois traité le sujet que brièvement et souvent de façon superficielle ; l’ouroboros n’a fait l’objet à ce jour que d’une seule monographie, soit la thèse de doctorat de Dana Michael Reemes, sous le titre « The Egyptian Ouroboros : An Iconological and Theological Study » (2015). Cet ouvrage, qui n’a jamais été publié, recense et interprète de façon presque exhaustive toutes les traces conservées de l’ouroboros pour l’époque pharaonique.
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Suivant une longue tradition occidentale, beaucoup de chercheurs modernes — et non des moindres — ont continué à adhérer à l’interprétation de l’ouroboros comme un symbole du temps cyclique et de l’éternité. [...]
L’idée d’un serpent qui encercle le monde se retrouve certes dans l’Amdouât, livre funéraire important du Nouvel Empire, mais l’association de l’autophagie du reptile au cycle du temps et au renouvellement de l’univers n’est exprimée nulle part dans les textes pharaoniques. [...]
Aussi en opposition à Reemes, il faut admettre que le serpent en général, ainsi que Mehen et l’ouroboros en particulier, ont bel et bien été associés aux concepts du temps et de l’éternité dans les compositions funéraires du Nouvel Empire ; dans le Livre des Morts, le serpent, « fils de la terre », est dit être renouvelé pendant qu’il dort et renaitre chaque jour. Dans l’Amdouât, l’animal dévore et recrache les heures de la nuit. Un autre serpent apparaît dans le Livre des Portes comme une allégorie du temps éternel, exprimant son infinité par les multiples circonvolutions de ses méandres.
Notes : 1) La plus ancienne attestation confirmée de l’ouroboros égyptien « classique » se retrouve dans le Livre de l’Union Solaire-Osirienne conservé sur la chapelle d’or de Toutankhamon, pharaon de la XVIIIe dynastie.
2) Mehen, de l’égyptien « mḥn » signifie « celui qui est entortillé, celui qui s’enroule » [...] Les mentions les plus éloignées du dieu ophidien Mehen se retrouvent dans les Textes des Pyramides de l’Ancien Empire.

Alberto Villoldo, Colette Baron-Reid et Marcela Lobos ont imaginé un jeu de cartes intitulé L'Oracle du chaman mystique (Éditions Véga, 2019) dans lequel une carte concerne l'Achèvement :
La signification : Toutes les choses ont un début un milieu et une fin. C'est la nature de la vie - la graine, la fleur et le fruit - et de toutes les relations humaines. l'Achèvement suggère la plénitude du moment et la nécessité de transformer une ancienne forme en une nouvelle.
L'interprétation : Vous avez terminé un cycle, et vous ne connaîtrez ni croissance ni bénéfice en vous accrochant à l'ancien. Dans le domaine des relations, il est temps d'honorer ce qui a été et de trouver une nouvelle forme pour l'avenir. En ce qui concerne ce que vous avez entrepris, il est temps d'engranger votre récolte. L'Achèvement est un moment de célébration. C'est la fin de l'été quand le fruit est mûr.
La stratégie : S'accrocher à l'ancienne forme ne vous apportera que de la déception. Quand les fruits sont laissés trop longtemps sur la vigne, ils pourrissent. Vous savez qu'il est temps de passer à autre chose, mas vous êtes réticent. N'ayez pas peur de blesser les sentiments de qui que ce soit. Rappelez-vous que vous êtes responsable de vos actions, pas de celles des autres. Faites le deuil de ce qui est perdu pour pouvoir avancer. Ne soyez pas triste. Faites le deuil de ce qui est perdu pour pouvoir avancer. Ne soyez pas triste. Soyez comme le soleil de midi qui brille de mille feux, n'espérant pas plus le lever du soleil qu'il ne redoute le crépuscule.
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K. Alfons Knauth, dans "L’imaginaire somatique du multilinguisme dans le mythe et la littérature." (In : The Rhetoric of Topics and Forms, Berlin, De Gruyter, 2021, pp. 273-308) évoque le traitement de l'ouroboros dans la littérature à travers une synthèse du symbolisme de l'ouroboros :
La figure totalisante de l’Ouroboros dans la mythologie universelle : Le caducée ophidien est une variante de l’ouroboros, serpent cosmique et circulaire qui se mord [ou dévore] la queue (trad. du grec). L’ouroboros s’articule sur différents plans et sous des formes diverses : comme Océan ou Okeanos qui entoure le monde (Hésiode), comme constellation astronomique, c'est-à-dire le Draco tournant autour du septentrion terrestre (Aratus, Phainomena), comme l’univers tout entier (« l’hydre Univers » de Victor Hugo), comme l’« Hydre absolue » du principe de la Vie dans le Cimetière marin de Paul Valéry, ou bien comme serpent à deux têtes qui dévore le soleil couchant en Occident et le crache de nouveau au levant, à l’Orient (mythes mexicains).
