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Le Laurier franc


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Étymologie :

  • LAURIER, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. 1100 bot. (Roland, éd. J. Bédier, 2651) ; 2. fin xive s. « feuillage de cet arbuste consacré dans l'Antiquité à Apollon, avec lequel on tressait la couronne des vainqueurs » (Jehan Froissart, Chroniques, éd. L. Mirot, XII, 240) ; 3. 1550 fig. « la gloire du vainqueur » (Ronsard, Odes, I, IX, éd. P. Laumonier, I, 114, 98) ; 1686 cueillir des lauriers (Flechier, Le Tellier ds Littré) ; début xviiie s. se reposer à l'ombre de leurs lauriers (Saint-Simon, 137, 2 ds Littré) ; 1791 s'endormir sur ses lauriers (Marat, Pamphlets, Charlatans mod., p. 291) ; 4. 1834 « feuillage utilisé comme condiment » (Balzac, E. Grandet, p. 203). Dér., avec suff. -ier*, de l'a. fr. lor (xie s. ds Raschi, Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 2, p. 163, 164 − xiiie s. ds T.-L.), du lat. laurus « id. ».


Lire aussi la définition pour amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Laurus nobilis - Baguier - Cagoulhe - Laouzié - Laurier à jambon - Laurier d'Apollon - Laurier franc - Laurier-palme - Laurier sauce - Loriô - Lourié -

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Expressions :


Camille Briot, auteure de Le laurier noble, plante des héros : aspects historiques, botaniques et thérapeutiques. (2016. Thèse de doctorat. Université de Lorraine) recense les expressions en lien avec le laurier :


Baccalauréat : Sanctionnant la fin des études secondaires en France et instauré par Napoléon Bonaparte, le baccalauréat était à l’origine décerné au Moyen-Age aux étudiants en médecine qui venaient d’obtenir leur diplôme. Le mot provient de la racine latine bacca lauri signifiant "baies de laurier". Le baccalauréat fait donc référence à la couronne de laurier offerte aux héros dans l’Antiquité.


Couronné de laurier : Cette expression nous renvoie au lauréat, une personne qui réussit un examen ou décroche un concours.


Cueillir ou moissonner des lauriers : Remporter des victoires.


S’endormir ou se reposer sur ses lauriers : Se dit de toute personne qui, après avoir eu une première réussite, cesse ses efforts afin d’en obtenir d’autres. Cette expression fait encore une fois allusion à la couronne de laurier qui ornait la tête des vainqueurs autrefois.


Flétrir ses lauriers : Déshonorer sa gloire.

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Botanique :


Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle, en commençant par une description botanique :


LE LAURIER. Ses diverses espèces ; laurier d'Apollon ; son odeur pénétrante ; ses propriétés ;le laurier dans l'antiquité ; l'oracle de Delphes ; le portier des Césars ; le laurier en médecine ; les couronnes de laurier ; bachelier, lauréat ; le laurier-amandier ou laurier cerise ; le laurier-rose ; le laurier-camphrier ; extraction du camphre ; le laurier-cannellier.

Il y a plusieurs espèces de lauriers ; mais le plus célèbre et le plus anciennement connu est le laurier commun, que l'on nomme aussi laurier d'Apollon, parce que de tous temps ses branches ont servi à faire des couronnes pour les vainqueurs. Il est originaire de la Crète et du mont Atlas. C'est un bel arbre, qui s'élève à dix mètres environ dans le midi de l'Europe, dans l'Asie Mineure et dans l'Afrique septentrionale, où il croît spontanément ; mais il est beaucoup moins haut dans nos contrées.

Le bois du laurier est dur et élastique ; il conserve longtemps son odeur aromatique. Ses baies donnent une huile très-usitée en onctions contre les douleurs. Toutes les parties de cet arbre sont imprégnées de sucs aromatiques, et servent comme parfum et comme assaisonnement.


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Croyances populaires :


Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :


LAURIER. Dans beaucoup de localités des contrées pyrénéennes, les habitants se couvrent de laurier lorsqu'il tonne, afin de se garantir de la foudre. Les anciens croyaient aussi à cette vertu du laurier, et l'on rapporte que l'empereur Tibère avait coutume, lorsqu'un orage se déclarai, de se couronner de rameaux de ce végétal, pour se préserver du danger.

On sait que le laurier sert à couronner les héros, les poëtes, et tous ceux qui obtiennent des succès publics. Cette coutume est si ancienne, le préjugé est tel à cet égard, que tenter de remplacer cette plante par une autre plante ferait crier au sacrilège. Et cependant, rien n'est moins noble, moins poétique, moins digne d'être vanté, que de décorer le front d'un grand homme., de celui qui s'esrt distingué entre tous ses semblables, avec le rameau d'un arbuste dont un autre rameau s'étale en même temps sur un jambon, ou sert d'assaisonnement à un civet ou à une matelote. Qu'on ceigne le crâne d'une cuisinière, d'une couronne de laurier, à la bonne heure I

 

Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) relève des croyances liées aux cycles de la vie et de la nature :


211.–Si, le dimanche, pendant que le prêtre est à l'évangile, on fait une croix avec du laurier, et qu'on la place sur la poitrine de celui qui tremble les fièvres, il est guéri promptement.

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Symbolisme :


Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision de ce bel arbuste :

Hiver - décembre.

LAURIER FRANC- GLOIRE.

Les Grecs et les Romains consacrèrent des couronnes de laurier à tous les genres de gloire. Ils en ornèrent le front des guerriers et des poëtes, des orateurs et des philosophes, des vestales et des empereurs. Ce bel arbuste croil en abondance dans l'ile de Delphes, sur les bords du fleuve Pénée. Là, ses rameaux aromatiques et toujours verts s'élancent à la hauteur des plus grands arbres ; et on prétend que, par une vertu secrète, ils éloignent la foudre des rives qu'ils enchantent.

La belle Daphné était fille du fleuve Pénée ; elle fut aimée d'Apollon ; mais, préférant la vertu à l'amour du plus éloquent des dieux, dans la crainte d'être séduite en l'écoutant, elle s'enfuit; Apollon la poursuivit ; et, comme il allait l'atteindre, la nymphe invoqua son père, et fut changée en laurier. Son amant, ne pressant plus dans ses bras qu’une insensible écorce, fit entendre celle triste plainte :


Puisque du ciel la volonté jalouse

Ne permet pas que lu sois mon épouse,

Sois mon arbre du moins : que ton feuillage heureux

Enlace mon carquois, mon arc et mes cheveux !

Aux murs du Capitole, à ces brillantes fêtes,

Où Rome étalera ses nombreuses conquêtes,

Tu seras des vainqueurs l'ornement et le prix.

Tes rameaux respectés des foudres ennemis

Du palais des Césars protégeront l'entrée ;

Et comme de mon front la jeunesse sacrée

N'éprouvera jamais les injures du temps,

Que ta feuille conserve un éternel printemps.

M. de Saint-Ange, Métamorphoses d'Ovide.

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Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :


Laurier franc - Gloire.

Sans doute à cause de son feuillage toujours vert. De tout temps le laurier a symbolisé la gloire.

 

Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :


LAURIER FRANC - GLOIRE.

Toute la gloire de l'homme ressemble à la fleur de l'herbe. Isaie XL, 17.


Le laurier commun ou d'Apollon est un arbuste et quelquefois un arbre toujours vert dont la tige s'élève à la hauteur de cinq à six mètres. On le dit à l'abri de la foudre ; ce privilège en quelque sorte allégorique, justifierait le choix de la gloire. Il était digne des Grecs de donner aux beaux arts une couronne semblable à la sienne. Le laurier franc porte avec lui le sentiment de l'enthousiasme, il vaut mieux le conquérir que le vanter. Mais si cet arbre est le symbole brillant de tous les genres de triomphe, il est l'attribut plus glorieux encore de la clémence. Cette vertu divine personnifiée, est représentée dans les médailles antiques, sous la figure d'une femme tenant une pique et une branche de laurier.

Daphné était fille du fleuve Pénée. Comme elle fuyait Apollon, elle invoqua le secours de son père qui la métamorphosa en laurier. Le dieu du jour voulut dès lors que cet arbre lui fut consacré, et il s'en fit une couronne qu'il porta toujours. Voici les beaux vers de M. de Saint-Ange à ce sujet :


Puisque du ciel la volonté jalouse,

Ne permet pas que tu sois mon épouse,

Sois mon arbre du moins ; que ton feuillage heureux

Enlace mon carquois, mon arc et mes cheveux ;

Aux murs du capitole, à ces brillantes fêtes

Où Rome étalera ses nombreuses conquêtes,

Tu seras du vainqueur l'ornement et le prix.

Tes rameaux respectés des foudres ennemis,

Du palais des Césars protégeront l'entrée ;

Et comme de mon front la jeunesse sacrée.

N'éprouvera jamais les injures du temps,

Que ta feuille conserve un éternel printemps.


