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La Fleur

Dernière mise à jour : 6 nov.






Étymologie :


  • FLEUR, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 bot. flor (Roland, éd. J. Bédier, 2871) ; 2. ca 1100 flur « élite, le meilleur de quelque chose » (ibid., 2431) ; 3. 1121-34 « fine farine » (Ph. Thaon, Bestiaire, 983 ds T.-L.) ; 4. xive s. a la fleur de l'iaue (Modus et Ratio, 80, 69, ibid.). Du lat. flos, floris « fleur ; partie la plus fine de quelque chose » au fig. « élite » ; le sens 4 peut-être p. réf. à l'idée de « partie la meilleure de quelque chose » d'où « partie supérieure » et « surface de quelque chose » ou bien d'apr. les emplois agric. fleur de vin « moisissures à la surface » et surtout fleur de lait « crème », la loc. paraissant s'être formée en Normandie (cf. affleurer).


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.




Botanique :


Selon Stefano Mancuso et Alessandra Viola, auteurs de L'Intelligence des plantes (édition originale 2013 ; traduction français Albin Michel, 2018),


"Charles Darwin savait très bien que même si de nombreuses plantes produisent l'essentiel de leur nectar sur leurs fleurs, afin d'attirer les insectes et d'en faire les transporteurs du pollen au moment de la pollinisation, elles en produisent aussi ailleurs ; et il avait observé que ledit nectar, très sucré, attire les fourmis. Mais il n'avait jamais consacré à ce phénomène une étude approfondie et il avait fini par se convaincre que la production de nectar dite "extra-florale" était due pour l'essentiel à l'élimination de déchets par la plante. Malgré tout son respect pour Darwin, Delpino ne partageait pas du tout cette hypothèse. Le nectar étant une substance très énergétique, dont la sécrétion coûte beaucoup à la plante, le botaniste italien se demandait en effet quel motif aurait pu l'amener à s'en défaire, et pensait qu'il fallait chercher une autre explication. Après avoir repris pour point de départ ses observations sur les fourmis, il en arriva à la conclusion que les plantes myrmécophiles sécrètent leur nectar en dehors de leurs fleurs précisément pour attirer ces insectes et en faire ainsi les instruments d'une stratégie défensive très élaborée : en échange de cette riche nourriture, les fourmis protègent les végétaux contre les herbivores, comme de véritables guerriers. Vous est-il déjà arrivé de vous appuyer contre une plante ou un arbre et de devoir vous en éloigner très vite, à cause des morsures de ces petits hyménoptères très agressifs ? Eh bien c'est parce qu'ils se sont aussitôt rassemblés pour venir en aide au végétal qui les accueille, attaquer le prédateur potentiel et l'obliger à battre en retraite. Difficile, dès lors, de prétendre qu'il ne s'agit pas là d'un comportement très avantageux pour les deux espèces concernées."

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Croyances populaires :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Plusieurs plantes, qu'il est parfois malaisé d'identifier avec des espèces classées en botanique, ne se montrent que pour peu d'instants - ou se dérobent aux recherches -. En Savoie une fleur merveilleuse sortait de terre au premier coup de minuit, s'épanouissait aussitôt et disparaissait. Au douzième coup, sa possession suffisait pour enrichir.

[...] En Lauraguais, on remue pendant toute la durée du sermon de la Passion les grains que l'on désire voir produire des fleurs doubles, et on les sème le lendemain.

[...] Dans les Vosges, qui lessive entre les Rameaux et Pâques lessive aussi les fleurs.

[...] A Marseille, on s'abstient de présenter des fleurs fraîches aux petits enfants, parce que cela rappelle celles qu'on met sur leur cercueil.

[...] En Béarn, une fleur qui s'épanouit seule dans un lieu stérile présage une moisson abondante.

[...] En Basse-Bretagne, lorsque les fleurs plantées sur une tombe ne fleurissent pas, celui qui y git est en enfer.

[...] En Basse-Bretagne on tire des présages des fleurs qui ornent la couche funèbre : si elles se fanent dès qu'on les y pose, c'est que l'âme est damnée ; si elles ne se fanent qu'au bout de quelques instants, l'âme est en purgatoire, et plus elles mettent de temps à se faner, moins longue sera la pénitence. A Berlatz, dans le Tarn, lorsqu'une famille vient de perdre un de ses membres, on coupe immédiatement toutes les lieurs du jardin, et on n'en laisse plus épanouir aucune tant que dure le deuil.

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Symbolisme :


Selon Maître Dôgen (1200-1253), auteur du Shôbôgenzô, dont les Éditions Gallimard (collection folio sagesse, 1998 et 2013) proposent des extraits sous le titre La Voie du zen, Corps et esprit :


Kûge ("Fleur du Vide")


Ceux qui n'ont pas d'yeux pour voir ni d'oreilles pour entendre ne peuvent percevoir la fleur du Vide. Comme ils ne voient ni couleur ni lumière, ni feuille ni fleur, ils peuvent tout juste la sentir. Il faut que vous sachiez que, dans la Voie du Bouddha, on parle de la fleur du Vide, ce que ne font pas les non-bouddhistes, et, dans ces conditions, comment peuvent-ils réaliser l’Éveil ? Seuls les bouddhas et patriarches savent que cette fleur du ciel et de la terre s'épanouit et tombe, à l'égal des fleurs du monde. Ils savent que toutes les fleurs du ciel, de la terre et du monde sont des livres de sûtras. Elles sont la règle et le compas de l'étude du Bouddha. C'est parce que les fleurs du Vide sont le véhicule des bouddhas et patriarches que le monde du Bouddha et toutes ses Lois sont des fleurs du Vide.