L’ouroboros se retrouve dans toutes les grandes cultures (Chevalier et Gheerbrant 1973, 339–340), il est archétypal, totalisant et globalisant. Chez les Égyptiens il se réalise sous la forme d’une barque-serpent qui transporte Rê, dieu-soleil et père de Toth, suivant le cours du soleil de l’est vers l’ouest, puis souterrain, la nuit, de l’ouest vers l’est, sous le régime d’Atoum, dieu-serpent originaire et invisible, comme il est rapporté dans Le Livre des Morts. L’orisha africain Eshu est l’homologue de Toth, d’Hermès et de Mercure, et il est représenté comme ouroboros aussi bien sous la forme océanique de la Weltmeerschlange que sous une forme astronomique en représentant le cours du soleil, notamment sur le fameux Disque du Bénin (Frobenius 1998, 168–179). Eshu est le dieu des carrefours et de la communication qui, par les migrations forcées de la Traite, est devenu afro-américain. Sous diverses variantes onomastiques (Eleguá, Exú, Elegbará, Papa Legba), il préside jusqu’à nos jours aux cultes, aux oralitures et littératures créolisées dans les domaines lusophones, hispanophones et francophones de l’Amérique latine (Knauth 2004, 2009b).
En outre, Eshu est lié à la culture babylonienne et au Weltberg, la Ziggourat, comme l’expose Frobenius dans son ouvrage classique (1998, 175). Sur la Ziggourat résidait le dieu Marduk, qui, selon l’épopée cosmogonique Enûma Elish, vainquit le serpent de mer Tiamat, créatrice primordiale du cosmos et du chaos. Le dragon multi-langues Mushkhuchu, fils de Tiamat, était l’emblème de Marduk, qui figure entre autres dans les célèbres tableaux de la Tour de Babel de John Martin (Wullen et Schauerte 2008, 104, 120, 122). On peut y ajouter encore les Nagas hindoues (Jones et Ryan 2008, 7–8, 300) ainsi que la divinité ophidienne du tantrisme, Kundalini, dont le nom signifie en sanskrit celle qui se love, avec une fonction originellement cosmogonique à l’instar de l’ouroboros. Sa position lovée autour du bindu, point zéro de l’univers, montre la concentration encore inerte de l’énergie, la configuration à l’état latent de tous les phonèmes du langage, alors que son mouvement ascendant marque le déploiement de cette énergie vitale et verbale. En tant que pouvoir de parole, Kundalini est essentiellement connectée à Vāc (Padoux 1990, 124–146) qui, par conséquent, assume aussi un aspect ophidien.
La variante la plus globalisée de l’ouroboros sur le plan spatiotemporel est sans doute la figure chinoise du taijitu comprenant le Yin et le Yang (Jung 1973, 477–479 ; Chevalier et Gheerbrant 1973, III, 340). Les deux segments serpentins en spirale, à l’instar du caducée mercuriel, rapprochent les principes contraires et complémentaires du ciel et de la terre, du clair et de l’obscur, du masculin et du féminin, du bien et du mal, toujours prêts à s’inverser (I Ging / Wilhelm 2011, 21 ; Jung 1973, 478). C. G. Jung signale que le principe de l’inversion ou « Enantiodromie », présent dans l’archétype de l’ouroboros, est profondément enraciné dans le langage, et il le démontre par des exemples anglo-allemands très pertinents. Mais avant tout, il faut mettre en valeur l’inscription du serpent ou dragon dans l’écriture, à savoir dans l’hexagramme fondamental du Yi Jing (all. I Ging, angl. I Ching, lat. I-King), le Livre des transformations qui fournit les bases du taoïsme, ainsi que la binarisation numérique amorcée par Leibniz et accomplie par l’informatique. Alors que l’ouroboros sous-jacent au taijitu s’avère être une figure universelle de la globalisation multilingue, l’hexagramme du Yi Jing, outre son symbolisme ophidien, se révèle comme une figure primordiale du croisement et de la médiation du langage verbal, visuel et numérique.