Le laurier commun est un arbre qui croît naturellement en Italie, en Espagne, en Grèce et sur les montagnes d'Alger. Il abonde aux bords des fleuves de la Thessalie, il embellit les rivages de l'Eurotas. Il est maintenant naturalisé dans plusieurs départements du midi de la France. Cet arbre a toujours été célèbre, même dans la plus haute antiquité, et cette réputation provient sans doute de son feuillage tou jours vert, de l'élégance de son port et de l'odeur aromatique qu'il exhale. On prétendait qu'il communiquait l'esprit de prophétie et l'en thousiasme poétique ; de là vient que les poètes et les vainqueurs étaient couronnés de lauriers. Les faisceaux des premiers magistrats de Rome, des dictateurs et des consuls, étaient entourés de lauriers, lorsqu'ils s'en étaient rendus dignes par leurs exploits. On le plantait aux portes et autour du palais des empereurs et des pontifes, d'où vient que Pline l'appelle le jardin des Césars. De tous les arbres qui sont plantés par la main des hommes, ou placés dans nos maisons, dit Pline, c'est le seul que la foudre ne frappe jamais .Lorsqu'il tonnait Tibère avait grand soin de mettre une couronne de lauriers sur sa tête.

Admis dans les cérémonies religieuses, le laurier entrait dans leurs mystères et les feuilles étaient regardées comme un instrument de divination. Si jetées au feu, elles rendaient beaucoup de bruit, c'était un bon présage ; si au contraire elles ne pétillaient point du tout, c'était un signe funeste. Voulait-on avoir des songes favorables, on placait les feuilles de cet arbre sous le chevet du lit. Chez les Grecs ceux qui venaient de consulter l'oracle d'Apollon se couronnaient de lauriers s'ils avaient reçu du dieu une réponse favorable ; de même, chez les Romains, tous les messagers qui en étaient porteurs ornaient de lauriers la pointe de leurs javelines. On entourait également de lauriers les lettres et les tablettes qui renfermaient le récit des bons succès ; on faisait la même chose pour les vaisseaux victorieux du moyen-âge ; le laurier aa servi dans nos universités, à couronner les poètes, les artistes et les savants distingués par des grands succès. La couronne qui ceignit longtemps, dans les écoles de médecine, la tête des jeunes docteurs devait-être faite avec les rameaux de cet arbre, garnis de leurs baies ainsi que l'indiquent les titres de bachelier, baccalauréat ; baies de lauriers baccæ laureæ. Les statues d'Esculape étaient couronnées de lauriers.

Les branches de lauriers placées à la porte des malades annonçaient la grande confiance que l'on avait dans ses propriétés médicales : elles étaient suffisamment indiquées par l'odeur suave et balsamique qui s'exhale de toutes les parties de cet arbre, par la saveur aromatique et chaude des feuilles et des fruits, par l'huile volatille åcre et très odorante, et par l'huile grasse concrète qu'ils fournissent, et qu'on a considérée comme résolutive, propre à apaiser les douleurs et résoudre les tumeurs. Ses feuilles et ses fruits sont regardés comme toniques ; ils échauffent, fortifient l'estomac, aident les digestions et dissipent les gaz. Aujourd'hui le laurier est rarement employé en médecine ; il est plus généralement réservé pour assaisonnement dans la préparation d'une foule de mets, qu'il aromatise et dont il relève le goût.

RÉFLEXIONS.

La gloire qui n'est pas le fruit de la vertu n'est pas légitime, c'est à tort qu'on la souhaite, c'est avec péril qu'on cherche à l'acquérir.

(SAINT BERNARD, Sermons.)

Il n'y a rien de plus éclatant ni qui fasse plus de bruit que la gloire, et tout ensemble il n'y a rien de plus misérable ni de plus pauvre.

(Bossuet, Oraisons funèbres.)

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Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :


LAURIER - TRIOMPHE - GLOIRE.

Le plus connu est le laurier commun, ou laurier d'Apollon, laurier des poëtes. « Aucun arbre , dit Bescherelle, n'a joui chez les anciens d'une plus grande célébrité, aucun n'a été plus souvent chanté par les poëtes. Il était particulièrement consacré au dieu des vers, qui l'adopta pour son arbre. favori, lorsque Daphné, fuyant ses ernbrassements, fut métamorphosée en laurier. On en ornait ses temples, ses autels, et le trépied de la Pythie. On prétendait, sans doute à cause de son odeur pénétrante, qu'il communiquait l'esprit de prophétie et l'enthousiasme prophétique. Virgile fait remonter jusqu'au siècle d'Enée, la coutume de ceindre de laurier le front des vainqueurs. Les généraux le portaient dans les triomphes, non seulement autour de la tête, mais encore dans les mains, et on le plantait aux portes et autour des palais des empereurs. Dans le moyen âge, le laurier à servi, dans nos universités, à couronner les poëtes, les artistes et les savants distingués par de grands succès.

Ce laurier, c'est Daphné, chère au dieu qui l'adore,

Sous l'écorce vivante, elle palpite encore ;

Ses bras tendus encore agitent ses rameaux. (PARSEVAL GRANDMAISON)


Aux plus savants auteurs, comme aux plus grands guerriers,

Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers. (BOILEAU)

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Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :


Laurier - Gloire.

Originaire de l'Asie, cet arbuste est acclimaté dans le midi de la France, où il fleurit et donne de petites fleurs jaunâtres. Son feuillage toujours vert l'avait fait adopter par les Grecs et les Romains qui décernaient une couronne de feuilles de laurier au général revenant vainqueur, au poëte dont les vers avaient le mieux célébré la gloire de la nation ou à la vestale qui, par ses vertus, avait su mériter l'estime de tous.


Aux plus savants auteurs comme aux plus grands guerriers

Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers. (BOILEAU.)


Apollon ayant poursuivi la nymphe Daphné , celle-ci implora Minerve qui la changea en laurier. Apollon, pour honorer la vertu de cette nymphe, voulut que cet arbre lui fût consacré, et depuis il porta une couronne de feuilles de laurier.

Ce laurier, c'est Daphné chère au dieu qui l'adore,

Sous l'écorce vivante, elle palpite encore,

Ses bras tendus encore agitent ses rameaux.

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Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle :


Le laurier fut toujours la récompense des vertus militaires et des grands talents. Aucun arbre n'a été plus célèbre dans l'antiquité, ni plus souvent chanté par les poëtes. Il était particulièrement consacré à Apollon, parce que, selon la Fable, la nymphe Daphné, poursuivie par ce dieu, avait été changée en cet arbrisseau.


Sois noblement superbe, arbuste mémorable,

Que par ses fictions a consacré la Fable,

Qui vis en tes rameaux transformer la beauté

Dont le dieu du Permesse essuya la fierté. (DULARD.)


Les anciens croyaient que le laurier communiquait l'esprit de prophétie et l'enthousiasme poétique. Ils annonçaient les choses futures sur le bruit qu'il faisait en brûlant : ce bruit était un bon augure ; mais s'il brûlait sans aucun pétillement, c'était un mauvais signe. Ceux qui allaient consulter l'oracle de Delphes se couronnaient de laurier au retour s'ils avaient reçu du dieu une réponse favorable.

Quand on voulait obtenir des songes heureux, on plaçait des feuilles de cet arbre sous le chevet du lit.

Il était aussi le symbole de la victoire. Lorsque les dictateurs et les consuls s'étaient signalés par leurs exploits, leurs faisceaux étaient entourés de laurier. On plantait des branches de cet arbre aux portes des palais des empereurs le premier jour de l'année. Pline l'appelait le portier des Césars, le fidèle gardien de leurs palais. Les anciens croyaient qu'il n'était jamais frappé de la foudre.


La foudre te respecte, et ta feuille couronne

Les vainqueurs dans les champs qu'ensanglante Bellone ;

Les chantres renommés dont les nobles concerts

Éternisent le nom et charment l'univers. (DULARD.)


Il était regardé par les médecins comme une panacée universelle ; c'est sans doute pour cette raison qu'on était dans l'usage d'en orner toutes les statues d'Esculape. On en mettait des branches à la porte des appartements où se trouvaient les malades, pour se rendre favorable le dieu de la médecine.

Longtemps dans les écoles on ceignit la tête des jeunes récipiendaires, au moment de leur réception, d'une couronne faite avec les rameaux du laurier garnis de leurs baies ; de là le mot baccalaureatus - c'est-à-dire orné de baies de laurier ; d'où on a fait bachelier.

C'était une couronne de laurier qui dans le moyen âge récompensait les poëtes, les artistes et les savants qui s'étaient distingués par de grands succès; c'est de là qu'est venu le nom de lauréat.

 

Dans son Nouveau Langage des fruits et des fleurs (Benardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1872) Mademoiselle Clémentine Vatteau poursuit la tradition du Sélam :


LAURIER : Gloire.

Chez les Grecs et les Romains, le guerrier, l'orateur, le philosophe, le poëte, la vestale, l'empereur lui-même aspiraient après la couronne de Laurier.