Pourtant, lorsque les hommes ordinaires et les sots entendent Shâkyamuni dire : « L’œil obscurci par des taies voit les fleurs du Vide », ils font courir le bruit que ces « taies sur l’œil » sont un désordre du globe oculaire, et que c'est à cause de cette maladie que les gens perçoivent des fleurs du Vide dans le vaste ciel bleu. C'est parce qu'ils persistent dans cette logique extrême que leurs vues égarées les conduisent à distinguer trois mondes et six destinées, des bouddhas existants et des bouddhas transcendantaux, et à voir de l'existant là où tout est inexistant. Ils imaginent que, une fois qu'ont disparu ces taies sur l’œil à l'origine des visions, on ne doit plus voir des fleurs du Vide. Voilà comment ils comprennent l'énoncé : " Fondamentalement, il n'y a pas de fleurs dans le ciel" !  C'est tout à fait déplorable qu'ils ignorent tout des circonstances des "Fleurs du Vide"  dont parle le Bouddha.

Ce que perçoivent les hommes ordinaires et les non-bouddhistes n'a rien à voir avec le principe des fleurs du Vide et des yeux obscurcis de la Voie des bouddhas. Par la pratique de la Fleur du Vide, tous les bouddhas revêtent la robe du Tathâgata, entrent dans sa demeure et s'assoient sur son trône. C'est ainsi qu'ils obtiennent l’Éveil et en recueillent les fruits. « Il lève les sourcils et cligne les yeux » actualise complètement ce kôan : « L’œil obscurci par une taie voit les fleurs du Vide. » Transmettre exactement le Trésor de l’Œil de la vraie Loi et l'esprit merveilleux du nirvâna, c'est sans relâche voir les fleurs du Vide avec des yeux obscurcis. L’Éveil, le nirvâna, le corps de Loi, notre propre nature, etc., sont deux ou trois pétales des cinq pétales ouverts de la fleur du Vide.

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Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision des fleurs :


Automne - Septembre.

LES FLEURS.

Dans nos heureux climats le printemps se revêt d'une robe verte émaillée de fleurs qui doit à la nature tous ses ornements. L'été, la tête couronnée de bleuets et de coquelicots, fier de ses moissons dorées, reçoit de la main des hommes une partie de sa parure, tandis que l'automne paraît toute chargée de fruits perfectionnés par notre industrie. Ici la pêche succulente est ornée des couleurs de la rose, l'abricot savoureux parait tout couvert de l'or qui éclate au sein des renoncules, le raisin de la pourpre des douces violettes, et la pomme variée de l'éclat des brillantes tulipes ; tous ces fruits ressemblent tellement à des fleurs qu'on les croirait faits pour le plaisir des yeux ; et cependant partout ils font régner l'abondance, et l'automne, qui les verse sur nos tables, semble nous annoncer que la nature vient d'épuiser pour nous ses derniers bien faits. Mais tout à coup une Flore nouvelle a paru dans nos champs. Cette déesse vagabonde, fille du commerce et de l'industrie, était inconnue aux beaux jours de la Grèce et à la simplicité de nos bons aïeux. Occupée sans cesse à parcourir la terre depuis deux siècles, elle nous enrichit des dépouilles du monde. Elle arrive, et nos parterres, tristes, abandonnés, se revêtent d'un nouvel éclat : la marguerite chinoise se mêle au riche œillet d'Inde ; le réséda des bords du Nil croit au pied de la tubéreuse orientale ; l'héliotrope, la capucine et la belle de nuit du Pérou s'épanouissent à l'ombre du bel acacia de Constantinople ; le jasmin de Perse s’unit au jasmin de Virginie pour couvrir nos berceaux, pour embellir nos bocages ; la rose de Damas, la croix de Jérusalem, qui nous rappellent les croisades, lèvent leurs têtes éclatantes auprès de la persicaire d'Orient ; et l'automne, qui ne trouvait jadis dans nos champs qu'un chapeau de pampres, s'étonne d'y revêtir de si riches ornements et de mêler à la verdure de ses couronnes les roses toujours fleuries qui croissent aux champs du Bengale. Ces biens si charmants, ces plaisirs si purs, nous les devons à ce bon Henri IV (1), qui, en fondant le Jardin des Plantes, semblait vouloir unir par des chaînes de fleurs son peuple à tous les peuples du monde. Que j'aime à observer ces belles étrangères qui ont conservé parmi nous leur instinct et leurs habitudes naturelles ! La sensitive fuit sous ma main comme sous celle du sauvage américain, le souci d’Afrique m'annonce, comme aux noirs habitants du désert, les jours secs ou pluvieux. Le liseron de Portugal me dit que, dans une heure, la moitié du jour sera écoulée, et la belle de nuit prévient l'amant timide qu'enfin l'heure du rendez-vous est prête à sonner.


Dans leurs plus légers mouvements

L'observateur voit un présage :

Celle-ci, par son doux langage,

Indique la fuite du temps

Qui la flétrit à son passage.

Sous un ciel encor sans nuage,

Celle-là, prévoyant l'orage,

Ferme ses pavillons brillants ;

Et sur les bords d'un frais bocage,

Sommeille au bruit lointain des vents.

Si l'une, dès l'aube éveillée,

Annonce les travaux du jour,

Et, sur la prairie émaillée,

S'ouvre et se ferme tour à tour ;

L'autre s'endort sous la feuillée,

Et du soir attend le retour,

Pour marquer l'beure de l'amour

Et les plaisirs de la veillée ;

Le villageois, le laboureur

Y voit le sort de sa journée,

Le temps, le calme, la fraicheur,

Les biens et les maux de l'année.

Il lit toute sa destinée

Dans le calice d'une fleur.

Livre charmant de la nature,

Que j'aime ta simplicité !

Ta science n'est point obscure,

Tu nous plais par la vérité.

Nous retiens par la volupté ,

Et nous charmes par ta parure.

Mais des plus tendres sentiments

Les fleurs offrent encor l'image ;

Elles sont les plaisirs du sage,

Elles enchantent les amants

Qui se servent de leur langage.