Variantes axiologiques du serpent bifide et syncrétismes mythologiques. Mythe biblique vs. mythe mexicain
En dehors de son ambivalence fondamentale, négative et positive, la figure de l’ouroboros bifurque en deux variantes ou dominantes axiologiques, l’une plutôt euphorique et plurielle, l’autre plutôt dysphorique et unitaire. Contrairement aux multilinguismes euphémiques des mythes mexicains, le mythe biblique de la Genèse a inauguré une glossogonie sous le signe satanique de la scission du langage, renforcée par la confusion babylonienne des langues. Il est vrai que par la suite, la scission du langage a été réparée par l’intervention pentécostaire et multilingue du Saint-Esprit en vue de l’évangélisation du monde par la parole nouvelle du christianisme. Pourtant, la nouvelle polyglossie – à part l’universalisme unitaire qui l’englobe – resta longtemps marquée par la tare du multi-linguisme ophidien et diabolique. D’un côté, les multiples langues de l’invisible Saint-Esprit étaient sublimées par la figure quasiment immatérielle des langues de feu et, de l’autre côté, le multilinguisme babylonien et satanique resta omniprésent par des représentations monstrueuses, verbales et iconographiques, du serpent bifide du paradis et du dragon multi-langues de l’Apocalypse. Dans la superbe tenture de L’Apocalypse d’Angers (XIVe s.), le dragon satanique et babylonien à sept têtes et aux langues démultipliées se retrouve dans plusieurs phases de la lutte finale pour la domination du monde, adoré par les peuples du monde entier et dans toutes les langues (Apocal. 13.7, 17.15), avant d’être vaincu par les anges apocalyptiques sous l’égide de saint Michel et du Logos, suite à la chute définitive de Babylone (Apocal. 12–20). Le peintre Jean de Bruges a illustré la scène de la rébellion finale de Gog et Magog, alliés de Satan, par l’image de la bouche grande ouverte de l’Enfer dans laquelle apparaît une dernière fois le diabolique dragon multi-langues. Une autre référence capitale du Moyen Âge est l’Expositio in Apocalypsim dans le Liber figurarum du millénariste Joachim de Flore (XIIe s.) avec la figure du Draco magnus et rufus. Le dragon heptacéphale et heptaglotte est l’un des exemplaires les plus frappants du monstre diabolique de l’Apocalypse qui hanta l’imaginaire chrétien pendant des siècles. Le multilinguisme diabolique du roman d’Umberto Eco, Il nome della rosa, est l’un de ses derniers avatars.
En revanche, il arrive que les conflits interculturels entre le serpent diabolique et les nombreux ophidiens euphémiques – gréco-romains, africains, amérindiens, hindous et chinois – produisent des syncrétismes, quoique pour la plupart au détriment des cultures indigènes, comme ce fut le cas au Mexique. D’un côté, le dieu Quetzalcóatl s’est vu reconverti en avatar de l’apôtre saint Thomas, qui aurait évangélisé le Mexique avant les Espagnols ; de l’autre, il se rapproche du serpent diabolique, lorsque la Madone tient sous ses pieds un serpent qui s’enroule autour du globe terrestre, incarnant à la fois le diable et le dieu suprême des Aztèques à l’époque (Dufétel 1997, 45, 48, 49, 54–55 ; Brading 2001, 174). Il s’y révèle la figure paradoxale d’un ouroboros christianisé : le serpent cosmique dompté par la nouvelle Ève et son fils, le Christ, mais qui domine le monde.
Un syncrétisme plus entier se note dans le culte des Chicanas rendu à la « Virgen de Guadalupe ». Celle-ci, dans Borderlands. La Frontera, se voit métissée moyennant la paronomase interlingue « Coatlalopeuh » et s’assimile ainsi aux déesses-serpents aztèques (Anzaldúa 1999, 50–51).
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Symbolisme alchimique :
Selon Nicolas Vernot, auteur d'un article intitulé "Un serpent dans le cœur: la symbolique de l’ex-libris de Philippe II Chifflet, abbé de Balerne (1597-1657)." (2007) :
Figure rarissime en héraldique, le serpent appelé ouroboros (littéralement : « qui se mord la queue ») est familier aux mondes symboliques et alchimiques. On le retrouve dans de nombreuses civilisations. Au Vème siècle de notre ère, l’égyptien Horus ou Horapollon s’efforça de rassembler ce qui survivait de la pensée symbolique égyptienne. Son œuvre, rédigée en grec, fut retrouvée mille ans plus tard : publiée pour la première fois à Paris en 1543 avec 197 gravures, elle constitue l’une des sources d’inspiration majeure de la pensée emblématique qui se développe à partir de la Renaissance. Voici ce que Horapollon rapporte sur l’ouroboros : « lorsqu’on veut représenter l’univers, on trace un serpent qui se dévore la queue, et dont le corps est parsemé d’écailles. Les écailles représentent les étoiles dans l’univers. L’animal est extrêmement pesant comme la terre, et extrêmement glissant comme l’eau ; ensuite, chaque année, il se dépouille de son âge avec sa peau, comme dans l’univers, l’année produit un changement et renaît. Et l’usage de son propre corps comme d’une nourriture signifie que toutes choses qui sont engendrées dans l’univers par la providence divine doivent à nouveau se résoudre en lui-même ».