Si mon fruit ne vaut rien,

Du moins ma feuille est immortelle.

Que ton front soit orné par elle,

Tu ne voudras plus d'autre bien. Anatole de MONTESQUJOU.

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Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),


"Le laurier est lié, comme toutes les plantes qui demeurent vertes en hiver, au symbolisme de l'immortalité ; symbolisme qui n'était sans doute pas perdu de vue par les Romains lorsqu'ils en firent l'emblème de la gloire, aussi bien des armes que de l’esprit. Le laurier passait en outre, autrefois, pour protéger de la foudre : qualité corrélative de la première.

Ce symbolisme d'immortalité est également connu en Chine : la lune, assure-t-on, contient un laurier et un Immortel. C'est au pied du laurier (plante médicinale) que le lièvre de la lune broie les simples, dont il extrait la drogue d'immortalité.

Arbuste consacré à Apollon, il symbolise l'immortalité acquise par la victoire. C'est pourquoi son feuillage sert à couronner les héros, les génies et les sages. Arbre apollinien, il signifie aussi les conditions spirituelles de la victoire, la sagesse unie à l'héroïsme.

En Grèce, avant de prophétiser, la Pythie et les devins mâchaient ou brûlaient du laurier qui, consacré à Apollon, possédait des qualités divinatoires. Ceux qui avaient obtenu de la Pythie une réponse favorable s'en retournaient chez eux avec une couronne de laurier sur la tête. Le laurier symbolisait les vertus apolliniennes, la participation à ces vertus par le contact avec la plante consacrée et, en conséquence, une relation particulière avec le dieu, qui assurait sa protection et communiquait une partie de ses pouvoirs. Comme le lait, il manifeste l'association symbolique : immortalité, connaissance secrète.

En Afrique du Nord, chez les Beni Snus, c'est d'une baguette de laurier-rose que s'arment les porteurs de masque, lors des cérémonies saisonnières. Le choix de cet arbuste n'est pas indifférent. Il affectionne les lieux humides et les paysans lui attribuent de nombreuses vertus purificatrices... Une fois consacrés par le contact avec le sang d'une victime, ces rameaux sont le signe tangible du contrat passé entre les hommes et les invisibles et, de ce fait, sont devenus des talismans protecteurs écartant toutes les forces malfaisantes."

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Selon Robert Turcan, auteur d'un compte-rendu de lecture intitulé "A. Brelich. Paides e Parthenoi." paru In : Revue de l'histoire des religions, tome 180, n°2, 1971. pp. 171-175 :


A. Brelich veut prouver que les jeux pythiques se sont greffés sur un vieux rituel initiatique de ségrégation qui survivait au temps de Plutarque dans le « Septérion » (Def. Orac, 417 e-f). La fondation des Pythia remonte officiellement à 582, mais l'usage du laurier pour le couronnement des vainqueurs n'est pas sans relation avec le rite du Temple où un amphithalès se rendait seul pour y vivre à l'état de vagabond (comme tant de candidats à l'initiation dans les sociétés élémentaires), avant d'en rapporter un laurier de purification. C'est ce laurier qui aurait servi à couronner les champions pythiques. Mais la périodicité « ennaétérique » ne coïncide pas avec celle des jeux pythiques, et beaucoup de points restent obscurs.

 

Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), le Laurier (Laurus nobilis) a les caractéristiques suivantes :

Genre : Masculin

Planète : Soleil

Élément : Feu

Divinités : Apollon sous toutes ses formes ; Asclépios-Esculape ; Déméter-Cérès.

Pouvoirs : Purification, succès, force, puissance virile.


Utilisation rituelle : Le Laurier est traditionnellement l'arbre d'Apollon : ses feuilles couronnent le dieu sur la plupart des représentations, symbole de celui qui purifie, qui illumine et qui triomphe. Les prêtres consacrés à son culte, ainsi que les devins, se ceignaient le front de Laurier.

Il est aussi le symbole de la victoire militaire. Lorsque les dictateurs et les consuls s'étaient signalés par leurs exploits lors d'une campagne, leurs faisceaux étaient entourés de Laurier. Et la lettre qui, des lointaines provinces, apportait à Rome la bonne nouvelle était liée avec des jeunes pousses souples du même arbre. D'après Plutarque, Scipion entra dans Carthage avec une branche de Laurier dans sa main.

Longtemps, dans les collèges, on ceignit la tête des étudiants reçus aux examens d'une couronne faite avec des rameaux de Laurier Barnis de leurs baies ; de là le mot baccalaureatus = orné de baies de Laurier.

Lauréat a une origine identique : c'était la couronne qui, jusqu'à la Renaissance, récompensait les poètes, les artistes et les savants qui s'étaient hautement distingués.


Utilisation magique : Infusé avec ou sans ses baies (lorsqu'on les ajoute, le goût est alors très fort), le Laurier fournit des potions de clairvoyance qui comptent parmi les meilleures. Les prêtresses du culte d'Asclépios mâchaient ses feuilles, ou bien elles les brûlaient et inhalaient la fumée pour se mettre en état de prophétiser. Cette pratique est confirmée par plusieurs traditions méditerranéennes, aussi bien arabes qu'européennes, qui recommandent de brûler du Laurier pour avoir des visions et faire des voyages hors du corps.

De toutes les plantes, c'est peut-être celle qui possède le plus haut pouvoir de purification ; brûlé, éparpillé, ou répandu en décoction, son feuillage aromatique sert à purifier les autels et les lieux de culte depuis l'Antiquité la plus reculée. C'est avec des rameaux de Laurier que l'on brasse les bains qui vont servir aux ablutions rituelles.

À la sainte-Blaise, on ornait sa statue de branches de Laurier; les pèlerins en détachaient chacun une feuille qu'ils déposaient dans un baquet rempli d'eau de pluie, et ils faisaient boire cette eau à leurs bestiaux pour les préserver aussi bien de la maladie que des mauvais sorts (Eure-et-Loir).

Dans le nord de l'Espagne, on habillait de noir le Laurier du jardin attenant à la maison où avait eu lieu un décès. Aux environs de Villadiego, on avertissait le Laurier de la mort du maître du logis, en le secouant légèrement et en lui disant : « Votre maître est mort, vous changez de maître. » Cette précaution l'empêchait de se dessécher.

En Andalousie, cet arbre sert l'art de la divination; on jette sur un lit de braises des feuilles, des baies, du bois; on lit les présages dans les étincelles, les crépitements et la fumée que dégagent ces trois formes différentes de la même plante.

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Le laurier est consacré à Apollon car c'est pour qu'elle échappe à ses entreprises de séduction que les deux changèrent la nymphe Daphné en ce végétal. Apollon l'embrassa, lui conférant l'immortalité. Ce symbolisme d'immortalité, attaché d'ailleurs à tous les végétaux à verdeur perpétuelle « n'était sans doute pas perdu de vue par les Romains lorsqu'ils en firent l'emblème de la gloire, aussi bien des armes que de l'esprit ». La plante est également associée à la vie éternelle en Chine où « la lune, assure-t-on, contient un laurier et un Immortel. C'est au pied du laurier (plante médicinale) que le lièvre de la lune broie les simples, dont il extrait la drogue d'immortalité ».

La mythologie le considère également comme un arbre d'expiation : un laurier poussa à l'endroit où Oreste vint expier son parricide tandis qu'« Apollon aurait adopté la couronne de laurier, par expiation, après avoir répandu le sang du Python ».

La Pythie, les prêtres et devins d'Apollon se couronnaient de laurier, dont les fleurs sont très odorantes, car il était censé leur communiquer « l'esprit de prophétie, la lumière, l'enthousiasme poétique ». Dans l'Antiquité, une catégorie de devins, appelés les Daphnéphages, le front ceint de laurier, en mangeaient des feuilles avant de rendre leurs oracles. La daphnomancie, ou divination par le laurier, se pratique de la manière suivante : on jette une branche ou des feuilles dans le feu et, si elles pétillent en brûlant, c'est un bon présage, un mauvais s elles brûlent sans bruit.

Considéré chez les Anciens, à l'égal de l'olivier, comme l'emblème de la paix et de la victoire - les Romains attachaient avec de petites branches de l'arbuste les lettres annonçant une victoire tandis que Scipion, nous dit Plutarque, en tenant dans l main en entrant dans Carthage vaincue -, le laurier servait à couronner les héros, es poètes et les artistes. Au Moyen Âge encre, les couronnes de laurier étaient destinées aux poètes mais aussi aux savants et aux nouveaux diplômés d'université, d'om le fameux baccalauréat, du latin bucca laurea ou « baie de laurier ».