De cet arbre aimable et coquet,

La beauté n'est point offensée,

Et souvent son âme oppressée

Confie aux couleurs d'un bouquet

Les doux secrets de sa pensée.

Leur langage est celui du cœur :

Elles expriment la tendresse ;

Elles expriment la ferveur

Et les désirs de la jeunesse.

Sans jamais blesser la pudeur

L'amant les offre à sa maitresse,

Et brûle encor, dans son ivresse,

De lui prodiguer le bonheur

Dont un bouquet fait la promesse (2) .


Note : 1) On croit généralement que le Jardin des Plantes fut fondé par Louis XIII ; mais Henri IV en eut la première idée. C'est au Louvre, au jardin de l'infante, qu'il se plaisait à faire cultiver les plantes que le voyageur Moquet lui apportait des différentes parties du monde. (Voyez les Voyages de Moquet.) 2) Aimé Martin, Lettres à Sophie, tome 1.

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Jules Lachaume dans son Langage emblématique des fleurs, d'après leurs qualités, leurs mœurs, leurs habitudes et d'après la tradition des Anciens (Paris, 1847) développe son point de vue anthropomorphe sur les fleurs :


Dès la plus haute antiquité, surtout en Orient, les Fleurs ont eu le privilège d’expliquer symboliquement les pensées et les sentiments de l’homme. On a d’abord été frappé de l’analogie de leur existence avec l’existence humaine, dont les fleurs reproduisent les différentes phases. Puis, en les étudiant dans leurs mœurs et dans leurs habitudes, on n’a pas tardé à trouver un grand nombre d’analogies nouvelles, et les fleurs devinrent une langue véritable, la charmante et douce langue du cœur.

Seulement, il est à regretter que ce beau langage n’ait pas été formé toujours avec une logique plus rigoureuse : souvent les emblèmes sont de pure convention, ou du moins on ne sait plus saisir les rapports que les anciens avaient pu découvrir entre certaines fleurs et les idées ou les sentiments qu’elles symbolisent encore aujourd’hui.

Fils d'horticulteur, horticulteur moi-même, dès mes jeunes années j’ai vécu au milieu des fleurs, et je les ai cultivées et étudiées avec amour. J’essaie aujourd’hui de publier, sinon un nouveau langage des fleurs, du moins un langage plus complet, avec des analogies plus vraisemblables et plus rigoureuses. Au lieu d’aller chercher les mots de cette langue si gracieuse dans les pays éloignés, sur les montagnes inaccessibles, je prends ceux qui se trouvent sans cesse sous notre main, dans nos jardins, dans nos parterres, et dans la campagne. Ainsi, au lieu de donner la mandragore, dont le suc est un poison, pour le symbole de la rareté, j’ai fait exprimer la même idée à des plantes fleurissant rarement.

[....]

HORLOGE DE FLORE d’après Linnée.


Il est des fleurs qui s’ouvrent invariablement à la même heure du jour ou de la nuit. Les paysans savent cela et en profitent pour régler le temps. Linnée a eu l’ingénieuse idée de composer avec ces fleurs une Horloge florale que voici :


Minuit. le Cactus à grandes fleurs.

Une heure. le Laiteron de Laponie.

Deux heures. le Salsifis jaune.

Trois heures. la grande Picride.

Quatre heures. la Cripide des toits.

Cinq heures. Emérocale fauve.

Six heures. l’Épervière frutiqueuse.

Sept heures. le Souci pluvial.

Huit heures. le Mouron rouge.

Neuf heures. le Souci des champs.

Dix heures. la Ficoïde napolitaine.

Onze heures. l'Ornithogale.

Midi. la Ficoïde glaciale.

Une heure. Œillet prolifère.

Deux heures. Épervière piloselle.

Trois heures. le Pissenlit taraxacoide.

Quatre heures. l’Alysse alistoïde.

Cinq heures. Belle de nuit.

Six heures. Géranium triste.

Sept heures. le Pavot à tige nue.

Huit heures. Liseron droit.

Neuf heures. Liseron linéaire.

Dix heures. Hipomée pourpre.

Onze heures. le Siléné, fleur de nuit.


CALENDRIER DE FLORE.

D’autres plantes fleurissent invariablement dans le même mois, et ont donné lieu à un Calendrier de Flore,


Janvier. Ellébore noir.

Février. Daphné, bois gentil.

Juin. Pavot, Coquelicot.

Juillet. Chironie, petite Centaurée des prés.

Septembre. Cyclamen d’Europe.

Octobre. Millepertuis de la Chine.

Novembre. Ximénésie encéloïde.

Décembre. Lapésie à grappes.


SEMAINE DE FLORE d’après les fleurs animées. Cette semaine florale est toute de convention.


Lundi. Baguenaudier.

Mercredi. Épine-vinette.

Jeudi. Lilas.

Vendredi. Cyprès.

Samedi. Jonquille.

Dimanche. Giroflée.


OBSERVATION. Une fleur présentée la corolle en haut exprime la pensée même qu’elle symbolise ; renversée, elle exprime la pensée contraire. La place qu’occupe une fleur détermine, précise davantage sa signification. Ainsi le souci, qui signifie peine, voudra dire peine d’esprit si on le place sur la tête, et peine de cœur ou d'amour s’il est placé sur le cœur. Le pronom moi s’exprime par l’inclinaison d’une fleur à droite ; en la penchant à gauche, on exprime le pronom toi.