Cette symbolique était connue au Moyen Age dans le domaine alchimique. Dès avant la Renaissance, l’idée de régénération évoquée par ce serpent se mordant la queue, associée à la présence du cercle symbolisant la perfection, expliquent que la littérature et l’imagerie alchimiques médiévales s’emparent de ce symbole pour évoquer le processus de purification, la régénération cyclique, la renaissance et d’une manière générale, l’œuvre qui n’a ni commencement ni fin. Il figure, en tant que tel, sur le Codex casselanus, un manuscrit du XVème siècle. S’il n’est pas dans notre propos de nous étendre sur les gloses et spéculations symboliques qui se sont développées dès le Moyen Age à propos de ce symbole, il convient simplement de retenir que c’est un des symboles alchimiques les plus utilisés dès la fin du Moyen Age.
A la Renaissance, la figure de l’ouroboros connaît une plus large diffusion à la faveur de la mode des recueils d’emblèmes, grâce auxquels le serpent va s’échapper de la sphère strictement alchimique. C’est essentiellement la notion d’éternité que va diffuser cette littérature : ainsi, Alciat, dans son Emblematum liber, choisit d’illustrer la sentence ex litterarum studiis immortalitatem acquiri par un triton soufflant dans une conque, placé au centre d’un ouroboros, l’ensemble évoquant la renommée éternelle.
Céline Bryon-Portet dans un article intitulé "Spiritualiser la matière et matérialiser l’esprit." (In : La chaîne d’union, 2016, vol. 78, no 1, pp. 44-55) ajoute :
Or si tout un réseau de correspondances pouvait relier le bas et le haut, selon les alchimistes, c’est bien parce que ces derniers affirmaient le principe de l’unité essentielle de la matière. Ils considéraient les différences entre les éléments plutôt comme des différences de forme ou d’évolution dans un long processus de maturation, que comme des différences de nature ou d’essence : ainsi pensaient-ils que le plomb était un métal qui n’avait pas atteint un degré de maturation suffisant pour devenir de l’or. L’alchimiste Zosime de Panopolis symbolisait cette unité de la matière par un Ouroboros, un serpent qui se mord la queue, évoquant la formule grecque « En to pan », c’est-à-dire « Un le Tout ». Rappelons au passage que le sceau du Grand Orient de France est un cercle, entouré à sa périphérie d’un Ouroboros… Il en va de même pour la Grande Loge Féminine de France :
« Accomplir le miracle d’une seule chose », selon les mots de La Table d’Émeraude, réunir le bas et le haut ou, pour utiliser une expression des adeptes du Grand Œuvre, réaliser les « noces chymiques du ciel et de la terre », tel était bien l’objectif des alchimistes, objectif atteint à travers l’obtention de la Pierre Philosophale.
L’unité finale consacrant la communion du bas et du haut est donc en fait une unité retrouvée après avoir été perdue (un peu comme notre Parole perdue qui doit être retrouvée), puisqu’elle est rendue possible par le principe originel de l’unité de la matière, et de l’unité du cosmos.
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Mythologie :
A écouter : La Chaîne du Vivant - Chroniques Biologiques d’Yves Muller - "Du serpent qui se mord la queue à l’auto-cannibalisme des cellules" (Plateforme vidéo de l'Université de Montpellier, mis à jour le 8 juin 2020) : vidéo
Littérature :
Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque ainsi la cardamine :
5 mai
(Fontaine-la-Verte)
[...]
(En tournant la tête à gauche : )
Sur la pâle cardamine, le papillon aurore de la cardamine immobilise ses ailes de vitrail que deux soleils orange illuminent. On dirait que l'insecte veut recommencer ses métamorphoses à l'envers, sur la plante même qui l'a nourri quand il était larve. Ce soir, il sera chrysalide, demain chenille. Après-demain, il sera redevenu l'œuf qu'il pondait en commençant son rêve. Ourobouros. Roue du temps.
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