Cette plante majestueuse, utilisée pour purifier les autels et les lieux de culte, avait aussi, d'après les Anciens, le pouvoir de protéger les hommes des mauvais esprits et des maladies (le dieu de la Médecine, Esculape, est traditionnellement représenté avec sa couronne de laurier). Les Grecs employaient la formule « Je porte un bâton de laurier » pour signifier qu'ils étaient à l'abri des poisons, des piqûres de scorpion et des maléfices. Dans A la Recherche du temps perdu, le docteur du Boulbon, un médecin lettré d'autrefois, se souvient de ces références antiques, lorsqu'il conseille la grand-mère du narrateur qui est souffrante : « Allez aux Champs-Élysées, Madame, lui dit-il, près du massif de lauriers qu'aime votre petit-fils. Le laurier vous sera salutaire. Il purifie. Après avoir exterminé le serpent Python, c'est une branche de laurier à la main qu'Apollon fit son entrée dans Delphes. Il voulait ainsi se préserver des germes mortels de la bête venimeuse. Vous voyez que le laurier est le plus ancien, le plus vénérable, et j'ajouterai - ce qui a bien sa valeur en thérapeutique, comme en prophylaxie - le plus beau des antiseptiques » (Le Côté de Guermantes I).

Son pouvoir d'éloigner la foudre a été souvent signalé : selon Pline, des branches de laurier étaient plantées devant les portes des palais des empereurs pour les protéger du feu du ciel. L'empereur Tibère ne manquait pas, pendant un orage, de se coiffer d'une couronne de laurier. Un vieux Romain dans Horace de Corneille dit d'ailleurs :


Laurier, sacré rameau qu'on veut réduire en poudre,

Vous qui mettez la tête à couvert de la foudre.


Ces croyances ont traversé les siècles, d'autant plus que la tradition chrétienne en a fait un végétal bénéfique : quand Jésus entra dans Jérusalem, des branches de laurier jonchaient le sol.

Qui en tient quelques feuilles ne craint donc pas la foudre tout comme celui qui a orné son chapeau d'une branche de laurier bénit le dimanche des Rameaux ou le vendredi saint. Dans une maison, il conserve cette propriété et il suffit de le jeter dans le feu au premier coup de tonnerre.

Avoir quelques branches de laurier chez soi conserve la santé. Le laurier bénit le jour des Rameaux protège également humains et animaux des maléfices. Planté à chaque coin d'une vigne, il la préserve des gelées. Au XIXe siècle, dans les Vosges, on faisait passer la basse-cour à travers une couronne de laurier, en récitant cinq Pater et cinq Ave en l'honneur de la sainte Vierge, de saint Jean, de saint Pierre et de saint Paul, pour prémunir la volaille de la vermine. Vers la même époque, en Bretagne, on croyait guérir un fiévreux en plaçant sur sa poitrine du laurier dont on avait fait une croix le dimanche pendant la lecture de l'Évangile. En brûler à la Saint-Jean garantit de la peste (Languedoc, Causses). Contre la colique, on recommande de boire du vin dans lequel ont macéré des baies de l'arbrisseau, récoltées à l'heure de Mars ou de Mercure, et contre un torticolis d'envelopper son cou d'une serviette contenant des feuilles chaudes de laurier. A Guernesey, es infusions de laurier guérissent l'orgelet.

Une ou deux cuillerées de poudre de laurier sec, cueilli dans l'année, délayées dans de l'huile d'olive et de l'eau de la reine de Hongrie (à base de romarin), le tout placé sur un linge et appliqué sur le nombril de la femme favorise l'accouchement. Lorsqu'un nouveau-né se présentait par les pieds, les sages-femmes britanniques, pour conjurer ce funeste présage (l'enfant risquait plus que d'autres les accidents), lui frottaient les jambes et les pieds avec des feuilles de laurier. Enterrer sous un laurier le cordon ombilical d'un nourrisson de sexe mâle le rendre courageux.

Placé derrière l'oreille, le laurier empêche l'ivresse, et un brin sous l'oreiller garantit de beaux rêves, favoriser les rêves prémonitoires ou permet de rêver de son futur époux. trois feuilles de la même plante cueillies la veille des Rois ont des semblables effets. Dans la région de Manosque, la jeune file qui veut connaître le nom de son futur époux « grave sur des feuilles de laurier les initiales de ses divers prétendants. Elle les place ensuite dans son corsage, sur son cœur. Le lendemain matin, ce sont les lettres les plus noircies qui indiquent le nom du futur élu ».

Avoir sur soi une feuille de laurier porte chance et éloigne les obstacles. Une branche conservée par les deux membres d'un couple protège leur amour. L'association du laurier et de l'amour se retrouve dans une coutume du Languedoc ou de Corse où des guirlandes de cette plante ornent la porte de la maison des nouveaux mariés.

On dit également que lorsqu'en servant un plat on donne machinalement une feuille de laurier à une jeune fille, cela présage son mariage. Toutefois en Belgique, en découvrir une dans son potage annonce un célibat de sept années.

Au XVIIe siècle, le laurier pouvait servir de réveille-matin ! Il fallait se munir d'autant de feuilles que l'on voulait dormir d'heures, les attacher dans un linge sur a ^tet et se coucher du côté gauche.

Dans les Vosges mais également en Espagne, à la mort du maître de maison, on avertissait le laurier en le secouant légèrement et en lui disant : « Votre aître est mort, vous changez de maître ». Il n'état pas rare non plus de lui faire porter le deuil, comme on le faisait avec les abeilles. Ces attentions devaient l'empêcher de sécher.

Cette charmante plante peut devenir redoutable dans deux cas : le dessèchement de ses feuilles annonce une mort prochaine, et dan la Gironde, elle sert à pratiquer un envoûtement :


Pour faire mourir son ennemi à petit feu, il faut, à une heure de l'après-midi, mettre en croix deux feuilles de laurier et les maintenir dans cette position au moyen d'une épingle. tous les jours, à la même heure, on piquera cette croix de deux épingles, l'une en long et l'autre en large en disant : "Je le pique au cœur pour le mal que tu me fais". Lorsqu'elle sera garnie d'épingles, on ira la jeter dans un cours d'eau ; alors la personne contre qui est fait le maléfice ressentira dans le cœur des piqûres atroces et mourra.

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Camille Briot, auteure de Le laurier noble, plante des héros : aspects historiques, botaniques et thérapeutiques. (2016. Thèse de doctorat. Université de Lorraine) rappelle le symbolisme du laurier :


Le laurier est une plante chargée de symbolisme qui est associée entre autres à la poésie, la gloire, la victoire et la paix.

Il représente l’allégorie de la victoire, tant dans les guerres que dans les épreuves intellectuelles. Ressortant triomphants de leur combat, les chefs de guerre comme César ou Napoléon étaient ornés d’une couronne de laurier. Même de nos jours, laurier et distinctions ne font qu’un car le laurier est présent sur les diplômes du brevet des collèges et du baccalauréat ainsi que sur la médaille de la légion d’honneur.

Gardant son feuillage vert en hiver, le laurier évoquait également l’éternité et la santé dans l’Antiquité. Vivre à côté d’une forêt de lauriers était synonyme de bonne santé. Les médecins grecs recommandaient d’ailleurs son utilisation pour se protéger de la peste ou d’autres maladies. Aussi, il était d’usage de croire que la foudre ne frappait pas à l’endroit où poussait un laurier.

Ornant la lyre d’Apollon, le laurier fut également l’emblème de l’art et de la poésie. Une célèbre fresque de Raphaël, le Parnasse, met en scène Apollon entouré de ses muses et de nombreux poètes de l’Antiquité et de l’époque du peintre tels que Dante, Pétrarque ou encore Homère.

Dès l’Antiquité, le laurier était cultivé par les Grecs et les Romains dans toutes les régions méditerranéennes. Les feuilles et fleurs de laurier sont d’ailleurs citées dans un livre de recette par le gastronome romain Apicius « De re coquinaria ».

Des représentations du laurier ont été retrouvées dans l’ancienne Pompéi, dévastée par le Vésuve.

 

Sylvie Verbois, auteure de Les arbres guérisseurs : Leurs symboles, leurs propriétés et leurs bienfaits (Éditions Eyrolles, 2018) transcrit le message que lui inspirent les arbres :

Mot-clé : S'enthousiasmer.

Élément : Eau ; Feu ; Air.

Émotion : Mélancolie ; Colère ; Tristesse.


Je porte en moi la lumière lunaire et transmets l'enthousiasme poétique. J'éloigne les orages émotionnels, vous libère de la détresse en sauvegardant le sentiment d'amour. Je souffle sur votre mélancolie ; acceptez qu'elle s'envole. Je vous apporte harmonie et unité en reliant énergie et psychisme. Je conforte votre esprit en le rassurant et en le protégeant des piqûres de l'ego et des poisons du mental. Je vous ouvre la porte des rêves prémonitoires.