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Dans son Nouveau Langage des fruits et des fleurs (Benardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1872) Mademoiselle Clémentine Vatteau poursuit la tradition du Sélam :


Le langage des fleurs ou Selam, remonte à une époque déjà bien ancienne. Il fut pour la première fois mis en usage par une jeune et charmante bouquetière d'Athènes, Glycéra, au sujet de laquelle Pline rapporte ce qui suit : « Glycéra excellait dans l'art de faire des guirlandes, des couronnes et des bouquets ; le peintre Pausias, contemporain d'Appelles, excellait dans la peinture des fleurs. On vit l'art et la nature faire des efforts pour se surpasser réciproquement ; chacun voulait l'emporter sur son émule ; on ne savait à qui adjuger la victoire. Mais Pausanias, ayant voulu peindre la bouquetière elle-même tressant des couronnes, se prit à l'aimer et s'avoua vaincu. »

Depuis Glycéra, le langage des fleurs a fait d'immenses progrès. Il est en honneur chez tous les peuples, même les moins civilisés. Les Chinois possèdent un alphabet très-complet dont les lettres sont remplacées par des fleurs ayant chacune leur signification et dont la réunion variée exprime des pensées en rapport avec la disposition qui leur est donnée.

Jeunes gens, puisque tout vous y invite, apprenez donc le langage des fleurs ; la voix des fleurs, c'est la voix de l'amour. Un bouquet savamment agencé en dira beaucoup plus qu'une lettre dans laquelle la banalité étouffe souvent les sentiments les plus tendres et l'affection la plus passionnée.


Des fleurs sachez donc le langage ;

Apprenez-le : dans l'Orient,

L'amour en fait un doux usage

Et lui doit son plus tendre hommage :

Langage adroit, livre riant,

Qui secrètement nous enflamme,

Et sur ses fragiles feuillets,

Dit en caractères secrets,

La joie et la peine de i'àme.


Lisez avec attention le récit suivant d'un Arménien, qui nous a été rapporté par M. A. Jacquemart :


« J'étais jeune et peu initié encore aux finesses du langage des fleurs : parcourant seul des pays divisés par les discordes d'une multitude de chefs ambitieux, je fus pris pour un espion et retenu captif dans une petite bourgade que le sort des armes avait récemment maltraitée... Ma mort fut résolue par forme de représailles.

« Pendant que j'attendais mon sort, je vis un jour tomber à mes pieds l'armoise et le souci pluvial ; l'un signifiait présage, l'autre bonheur ; en fallait-il davantage pour ranimer en moi l'esprit de la liberté ? Je m'accrochai aux barreaux de l'étroite ouverture qui me servait de croisée et j'aperçus une jeune fille qui fuyait ; son doigt, placé sur sa bouche, semblait m'inviter à la prudence...

« La journée suivante se passa sans que je visse ma libératrice, car c'est ainsi que mon cœur se plaisait à la nommer. Enfin, vers le milieu de la nuit, j'entendis l'homme qui gardait la porte de ma prison s'écrier d'une voix brusque : « Eh quoi ! folle, es-tu donc amoureuse de l'homme qui doit mourir ? Que veut dire ce sélam ? donne-le-moi. »

« Mais, agile, la jeune fille s'élança, et un second bouquet suivit la route qu'avait prise le premier. Avec quelle impatience j'attendis le jour ! L'odorat, le tact, cherchèrent mille fois à deviner ce que les yeux seuls pouvaient lire ; enfin, aux premiers rayons du soleil, je découvris l'ériné des Alpes, le laitron de Laponie, le peuplier noir, le fenouil et le prunier sauvage. Leur disposition exprimait « Jeudi, à une heure de la nuit, le courage et la force te rendront indépendant. »

« Jeudi était le lendemain ; comme les heures me parurent longues ! de combien de minutes elles eussent été composées si j'avais dû supputer fin, d'après le battement me mes artères! Enfin, l'instant arriva. J'avais entendu tour à tour le bruit des armes, celui plus pacifique des verres, et tout semblait replongé dans le sommeil, quand un craquement dans le coin le plus obscur de mon réduit attira mon attention ; une porte secrète venait de s'ouvrir, et la jeune fille au sélam entra d'un air déterminé ; elle remit un poignard dans mes mains ; puis, allumant un tas de branchages qu'elle avait apportés, elle m'entraîna lorsqu'elle vit les flammes gagner la toiture ; nous étions déjà loin avant que l'alarme fût répandue ; les gardes dormaient du sommeil de l'ivresse.

« Quand nous fûmes au milieu du bois : « — Ange du ciel, dis-je à ma libératrice, tu vas me suivre, la vie que tu m'as rendue sera désormais dévouée à la tienne. »

« Non, reprit-elle, cela ne se peut ; tu ne connais pas la tâche que je me suis imposée. La mort seule pourra m'en délivrer. Enfant, je fus traînée en esclavage ; pour éviter le sort qui m'attendait, j'eus le courage de feindre la folie, et je vécus au milieu de ces hordes que je déteste, environnée du moins d'une pitié respectueuse. Mais, si j'ai flétri mon existence par ce triste mensonge, c'était moins pour conserver des jours qui ne sont rien, que pour me consacrer au bonheur de dérober à ces barbares une partie des captifs que leur accorde la guerre. Ils n'osent punir la folie des entreprises audacieuses qu'ils voient tenter à l'insensée, ils n'osent surtout la soupçonner des ruses qu'elle emploie pour remplir ses desseins. Va donc, fuis ; moi, je retourne dans ma cabane, feindre un sommeil que je ne goûte jamais, et demain, pauvre folle, j'irai demander, d'un air stupidement barbare, si les flammes ont respecté tes os. »

« Je ne pus que serrer avec reconnaissance la main de la jeune fille, et, pour lui obéir, je m'éloignai rapidement... Il ne me resta de cette aventure qu'une double reconnaissance au cœur : pour la jeune fille qui avait consacré sa vie toute entière au soulagement de ses frères, et pour Dieu qui lui avait donné, dans les fleurs, un moyen secret et facile de communiquer avec ceux sur lesquels devait s'exercer sa charité. »

[...]

FLEURS (Toutes les) : Tous les sentiments.