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Symbolisme alimentaire :


Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :




Mythes et légendes :

Ovide, dans les Métamorphoses (1er siècle, traduction (légèrement adaptée) de G.T. Villenave, Paris, 1806, disponible sur le site de référence https://remacle.org) relate un épisode concernant la transformation de Daphné en laurier :


Daphné (I, 452-567)

Fille du fleuve Pénée, Daphné fut le premier objet de la tendresse d'Apollon. Cette passion ne fut point l'ouvrage de l'aveugle hasard, mais la vengeance cruelle de l’Amour irrité. Le dieu de Délos, fier de sa nouvelle victoire sur le serpent Python, avait vu le fils de Vénus qui tendait avec effort la corde de son arc : "Faible enfant, lui dit-il, que prétends-tu faire de ces armes trop fortes pour ton bras efféminé ? Elles ne conviennent qu'à moi, qui puis porter des coups certains aux monstres des forêts, faire couler le sang de mes ennemis, et qui naguère ai percé d'innombrables traits l'horrible Python qui, de sa masse venimeuse, couvrait tant d'arpents de terre. Contente-toi d'allumer avec ton flambeau je ne sais quelles flammes, et ne compare jamais tes triomphes aux miens."

[463] L'Amour répond : "Sans doute, Apollon, ton arc peut tout blesser ; mais c'est le mien qui te blessera ; et autant tu l’emportes sur tous les animaux, autant ma gloire est au-dessus de la tienne". Il dit, et frappant les airs de son aile rapide, il s'élève et s'arrête au sommet ombragé du Parnasse : il tire de son carquois deux flèches dont les effets sont contraires ; l'une fait aimer, l'autre fait haïr. Le trait qui excite l'amour est doré ; la pointe en est aiguë et brillante : le trait qui repousse l'amour n'est armé que de plomb, et sa pointe est émoussée. C'est de ce dernier trait que le dieu atteint la fille de Pénée ; c'est de l'autre qu'il blesse le cœur d'Apollon. Soudain Apollon aime ; soudain Daphné fuit l'amour : elle s'enfonce dans les forêts, où, à l'exemple de Diane, elle aime à poursuivre les animaux et à se parer de leurs dépouilles : un simple bandeau rassemble négligemment ses cheveux épars.

Plusieurs amants ont voulu lui plaire ; elle a rejeté leur hommage. Indépendante, elle parcourt les solitudes des forêts, dédaignant et les hommes qu'elle ne connaît pas encore, et l'amour, et l'hymen et ses nœuds. Souvent son père lui disait, "Ma fille, tu me dois un gendre" ; il lui répétait souvent, "Tu dois, ma fille, me donner une postérité". Mais Daphné haïssait l'hymen comme un crime, et à ces discours son beau visage se colorait du plus vif incarnat de la pudeur. Jetant alors ses bras délicats autour du cou de Pénée : "Cher auteur de mes jours, disait-elle, permets que je garde toujours ma virginité. Jupiter lui-même accorda cette grâce à Diane". Pénée se rend aux prières de sa fille. Mais, ô Daphné ! que te sert de fléchir ton père ? ta beauté ne te permet pas d'obtenir ce que tu réclames, et tes grâces s'opposent à l'accomplissement de tes vœux.

[474] Cependant Apollon aime : il a vu Daphné ; il veut s'unir à elle : il espère ce qu'il désire ; mais il a beau connaître l'avenir, cette science le trompe, et son espérance est vaine. Comme on voit s'embraser le chaume léger après la moisson ; comme la flamme consume les haies, lorsque pendant la nuit le voyageur imprudent en approche son flambeau, ou lorsqu'il l'y jette au retour de l'aurore, ainsi s'embrase et brûle le cœur d'Apollon ; et l'espérance nourrit un amour que le succès ne doit point couronner.

Il voit les cheveux de la Nymphe flotter négligemment sur ses épaules : Et que serait-ce, dit-il, si l'art les avait arrangés ? Il voit ses yeux briller comme des astres ; il voit sa bouche vermeille ; il sent que ce n'est pas assez de la voir. Il admire et ses doigts, et ses mains, et ses bras plus que demi nus ; et ce qu'il ne voit pas son imagination l'embellit encore. Daphné fuit plus légère que le vent ; et c'est en vain que le dieu cherche à la retenir par ce discours :

[504] "Nymphe du Pénée, je t'en conjure, arrête ! ce n'est pas un ennemi qui te poursuit. Arrête, nymphe, arrête ! La brebis fuit le loup, la biche le lion ; devant l'aigle la timide colombe vole épouvantée : chacun fuit ses ennemis ; mais c'est l'amour qui me précipite sur tes traces. Malheureux que je suis ! prends garde de tomber ! que ces épines ne blessent point tes pieds ! que je ne sois pas pour toi une cause de douleur ! Tu cours dans des sentiers difficiles et peu frayés. Ah ! je t'en conjure, modère la rapidité de tes pas ; je te suivrai moi-même plus lentement. Connais du moins l'amant qui t'adore : ce n'est point un agreste habitant de ces montagnes ; ce n'est point un pâtre rustique préposé à la garde des troupeaux. Tu ignores, imprudente, tu ne connais point celui que tu évites, et c'est pour cela que tu le fuis. Les peuples de Delphes, de Claros, de Ténédos, et de Patara, obéissent à mes lois. Jupiter est mon père. Par moi tout ce qui est, fut et doit être, se découvre aux mortels. Ils me doivent l'art d'unir aux accords de la lyre les accents de la voix. Mes flèches portent des coups inévitables ; mais il en est une plus infaillible encore, c'est celle qui a blessé mon cœur. Je suis l'inventeur de la médecine. Le monde m'honore comme un dieu secourable et bienfaisant. La vertu des plantes m'est connue ; mais il n'en est point qui guérisse le mal que fait l'Amour ; et mon art, utile à tous les hommes, est, hélas ! impuissant pour moi-même."

[525] Il en eût dit davantage; mais, emportée par l'effroi, Daphné, fuyant encore plus vite, n'entendait plus les discours qu'il avait commencés. Alors de nouveaux charmes frappent ses regards : les vêtements légers de la Nymphe flottaient au gré des vents ; Zéphyr agitait mollement sa chevelure déployée, et tout dans sa fuite ajoutait encore à sa beauté. Le jeune dieu renonce à faire entendre des plaintes désormais frivoles : l’Amour lui-même l'excite sur les traces de Daphné ; il les suit d'un pas plus rapide. Ainsi qu'un chien gaulois, apercevant un lièvre dans la plaine, s'élance rapidement après sa proie dont la crainte hâte les pieds légers ; il s'attache à ses pas ; il croit déjà la tenir, et, le cou tendu, allongé, semble mordre sa trace ; le timide animal, incertain s'il est pris, évite les morsures de son ennemi, et il échappe à la dent déjà prête à le saisir : tels sont Apollon et Daphné, animés dans leur course rapide, l'un par l'espérance, et l'autre par la crainte. Le dieu paraît voler, soutenu sur les ailes de l'Amour; il poursuit la nymphe sans relâche ; il est déjà prêt à la saisir ; déjà son haleine brûlante agite ses cheveux flottants.

[543] Elle pâlit, épuisée par la rapidité d'une course aussi violente, et fixant les ondes du Pénée : "S'il est vrai, dit-elle, que les fleuves participent à la puissance des dieux, ô mon père, secourez-moi ! ô terre, ouvre-moi ton sein, ou détruis cette beauté qui me devient si funeste" ! À peine elle achevait cette prière, ses membres s'engourdissent ; une écorce légère presse son corps délicat ; ses cheveux verdissent en feuillages ; ses bras s'étendent en rameaux ; ses pieds, naguère si rapides, se changent en racines, et s'attachent à la terre : enfin la cime d'un arbre couronne sa tête et en conserve tout l'éclat. Apollon l'aime encore ; il serre la tige de sa main, et sous sa nouvelle écorce il sent palpiter un cœur. Il embrasse ses rameaux ; il les couvre de baisers, que l'arbre paraît refuser encore : "Eh bien ! dit le dieu, puisque tu ne peux plus être mon épouse, tu seras du moins l'arbre d'Apollon. Le laurier ornera désormais mes cheveux, ma lyre et mon carquois : il parera le front des guerriers du Latium, lorsque des chants d'allégresse célébreront leur triomphe et les suivront en pompe au Capitole : tes rameaux, unis à ceux du chêne, protégeront l'entrée du palais des Césars ; et, comme mes cheveux ne doivent jamais sentir les outrages du temps, tes feuilles aussi conserveront une éternelle verdure."

Il dit ; et le laurier, inclinant ses rameaux, parut témoigner sa reconnaissance, et sa tête fut agitée d'un léger frémissement.