Mais des plus tendres sentiments

Les fleurs offrent encor l'image ;

Elles sont les plaisirs du sage,

Elles enchantent les amants

Qui se servent de leur langage.

De cet arbre aimable et coquet

La beauté n'est point offensée,

Et souvent son âme oppressée

Confie aux couleurs d'un bouquet

Les doux secrets de sa pensée.

Leur langage est celui du cœur :

Elles expriment la tendresse,

Elles expriment la ferveur

Et tous les désirs de jeunesse.

Sans jamais blesser la pudeur,

L'amant les offre à sa maîtresse,

Et brûle encor, dans son ivresse,

De lui prodiguer le bonheur

Dont un bouquet fut la promesse. Aimé MARTIN.

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Dans Physionomies végétales, Portraits d'arbres et de fleurs, d'herbes et de mousses (1875 ; Éditions Héros-Limite, 2012) Jacques Lefrêne (pseudonyme d'Elie Reclus) propose quelques fragments intéressants :


La fleur double, qui dépense toute sa substance en pétales stériles, en couleurs et parfums, qui ne portera jamais de fruits, et qui mourra tout entière, parce qu'elle n'aura vu qu'elle-même, c'est la coquette à parures, à joyaux, à bijoux, qui ne veux que plaire pour satisfaire les appétits de sa vanité et n'aura jamais d'enfants, qui veut être admirée et rien qu'admirée, et en se soucie pas d'être aimée, de peur d'être obligée d'aimer à son tour.

...

Combien une pauvre chélidoine semble belle en comparaison du phlox double à luxe insolent !

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Octave Mirbeau, Le Concombre fugitif :


Je vous dirai que j'aime les fleurs d'une passion presque monomaniaque. Les fleurs me sont des amies "silencieuses et violentes", et fidèles. Et toute joie me vient d'elles. Mais je n'aime pas les fleurs bêtes car, si blasphématoire que cela paraisse, il y a des fleurs bêtes, ou plutôt des fleurs, des pauvres fleurs à qui les horticulteurs ont communiqué leur bêtise contagieuse. Tels les bégonias, dont on fait, dans les jardins, aujourd'hui, un si douloureux étalage. Au point que toute autre fleur en est exilée, et que toute la flore semble se restreindre à cette stupide plante dont on dirait que les pétales sont découpés à l'emporte-pièce, dans quelque indigeste navet. Pulpe grossière, artificielle couleur, formes rigides, sans une grâce, sans une fantaisie, tiges molles et gauches, sans une jolie flexion dans la brise, nul parfum ne monte d'elle, et son âme est pareille à celle des poupées : je veux dire qu'elle n'a pas d'âme, ce qui est à peine croyable. Au Mexique, où il pousse librement, on assure que le bégonia est charmant. Que ne l'a-t-on laissé là-bas !

Oh ! les jardins d'aujourd'hui, comme ils me sont hostiles ! Et quel morne ennui les attriste ! A quel rôle abject de tapis d'antichambre, de mosaïque d'écurie, de couvre-pieds de cocottes, les jardiniers, mosaïculteurs et cloisonneurs de pelouses, n'ont-ils pas condamné les fleurs ! Tout ce qu'elles peuvent avoir, en elles, de personnalité mystérieuse, tout ce qu'elles contiennent de symboles émouvants et de délicieuses analogies, tout l'art exquis qui rayonne, en prodiges de formes éducatrices, de leurs calices, on s'acharne à le leur enlever. On les oblige à disparaître, taillées, rognées, ébarbées, nivelées par un criminel sécateur, dans une confusion inharmonique, dans une sorte de tissage mécanique et odieux. Elles ne sont plus tolérées dans les jardins, qu'à la condition de dire la suprême sottise du jardinier, d'étaler par des chiffres et par des noms la richesse et la vanité du propriétaire. Les hommes exigent qu'elles descendent jusqu'à leur snobisme, jusqu'à leur vulgarité. Rien n'est triste comme des fleurs asservies.

Les fleurs que j'aime sont les fleurs de nos prairies, de nos forêts, de nos montagnes. Je vais demander à l'Amérique septentrionale la miraculeuse beauté de ses composées, la majesté de ses hélianthes et de ses sylphiums. Au Japon, je cherche l'obscène candeur de ses lis, l'exubérante et fastueuse joie de ses pivoines, la verve folle de ses ipomées. L'Orient m'apporte toute la diversité innumérable de ses bulbes, l'extraordinaire chiffonnage de ses pavots, de ses anémones, de ses renoncules. Et que dire de la Suisse, où de chaque pente de rocher sort une merveille de vie végétale, où le caillou est hospitalier à la petite graine qui se confie à lui, où la neige couve et prépare les ardentes soirées printanières ? Quel plaisir - et je le dirai, quelque jour, ce plaisir, et je dirai aussi tout ce que les fleurs contiennent non seulement de rêve, de beauté, mais d'excitation intellectuelle et d'éducation artistique - quel plaisir de rassembler, en un jardin, tous ces êtres de miracle et de leur donner la terre qu'ils aiment, l'air dont se vivifient leurs délicats organes, l'abri dont ils ont besoin, et de les laisser se développer librement, s'épanouir selon leur fantaisie admirable et dans la norme de leur bonté ; car les fleurs sont bonnes et généreuses pour qui sait les chérir….

 

Le Glossaire théosophique (1ère édition G.R.S. MEAD, Londres, 1892) d'Helena Petrovna Blavatsky propose à l'entrée "Anthesteria" :


ANTHESTERIA (gr.). La fête des Fleurs (floralia) ; pendant cette fête le rite du Baptême ou purification, dans les Mystères d'Eleusis, était accompli dans les lacs du temple, les Limnae, lorsque les Mystes étaient appelés à franchir la "porte étroite" de Dionysos pour en émerger comme des Initiés complets.

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"Les fleurs symboliques" de René Guénon

Publié dans les Études Traditionnelles, avril 1936.


L’usage des fleurs dans le symbolisme est, comme on le sait, très répandu et se retrouve dans la plupart des traditions ; il est aussi très complexe, et notre intention ne peut être ici que d’en indiquer quelques-unes des significations les plus générales. Il est évident en effet que, suivant que telle ou telle fleur est prise comme symbole, le sens doit varier, tout au moins dans ses modalités secondaires, et aussi que, comme il arrive généralement dans le symbolisme, chaque fleur peut avoir elle-même une pluralité de significations, d’ailleurs reliées entre elles par certaines correspondances.


Un des sens principaux est celui qui se rapporte au principe féminin ou passif de la manifestation, c’est-à-dire à Prakriti, la substance universelle ; et, à cet égard, la fleur équivaut à un certain nombre d’autres symboles, parmi lesquels un des plus importants est la coupe. Comme celle-ci, en effet, la fleur évoque par sa forme même l’idée d’un « réceptacle », ce qu’est Prakriti pour les influences émanées de Purusha, et l’on parle aussi couramment du « calice » d’une fleur. D’autre part, l’épanouissement de cette même fleur représente en même temps le développement de la manifestation elle-même, considérée comme une production de Prakriti ; et ce double sens est particulièrement net dans un cas comme celui du lotus, qui est en Orient la fleur symbolique par excellence, et qui a pour caractère spécial de s’épanouir à la surface des eaux, laquelle, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs, représente toujours le domaine d’un certain état de manifestation, ou le plan de réflexion du « Rayon céleste » qui exprime l’influence de Purusha s’exerçant sur ce domaine pour réaliser les possibilités qui y sont contenues potentiellement, enveloppées dans l’indifférenciation primordiale de Prakriti [Note : Voir Le Symbolisme de la Croix, ch. XXIV.].


Le rapprochement que nous venons d’indiquer avec la coupe doit naturellement faire penser au symbolisme du Graal dans les traditions occidentales ; et il y a lieu de faire précisément, à ce sujet, une remarque qui est très digne d’intérêt. On sait que, parmi les divers autres objets que la légende associe au Graal, figure notamment une lance qui, dans l’adaptation chrétienne, n’est autre que la lance du centurion Longin, par laquelle fut ouverte au flanc du Christ la blessure d’où s’échappèrent le sang et l’eau que Joseph d’Arimathie recueillit dans la coupe de la Cène ; mais il n’en est pas moins vrai que cette lance ou quelqu’un de ses équivalents existait déjà, comme symbole en quelque sorte complémentaire de la coupe, dans les traditions antérieures au christianisme [Note : Cf. Le Roi du Monde, ch. V. On pourrait relater, entre les différents cas où la lance est employée comme symbole, de curieuses similitudes jusqu’en des points de détail : ainsi, chez les Grecs, la lance d’Achille passait pour guérir les blessures qu’elle avait causées ; la légende médiévale attribue la même vertu à la lance de la Passion.] . La lance, lorsqu’elle est placé verticalement, est une des figures de l’« Axe du Monde », qui s’identifie au « Rayon céleste » dont nous parlions tout à l’heure, et l’on peut rappeler aussi, à ce propos, les fréquentes assimilations du rayon solaire à des armes telles que la lance ou la flèche, sur lesquelles ce n’est pas le lieu d’insister davantage ici. D’un autre côté, dans certaines représentations, des gouttes de sang tombent de la lance elle-même dans la coupe ; or ces gouttes de sang ne sont ici autre chose, dans la signification principielle, que l’image des influences émanées de Purusha, ce qui évoque d’ailleurs le symbolisme védique du sacrifice de Purusha à l’origine de la manifestation [Note : On pourrait aussi, à certains égards, faire ici un rapprochement avec le symbolisme bien connu du pélican.] ; et ceci va nous ramener directement à la question du symbolisme floral, dont nous ne nous sommes éloigné qu’en apparence par ces considérations.


Dans le mythe d’Adonis (dont le nom, du reste, signifie « le Seigneur »), lorsque le héros est frappé mortellement par le boutoir d’un sanglier, qui joue ici le même rôle que la lance, son sang, en se répandant à terre, donne naissance à une fleur ; et l’on trouverait sans doute assez facilement d’autres exemples similaires. Or ceci se retrouve également dans le symbolisme chrétien : c’est ainsi que M. Charbonneau-Lassay a signalé « un fer à hosties, du XIIe siècle, où l’on voit le sang des plaies du Crucifié tomber en gouttelettes qui se transforment en roses, et le vitrail du XIIIe siècle de la cathédrale d’Angers où le sang divin, coulant en ruisseaux, s’épanouit aussi sous forme de roses [Note : Regnabit, janvier 1925. Signalons aussi, comme se rapportant à un symbolisme connexe, la figuration des cinq plaies du Christ par cinq roses, l’une placée au centre de la croix et les quatre autres entre ses branches, ensemble qui constitue également un des principaux symboles rosicruciens. »]. La rose est en Occident, avec le lis, un des équivalents les plus habituels de ce qu’est le lotus en Orient ; ici, il semble d’ailleurs que le symbolisme de la fleur soit rapporté uniquement à la production de la manifestation [Note : Il doit être bien entendu, pour que cette interprétation ne puisse donner lieu à aucune objection, qu’il y a une relation très étroite entre « Création » et « Rédemption », qui ne sont en somme que deux aspects de l’opération du Verbe divin.], et que Prakriti soit plutôt représentée par le sol même que le sang vivifie ; mais il est aussi des cas où il semble en être autrement. Dans le même article que nous venons de citer, M. Charbonneau-Lassay reproduit un dessin brodé sur un canon d’autel de l’abbaye de Fontevrault, datant de la première moitié du XVIe siècle et conservé aujourd’hui au musée de Naples, où l’on voit la rose placée au pied d’une lance dressée verticalement et le long de laquelle pleuvent des gouttes de sang. Cette rose apparaît là associée à la lance exactement comme la coupe l’est ailleurs, et elle semble bien recueillir des gouttes de sang plutôt que provenir de la transformation de l’une d’elles ; du reste, il est évident que les deux significations ne s’opposent nullement, mais qu’elles se complètent bien plutôt, car ces gouttes, en tombant sur la rose, la vivifient aussi et la font s’épanouir ; et il va sans dire que ce rôle symbolique du sang a, dans tous les cas, sa raison dans le rapport direct de celui-ci avec le principe vital, transposé ici dans l’ordre cosmique. Cette pluie de sang équivaut aussi à la « rosée céleste » qui, suivant la doctrine kabbalistique, émane de l’« Arbre de Vie », autre figure de l’« Axe du Monde », et dont l’influence vivifiante est principalement rattachée aux idées de régénération et de résurrection, manifestement connexes de l’idée chrétienne de la Rédemption ; et cette même rosée joue également un rôle important dans le symbolisme alchimique et rosicrucien. [Note : Cf. Le Roi du Monde, ch. III. La similitude qui existe entre le nom de la rosée (ros) et celui de la rose (rosa) ne peut d’ailleurs manquer d’être remarqué par ceux qui savent combien est fréquent l’emploi d’un certain symbolisme phonétique.]