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D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),


LAURIER. — Un chant de l’Andalousie donne, parmi tous les arbres, la couronne au laurier, et parmi les fleurs à l’œillet :

Entre los arboles todos,

Se señorea el laurel,

Entre las mujeres Ana,

Entre flores el clavel


On sait que, pour les Grecs et les Romains, le laurier était un arbre sacré. Dans un dessin de Pompéi, on voit deux branches de laurier qui entourent un pot sous un temple gardé par un griffon. D’après Sozomène, VI, 5, les prêtres aspergeaient le plus souvent ceux qui entraient dans le temple, avec des branches de laurier. « Sur un vase peint, écrit M. Lenormant (Dictionnaire des antiquités grecques et latines, s. v. Bacchus), un des centaures du thyase dionysiaque porte une grande branche d’un laurier sacré, d’où pendent des bandelettes, un petit tableau votif et un oiseau présenté en offrande. » Dans la campagne de Bologne, écrit Mme Coronedi-Berti, le laurier est employé pour prendre les augures sur la bonne ou la mauvaise récolte ; on brûle des feuilles de laurier : si en brûlant elles font du bruit, la récolte sera bonne ; en cas contraire, elle sera mauvaise. C’est tout à fait la superstition chantée par Tibulle (II, 5) :


Ut succensa sacris crepitat bene laurea flammis,

Omine quo felix et sacer annus eat,

At laurus bona signa dedit : gaudete coloni.


« Laurus, écrit Passerat, amica bonis geniis, longequo repellit nube cava tectos lemures. » En Sicile, m’écrit le docteur Pitré, les sorciers se couronnent de laurier ; le laurier, croit-on, préserve du tonnerre et de la foudre. A San Cataldo (dans la province de Caltanissetta) le laurier est vénéré comme un arbre sacré. Le 7 décembre de chaque année, les chefs qui dirigent la fête de la Madone, patronne de l’endroit, vont cueillir dans la campagne de grandes branches de laurier, presque des arbres entiers. Ils rentrent avec ce butin et ils le transportent dans la maison de l’un d’eux ; la foule se presse sous le balcon de cette maison ; du balcon on jette alors de petites branches de laurier ; le peuple se les dispute furieusement ; les personnes qui parviennent à s’en emparer ornent la leur avec des rubans, bandelettes, foulards, oranges, etc., et avec cette branche prennent part à la procession de l’après-midi, dans laquelle, au lieu de torches allumées, on ne voit que rameaux de laurier ; les prêtres aussi et les personnages qui prennent part à la procession portent leur branche de laurier. A Troina, province de Catane, la fête des lauriers semble remplacer celle des palmes ou des oliviers qui précède la semaine sainte. « Per la festa di San Silvestro, écrit M. Pitré, che ricorre in Troina nel mese di maggio, popolani de’ vari quartieri del comune si riuniscono e montati sopra cavalcature si recano ad un bosco a raccogliere ciascuno un ramo d’alloro. Cosi forniti, a due a due tornano in Troina, vanno alla chiesa del Santo, giunti davanti la porta spiccano una frondicella del ramo e la gettano davanti di essa, indi fatta come una giravolta, tornano indietro sempre a cavallo col ramo in mano, gia benedetto. » Polydore Virgile, qui portait le laurier dans son écusson, célèbre ainsi, en copiant en grande partie Pline (XV, 30), la gloire de cet arbre (De Rerum Inventoribus, Lugduni, 1586, p. 232) : « Haec inquam, post hominum memoriam, felicissima arbor est, ad cujus comparationem platanus nihil ; quippe non unam habet laurus dotem ; dicatur enim triumphis, quando triumphantes ea coronantur ; valet adversusfulmina : quareante limina excubat. Quapropter ferunt Tiberium Caesarem, tonante coelo, consuevisse laurea uti corona. Item exornatdomos, et idcirco Caesarum pontificumque olim janitrix erat : quin et pacifera, ut quam prætendi inter armatos hostes, quietis sit indicium ; Romanis præcipuæ lætitiæ victoriarumque nuntia ; addebatur lituis militumque lanceis, ac imperatorum fasces, decorabat ; abdicat insuper ignes crepitu et detestatione quadam, et denique Apollinis est arbor. Quas ob res tantum est huic semper honiris habitum, ut eam prophanis usibus pollui fas minime esset, vel quod fortasse unius arborum latina lingua nomen viris imponatur, et cuius folium vocetur Laurea. Appellavi supra nostram Laurum, utpote quam nostræ Virgilianæ familiæ nomini sacram mei majores, una cum duobus lacertis, insigne gentis ratione non inani habuere. » Pline cite encore le présage de l’empire annoncé par une branche de laurier : « Sed et circa divum Augustum, écrit-il, eventa ejus digna memoratu. Namque Liviæ Drusillæ quæ postea Augusta matrimonii nomen accepit, cum pacta esset illa Caesari, gallinam conspicui candoris sedenti aquila ex alto abjecit in gremium illaesam. Intrepideque miranti accessit miraculum, quoniam teneret rostro laureum ramum onustum suis baccis. Conservari alitem et sobolem jussere auspices ramumque eum seri, ac rite custodiri. Quod factum est in villa Caesarum, fluvio Tiberi imposita, juxta nonum lapidem, Flaminea via, quæ ob id vocatur ad gallinas ; mireque sylva provenit. Ex ea triumphans postea Cæsar laurum in manu tenuit, coronamque in capite gessit, ac deinde imperatores Cæsares cuncti. Traditusque mos est ramos quos tenuerunt serendi. Et durant sylvæ nominibus suis discretæ, fortasse ideo mutatis triumphalibus. »

Du temps de Pline existait encore sur l’Aventin un bois de lauriers, dont les branches étaient employées pour les expiations. Sur les bords de l’Euxin, au contraire, s’élevait, disait-on, un laurier de mauvais augure, à l’endroit où le roi Amycus, fils de Poséidon, avait été tué et enseveli. Les marins, les Argonautes, qui passant par là détachaient une branche de ce laurier, se querellaient aussitôt entre eux ; la querelle cessait dès qu’on jetait la branche. Nous connaissons déjà, d’après la superstition populaire, les herbes et les plantes qui produisent la discorde entre les hommes. Mais le plus souvent le laurier est propice. Dans la IIe Idylle de Théocrite (v. 41), la jeune fille abandonnée, pour rappeler peut-être auprès d’elle le traître fuyard, fait une conjuration, en brûlant du laurier. Chez les Grecs, pour indiquer que l’on ne craignait aucun poison, aucun maléfice, on employait cette expression populaire : ... (je porte un bâton de laurier). Nous apprenons par le Lambros, poème en grec moderne de Solomos, que, le samedi saint, en Grèce, on répand des feuilles de laurier sur le payé de l’église. En Corse, on pare de guirlandes de laurier la porte de la maison où l’on célèbre une noce (cf. Provenzal, Serenata di un pastore di Zicavo, Livorno, 1874). A Rome, le 15 du mois de mai, on célébrait anciennement la fête des marchands en l’honneur du dieu Mercure. Les marchands allaient à une fontaine commune y puiser de l’eau ; dans cette eau ils plongeaient une branche de laurier, et avec cette branche ils bénissaient toute leur marchandise. La bénédiction de Pâques qui se fait dans la semaine sainte, la bénédiction des palmiers et des oliviers, rappelle cet usage païen. Les Romains décoraient aussi du laurier, outre Apollon et Bacchus, la déesse Libertas, la déesse Salus, Esculape, Hercule, etc. Pausanias fait mention de quelques lauriers qui étaient en Grèce l’objet d’un culte spécial : entre autres, il remarque un laurier qui, d’après la tradition, poussa dans l’endroit où Oreste, après avoir répandu le sang de sa mère, fit ses expiations (1) ; un temple fait avec du bois enlevé au laurier même d’Apollon dans la vallée de Tempé ; la couronne de laurier qui ornait la tête du noble enfant de Thèbes désigné, dans les Daphnéphories, pour desservir le temple d’Apollon comme ministre, et offrir au dieu un trépied en bronze. Dans les jeux en l’honneur d’Apollon, le vainqueur recevait une couronne de lauriers. La branche de laurier donnait aux prophètes la faculté de voir ce qui était caché ; c’est ce que nous apprend l’hymne homérique à Apollon : le trépied de la pythonisse était aussi entouré de lauriers. A la fille prophétique, de Tirésias, Manto, on a aussi donné le nom de Daphné (laurier) ; d’après Hésiode (Théogonie), les Muses aussi tiennent le laurier à la main. Les Arcadiens racontaient que Daphné était la fille du fleuve Ladon et de la Terre ; aimée et poursuivie par Apollon, elle fut changée par les dieux en laurier. On sait que le professeur Max Müller a déjà rapproché de ce mythe hellénique le mythe védique de la nymphe Urvâçi poursuivie par le prince Pururavas ; Max Müller vit dans Urvâci une aurore et dans Pururavas le soleil : il supposa que l’un des noms anciens de l’aurore avait été Dahanâ, mot probable mais hypothétique auquel il identifia le mot Daphné.