Lorsque la fleur est considérée comme représentant le développement de la manifestation, il y a aussi équivalence entre elle et d’autres symboles, parmi lesquels il faut noter tout spécialement celui de la roue, qui se rencontre à peu près partout, avec des nombres de rayons variables suivant les figurations, mais qui ont toujours par eux-mêmes une valeur symbolique particulière. Les types les plus habituels sont les roues à six et huit rayons ; la « rouelle » celtique, qui s’est perpétuée à travers presque tout le moyen âge occidental, se présente sous l’une et l’autre de ces deux formes ; ces mêmes figures, et surtout la seconde, se rencontrent très souvent dans les pays orientaux, notamment en Chaldée et en Assyrie, dans l’Inde et au Thibet. Or, la roue est toujours, avant tout, un symbole du Monde ; dans le langage symbolique de la tradition hindoue, on parle constamment de la « roue des choses » ou de la « roue de vie », ce qui correspond nettement à cette signification ; et les allusions à la « roue cosmique » ne sont pas moins fréquentes dans la tradition extrême-orientale. Cela suffit à établir l’étroite parenté de ces figures avec les fleurs symboliques, dont l’épanouissement est d’ailleurs également un rayonnement autour du centre, car elles sont, elles aussi, des figures « centrées » ; et l’on sait que, dans la tradition hindoue, le Monde est parfois représenté sous la forme d’un lotus au centre duquel s’élève le Mêru, la « montagne polaire ». Il y a d’ailleurs des correspondances manifestes, renforçant encore cette équivalence, entre le nombre des pétales de certaines de ces fleurs et celui des rayons de la roue : ainsi, le lis a six pétales, et le lotus, dans les représentations du type le plus commun, en a huit, de sorte qu’ils correspondent respectivement aux roues à six et huit rayons dont nous venons de parler. [Note : Nous avons noté, comme exemple très net d’une telle équivalence au moyen âge, la roue à huit rayons et une fleur à huit pétales figurées l’une en face de l’autre sur une même pierre sculptée, encastrée dans la façade de l’ancienne église Saint-Mexme de Chinon, et qui date très probablement de l’époque carolingienne. La roue se trouve d’ailleurs très souvent figurée sur les églises romanes, et la rosace gothique elle-même, que son nom assimile aux symboles floraux, semble bien en être dérivée, de sorte qu’elle se rattacherait ainsi, par une filiation ininterrompue, à l’antique « rouelle » celtique.] Quant à la rose, elle est figurée avec un nombre de pétales variable ; nous ferons seulement remarquer à ce sujet que, d’une façon générale, les nombres cinq et six se rapportent respectivement au « microcosme » et au « macrocosme » ; en outre, dans le symbolisme alchimique, la rose à cinq pétales, placée au centre de la croix qui représente le quaternaire des éléments, est aussi, comme nous l’avons déjà signalé dans une autre étude, le symbole de la « quintessence », qui joue d’ailleurs, relativement à la manifestation corporelle, un rôle analogue à celui de Prakriti [Note : La Théorie hindoue des cinq éléments [Études Traditionnelles, numéro d’août-septembre 1935, recueilli dans les Études sur l’Hindouisme].. Enfin, nous mentionnerons encore la parenté des fleurs à six pétales et de la roue à six rayons avec certains autres symboles non moins répandus, tels que celui du « chrisme », sur lesquels nous nous proposons de revenir en une autre occasion. [Note : M. Charbonneau-Lassay a signalé l’association de la rose elle-même avec le chrisme (Regnabit, numéro de mars 1926) dans une figure de ce genre qu’il a reproduite d’après une brique mérovingienne ; la rose centrale a six pétales qui sont orientés suivant les branches du chrisme ; de plus, celui-ci est enfermé dans un cercle, ce qui fait apparaître aussi nettement que possible son identité avec la roue à six rayons.] Pour cette fois, il nous suffira d’avoir montré les deux similitudes les plus importantes des symboles floraux, avec la coupe en tant qu’ils se rapportent à Prakriti, et avec la roue en tant qu’ils se rapportent à la manifestation cosmique, le rapport de ces deux significations étant d’ailleurs, en somme, un rapport de principe à conséquence, puisque Prakriti est la racine même de toute manifestation.