Apollon lui-même est souvent représenté avec une couronne de lauriers, comme dieu qui purifie, qui illumine et qui triomphe ; l’arbre est considéré comme lumineux et il donne lui-même, comme le dieu, la lumière, c’est-à-dire la renommée, la gloire ; comme le soleil est le premier à voir et à faire voir dans le ciel, ainsi son arbre participe de ses facultés prophétiques ; c’est pourquoi Claudien appelle le laurier venturi prœscia laurus. D’après Fulgentius, la feuille de laurier placée sous le coussin fait voir en songe des choses qui se réaliseront. Dionysios appelle le laurier ... (plante prophétique) ; Eustathius appelle les devins .... Les devins, en effet, ainsi que les prêtres d’Apollon, portaient une couronne de lauriers. Dans les fêtes déjà mentionnées que tous les neuf ans on célébrait à Thèbes en l’honneur d’Apollon, appelées Daphnéphories, le plus beau des garçons devait être le daphnéphoros. A Rome, à l’occasion d’une victoire, on liait la lettre qui portait la nouvelle avec de petites branches de laurier ; et on appelait la lettre : litterae laureatae. Le messager de la victoire portait une branche de laurier qu’on déposait dans le sein de Jupiter optimus maximus. D’après Plutarque, Scipion entra dans Carthage vaincue, tenant d’une main le sceptre, de l’autre une branche de laurier ; et on représentait souvent la Victoire elle-même couronnée de laurier ou de palmier. L’arrivée de Kréon, la tête couronnée de laurier, dans Sophocle, fait croire à Œdipe qu’il apporte de bonnes nouvelles. En Crète, d’après l’hymne homérique à Apollon, avant de promulguer les lois, on consultait le laurier prophétique, lequel aussi bien que du trépied, dictait ses oracles à Pythie :


Pythia, quae tripode ex Phoebi lauroque profatur,


chante Lucrèce, I. La pythonisse et les autres devins mangeaient même les feuilles du laurier, pour pouvoir prophétiser, ce qui donna lieu aux figures poétiques de Tibulle, « usque sacras innoxia lauros vescar, » et de Juvénal « quicumque... laurum... momordit, » qui veut dire : « quiconque une fois a mordu à la poésie. »


Note : 1) Ælien prétend qu’Apollon lui-même adopta la couronne de laurier, par expiation, après avoir répandu le sang du Python

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Dans Arbres filles et garçons fleurs, Métamorphoses érotiques dans les mythes grecs (Editions du Seuil, février 2017) de Françoise Frontisi-Ducroux, on peut lire qu'Apollon n'eut pas des amours de tout repos avec les mortelles.

Apollon et Daphné de Antonio del Pollaiuolo (peintre italien 1432-1498)

"Mais c'est avec Daphné qu'il connut son échec le plus douloureux (Ovide, Métamorphoses, I, 452-567). Ce fut aussi, dit Ovide, son premier amour, à la suite d'une vengeance de Cupidon. Comme Apollon se moquait de l'arc du petit dieu celui-ci décocha deux flèches : l'une dorée, l'autre de plomb, la première pour faire naître l'amour, l'autre pour le mettre en fuite. Celle-ci sur Daphné, celle-là sur Apollon. Le dieu s'enflamme sur le coup pour la belle fille qui, s'adonnant à la chasse, repousse tous ses prétendants. Apollon l'aborde, essaie de la convaincre en faisant valoir ses titres. Elle s'enfuit ; il la poursuit. Cela devient une chasse. Sur le point d'être rattrapée, elle implore les dieux de la délivrer de ce corps trop séduisant. "Sa prière à peine achevée, une lourde torpeur envahit ses membres, une mince écorce entoure sa poitrine tendre, ses cheveux s'allongent et deviennent feuillages, ses bras des rameaux ; son pied si véloce se fixe au sol par d'inertes racines, sa tête forme cime ; d'elle il en reste que l'éclat. Phœbus l'aime toujours et posant sa main sur le tronc sent encore battre le cœur sous l'écorce récente."

Un éclairage ici s'impose. Pour décrire le prodige de la métamorphose, qu'il s'agisse de Daphné, comme ici, ou des autres victimes de ce phénomène, Ovide innove considérablement. Nous sommes habitués à voir au cinéma les transformations les plus monstrueuses se déployer sous nos yeux. Il faut nous abstraire de ce cadre mental et visuel pour saisir la portée du génie d'Ovide. Avant lui la métamorphose fait l'objet d'un simple constat. Elle est énoncée sobrement : "ils devinrent des oiseaux", ou "Zeus changea sa forme contre celle d'un cygne" ; "d'un coup de baguette, Circé les transforma en porcs". Ce procédé perdurera dans nos contes de fées, où la baguette magique a un effet instantané, où la rapidité de l'action et son invisibilité s'explicitent par le "clin d’œil" : cela échappe aux regards. Ovide lui-même utilise parfois ce procédé pour se limiter à dire l'acte et son résultat sans s'attarder autrement. Mais le plus souvent il détaille une évolution et décrit lentement la progression du phénomène dans toutes ses phases. ce fait est remarquable car le contexte mental de l'Antiquité peine à appréhender la durée, expliquent les historiens des mathématiques. Or Ovide joue avec la temporalité, accélérant et ralentissant tout à la fois. [...]

Daphné est donc devenue laurier. Apollon ne se résigne qu'à demi : il enlace les branches, ambrasse le bois et dit : "Eh bien, puisque tu ne peux être mon épouse tu seras mon arbre, ô laurier [...] Tu porteras toujours un feuillage splendide et persistant. Et le laurier fait un signe d'assentiment en remuant son faîte, sa tête."

Ici se pose un problème de traduction : laurus est un mot féminin, nous y reviendrons La traduction, si elle ne veut pas être trahison, devrait conserver Daphné son genre sinon son sexe, puisqu'elle refuse d'assumer celui-ci et d'endosser le statut d'épouse. Elle ne devient pas mâle pour autant. Ce qu'embrasse Apollon demeure du genre féminin. La métamorphose devrait permettre un néologisme. Faute de pouvoir dire qu'il étreint "une" arbre, disons qu'il enlace une belle plante : une laurière ? Une laure, peut-être. Le mythe, étiologique, explique soit l'apparition de l'espèce laurier, daphné, en grec, laurus en latin, soit la raison pour laquelle cet arbre est consacré à Apollon et régulièrement utilisé dans son culte. (Note : Par exemple, les vainqueurs aux jeux pythiques étaient couronnés de laurier ; la Pythie en mâchonnait des feuilles, qui parallèlement se consumaient en fumigations ; et le premier temple de Delphes était, paraît-il bâti de lauriers, etc.).

Le schéma narratif est simple : une fille trop belle rejette l'amour, qu'il soit humain ou divin,. Préférant la chasse et la virginité, comme Artémis, elle refuse son destin de femme. Ce qui est permis à une déesse n'est pas à une mortelle, ni même à une nymphe, créature intermédiaire qui n'échappe pas à la mort. Car Daphné est fille d'un fleuve. Pour avoir refusé la condition féminine, elle sort définitivement de l'humanité et bascule dans l'état végétal. La cause de son malheur est un désir érotique, extérieur à elle, et le contact avec le divin, malgré elle. La rencontre avec la race des dieux, acceptée ou rejetée, provoque presque toujours pour les mort es un changement d'espèce, ici une descente dans l'univers végétal. Selon une autre version, rapportée par le poète grec Parthénios de Nicée, antérieur à Ovide, Daphné est la fille d'un roi de Sparte. Hostile au mariage, cette chasseresse, appréciée d'Artémis, est aimée d'un certain Leukippos, qui se déguise en fille pour chasser avec elle et a le bonheur, sous cette forme, de lui plaire : "sans cesse elle l'embrassait et se serrait contre lui". Cette tendre affection provoque la jalousie d'Apollon, également épris de Daphné, et le dieu inspire aux jeunes filles l'idée d'aller au bain. Leukippos, bien embarrassé, résiste, se voit dévêtu de force et, démasqué, est transpercé de javelots. A la suite de quoi il disparaît... devenu invisible. Débarrassé de son rival, Apollon entre en scène. Daphné s'enfuit devant le dieu qui la poursuit, et elle demande à Zeus de la soustraire au genre humain. "Elle devint, dit-on, l'arbre qui a reçu son nom : daphné, le laurier", conclut sobrement Parthénios.

Comme chez Ovide le récit a une fonction étiologique : il explique l'origine de la prédilection d'Apollon pour le laurier et l'usage de cette plante dans le culte qui lui est rendu.

Cependant le récit de Parthénios inscrit l'histoire de Daphné dans une autre série, qui joue sur la ruse et le travestissement féminin d'un mâle désireux d'approcher une fille rebelle à la sexualité, comme le fait Zeus pour violer Callistô. A la ruse du garçon pour entrer dans la troupe des chasseresses répond celle du dieu vindicatif, incitant méchamment les filles à aller se baigner Du coup le récit s'insère également dans la série du "bain de Diane", qui montre la déesse entourée de ses compagnes dénudées, épiée par un voyeur, tel Actéon. Scène dont les virtualités érotiques, légèrement scabreuses, seront exploitées par les peintres classiques, pour le plus grand plaisir des amateurs de nudités peintes.

Mais la tradition, fondée sur le poème d'Ovide, a surtout retenu le duo du dieu amoureux, déçu dans son désir, et de la nymphe terrifiée échappant à son violeur par la métamorphose en laurier. Le succès de ce mythe est attesté par de multiples versions figuratives, mosaïques grecques et romaines, peinture pompéienne, illustrations des manuscrits d'Ovide, puis des éditions imprimées et, sans discontinuer,par la peinture européenne. Incontestablement, la statue de Bernin, qui se trouve à la villa Borghèse, demeure l'œuvre la plus remarquable. Le travail du sculpteur a opéré une nouvelle métamorphose, rendant la pierre à la fois chair et végétal. Bernin a su traduire dans la transparente immobilité du marbre la stupéfiante transformation de Daphné et la lente progression que décrivait Ovide. Transcription d'un langage à un autre où le sculpteur répond au poète. Où l'on voit les orteils de Daphné s'allonger pour prendre racine, juste au-dessus du socle où sont gravés les vers d'Ovide qui décrivent l'incroyable processus. (Note : La langue latine permet, grâce à la déclinaison, d'allonger de deux syllabes à l'ablatif pluriel le mot "racine" : radicibus. Ovide en use efficacement)".

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Croyances populaires :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Dans la Gironde, on évite la mal donne, en portant un sachet qui contient trois feuilles de sauge, trois feuilles de romarin et trois feuilles de laurier bénit.

 

D'après Véronique Barrau, auteure de Plantes porte-bonheur (Éditions Plume de carotte, 2012), "Pour faire mourir à petit feu leur ennemi, les habitants de Gironde accrochaient en croix deux feuilles de laurier au moyen d'une épingle et tous les jours, à treize heures, ajoutaient à l'assemblage deux nouvelles épingles également disposées en croix. Une fois la surface recouverte, l'objet était jeté à l'eau tandis que le condamné mourrait dans de grandes souffrances. [...]


Symbole d'éternité : Un mythe grec raconte comment la nymphe Daphné fut métamorphosée en laurier par les dieux pour échapper aux avances pressantes d'Apollon. Ce dernier adressa un baiser à l'arbuste pour lui faire don de l'immortalité. Les feuilles vertes et persistantes du laurier ont certainement inspiré ce récit. A l'autre bout du monde, les Chinois ont aussi associé le laurier au symbole de l'éternité. Si la mythologie a fait du laurier un emblème d'immortalité, la tradition populaire a investi l'arbuste de divers pouvoirs bienfaiteurs.


Trois vertus porte-bonheur : Le caractère bénéfique du laurier est si puissant qu'une seule feuille gardée sur soi écarterait tous les problèmes de son chemin. Se fiant à cette croyance et souhaitant mettre toutes les chances de leur côté, es jeunes hommes craignant d'être conscrits, confectionnaient un collier avec plusieurs feuilles de cette plante. L'objet porté durant les six semaines précédant le tirage au sort devait permettre à son propriétaire de tirer un bon numéro et d'éviter l'enrôlement dans l'armée.

Le laurier vient aussi au secours des amoureux. Si vous êtes en couple, nous ne pouvons que vous conseiller de conserver chacun un morceau issu du même rameau de laurier. Si la tradition dit vrai, ce rituel vous permettra de sauvegarder dans le temps vos sentiments respectifs. Gage d'amour durable entre les époux, le laurier était également présent dans les noces romaines, corses ou languedociennes sous forme de guirlandes accrochées à la porte des jeunes couples. Selon la superstition, l'arbuste planté devant toute maison garantirait un bonheur sur les habitants. Dans la Rome antique, des lauriers étaient plantés face aux temples et aux résidences impériales mais pour d'autres raisons. Les Romains croyaient en effet fortement aux vertus protectrices du végétal contre la foudre. L'empereur Tibère se coiffait d'ailleurs d'un chapeau de laurier dès que l'orage grondait. Cette croyance a traversé les frontières puisque les Français fixaient à leur couvre-chef une brindille de cet arbuste béni le vendredi saint ou le dimanche des Rameaux.


Bénédiction dominicale : Le dimanche des Rameau est une fête chrétienne célébrée le dernier dimanche du Carême. Elle commémore la venue de Jésus dans Jérusalem où il fut accueilli par une foule brandissant des rameaux de verdure pour manifester leur joie. En souvenir de cette arrivée triomphale, les fidèles se rendant à la messe de ce jour apportent des branchages dont l'espèce botanique varie en fonction des régions. Les rameaux de buis, d'olivier, de sapin ou de laurier pour ne citer que ces exemples, sont bénis au cours de l'office et gardés durant une année dans les maisons. On attribuait autrefois des vertus exceptionnelles à ces branches vertes. elles protégeaient de la foudre, des sorts voire des voleurs et des fantômes ! Les vignerons du médoc fixaient à leurs piquets de vigne un rameau de laurier béni pour protéger les ceps de la gelée et de la grêle.

Le laurier est un arbuste fréquemment utilisé en France lors du dimanche des Rameaux. Si habituellement les ouailles se munissent d'une petite branche, les paysans landais de Chalosse faisaient les choses en grand et apportaient carrément un arbuste entier dans l'église ! Une fois ramenés chez eux, les lauriers étaient cachés dans un coin jusqu'à la nuit du samedi au dimanche de Pâques. Passé minuit, le maître de maison coupait plusieurs rameaux afin de les placer dans chaque pièce de la maison puis dans tous les bâtiments abritant les bêtes. Il terminait enfin sa distribution en plantant une branche de laurier à chaque angle de ses champs. Mais s'il ne parvenait pas à accomplir sa tâche avant que le jour ne se lève, il pouvait s'attendre à accumuler maladresse et bêtises dans ses champs durant toute une année !

A la fin des années 1800, les Provençaux ornaient souvent de décorations et de fruits leurs branches de laurier. Les Niçois ajoutaient ainsi des petites croix et une orange confite. A Toulon, des bonhommes en pain d'épice ou un cavalier en croûte étaient ajoutés à l'ensemble.


Laurier purificateur : Esculape, dieu de la médecine dans la mythologie romaine, est généralement représenté avec une couronne de laurier car l'arbuste passait pour écarter toutes les maladies. Il est vrai que le laurier dispose notamment de propriétés antiseptiques. Dans la Rome de l'Antiquité, une branche de l'arbuste était souvent fixée aux portes des personnes souffrantes. Au temps de la peste noire, ces rameaux étaient brûlés dans l'âtre des cheminées pour garantir des miasmes contagieux.


Des couronnes polyvalentes : Poètes et athlètes romains, savants et bacheliers fraîchement diplômés d'université recevaient jadis une couronne de laurier en hommage à leurs prouesses. Le parfum aromatique de la plante passait, pour les Grecs d'antan, comme facilitant les capacités divinatoires. Voilà pourquoi la Pythie et les prêtres se couronnaient d'un rameau de laurier avant de rendre leurs augures.

Lors de la parade en char dans les rues de la ville, un esclave était chargé de maintenir la couronne de laurier au-dessus de la tête du vainqueur en lui murmurant à l'oreille Memento mori, "N'oublie pas que tu es mortel !"


Arnaque ! Les marchands de Rome se rendaient autrefois à l'antique fontaine de Mercure pour augmenter leur chiffre d'affaires. Après avoir réalisé leurs ablutions, ils puisaient de l'eau dans une cruche préalablement fumigée afin de préserver les qualités du liquide transvasé. Une fois parvenus à leur commerce ou leur étal, les commerçants trempaient un rameau de laurier dans la précieuse eau et aspergeaient tous les objets destinés à la vente. Ce rituel s'accompagnait de paroles adressées à Mercure. les marchands demandaient au Dieu de bien vouloir excuser leurs parjures récents mais surtout d'accepter de les aider à réaliser des bénéfices conséquentes, quitte à berner allègrement les clients !


Célibat forcé : Quelques feuilles de laurier sont souvent les bienvenues pour aromatiser une sauce ou une soupe. En Belgique, toutefois, on prenait garde à ne pas servir ces verts éléments dans l'assiette de potage d'une jeune fille en âge de se marier. Selon la tradition, une telle présence vaudrait à la pauvre demoiselle de rester célibataire durant sept longues années..."

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Littérature :


J'aime le vert laurier ...


J'aime le vert laurier, dont l'hiver ni la glace N'effacent la verdeur en tout victorieuse, Montrant l'éternité à jamais bien heureuse Que le temps, ni la mort ne change ni efface. J'aime du houx aussi la toujours verte face, Les poignants aiguillons de sa feuille épineuse : J'aime le lierre aussi, et sa branche amoureuse Qui le chêne ou le mur étroitement embrasse. J'aime bien tous ces trois, qui toujours verts ressemblent Aux pensers immortels, qui dedans moi s'assemblent, De toi que nuit et jour idolâtre, j'adore : Mais ma plaie, et pointure, et le Nœud qui me serre, Est plus verte, et poignante, et plus étroit encore Que n'est le vert laurier, ni le houx, ni le lierre.


Étienne Jodelle (1532-1573), "j'aime le vert laurier..." in Œuvres et mélanges poétiques (1574).

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Voir aussi Laurier-rose.

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