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D'après Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982)


"Si chaque fleur possède, au moins secondairement, un symbole propre, la fleur n'en est pas moins, de façon générale, un symbole du principe passif. Le calice de la fleur est, comme la coupe, le réceptacle de l'Activité céleste, parmi les symboles de laquelle il faut citer la pluie et la rosée. En outre, le développement de la fleur à partir de la terre et de l'eau (lotus) symbolise celui de la manifestation à partir de cette même substance passive.

Saint Jean de la Croix fait de la fleur l'image des vertus de l'âme, le bouquet qui les rassemble étant celle de la perfection spirituelle. Pour Novalis (Heinrich von Ofterdingen), la fleur est le symbole de l'amour et de l'harmonie caractérisant la nature primordiale ; elle s'identifie au symbolisme de l'enfance et, d'une certaine façon, à celui de l'état édénique. Le symbolisme tantrico-taoïste de la Fleur d'Or est aussi celui de l'atteinte d'un état spirituel : la floraison est le résultat d'une alchimie intérieure, de l'union de l'essence (tsing) et du souffle (k'i), de l'eau et du feu. La fleur est identique à l’Élixir de vie ; la floraison est le retour au centre, à l'unité, à l'état primordial. Dans le rituel hindou, la fleur (pushpa) correspond à l'élément Éther.

Outre la méthode et l'attitude spirituelle qui lui sont essentielles, l'art japonais de l'arrangement des fleurs (ikebana) comporte un symbolisme très particulier. La fleur y est effectivement considérée comme le modèle de développement de la manifestation, de l'art spontané, sans artifice et cependant parfait ; comme aussi l'emblème du cycle végétal, résumé du cycle vital et de son caractère éphémère. L'arrangement lui-même s'effectue selon un schéma ternaire : le rameau supérieur est celui du Ciel, le rameau médian celui de l'Homme, le rameau inférieur, celui de la Terre ; ainsi s'exprime le rythme de la triade universelle, dans laquelle l'Homme est le médiateur entre le Ciel et la Terre. Pas d'arrangement vivant en dehors de ce rythme. Comme ces trois forces naturelles doivent s'harmoniser pour former l'univers, les tiges doivent s'équilibrer dans l'espace sans effort apparent. Tel est le mode vrai de l'Ikebana depuis le XIVe siècle ; mais il en existe un mode complexe ou coulé, aux tiges descendantes. Cet arrangement de fleurs tend à exprimer la pente déclinante de la vie, l'écoulement de toutes choses vers l'abîme. C'est pour cela que la courbe des tiges doit s'infléchir de plus en plus vers les extrémités. L'Ikebana peut aussi bien exprimer un ordre cosmique que les traditions des Ancêtres ou des sentiments de joie ou de tristesse.

Une autre école, du VIIIe au XIVe siècle, vise surtout à arranger les fleurs, en les faisant tenir debout (Rikka) : l'élan des fleurs symboliserait la foi en Dieu, en l'Empereur, en l'époux ou l'épouse, etc. Au début, les bouquets sont raides, notent les maîtres de Rikka : ils sont intransigeants, comme la foi du néophyte. Si l'on classe les bouquets en styles formel, semi-formel et informel, il apparaît évident que les notions qu'ils expriment ne sont jamais véritablement formelles. Ce qu'(on peut rapprocher du symbolisme de la fleur montrée par le Bouddha à Mahâkashyapa, et qui tenait lieu de toute parole et de tout enseignement : à la fois résumé du cycle vital et image de la perfection à atteindre, de l'illumination spontanée ; expression même de l'inexprimable.

[...]

C'est le sens [instabilité] de la corbeille de fleurs, chez lan Ts'ai ho, qui est souvent représenté portant une corbeille de fleurs, pour mieux mettre en contraste sa propre immortalité avec l'éphémère brièveté de la vie, de la beauté et des plaisirs.


Chez les Mayas, la fleur de frangipanier est un symbole de la fornication. Elle peut représenter le soleil, en fonction de la croyance à la hiérogamie fondamentale soleil-lune. Elle peut également signifier singe. Elle comporte cinq pétales (chiffre lunaire), mais n'en présente souvent que quatre dans son glyphe, quatre étant le nombre solaire.

Dans la civilisation aztèque, les fleurs des jardins étaient non seulement un ornement pour le plaisir des dieux et des hommes et une source d'inspiration pour les poètes et les artistes, mais elles caractérisaient e nombreux hiéroglyphes et des phases de l'histoire cosmogonique. Alfonso Reyes a décrit le symbolisme des fleurs à partir des hiéroglyphes et des œuvres d'art du Mexique : L'ère historique de l'arrivée des conquistadors au Mexique coïncida exactement avec cette pluie de fleurs qui tomba sur la tête des hommes à la fin du quatrième soleil cosmogonique.

La terre se vengeait de ses mesquineries antérieures, et les hommes agitaient des bannières de jubilation. Dans les dessins du Codex Vaticanus, elle est représentée par une figure triangulaire ornée de torsades de plantes ; la déesse des amours licites, suspendue à un feston végétal, descend sur la terre, tandis que, tout en haut, des graines éclatent, laissant tomber fleurs et fruits... L'écriture hiéroglyphique nous offre les plus abondantes et les plus variées des représentations artistiques de la fleur? Fleur était un des vingt signes des jours, le singe aussi du noble et du précieux, elle représentait encore des parfums et les boissons. Elle surgissait du sang du sacrifice et couronnait le hiéroglyphe de la prière. Les guirlandes, l'arbre, le maguey, alternaient dans les désignations de lieux. La fleur était peinte d'une manière schématique, réduite à une stricte symétrie, vue tantôt de profil, tantôt par la bouche de la corolle. Pour la représentation de l'arbre, on usait aussi d'un système défini : soit un troc divisé en trois branches égales se terminant en touffes de feuilles, soit en deux troncs divergents qui se ramifiaient de manière symétrique. Dans les sculptures de pierre et de glaise il y a des fleurs isolées, sans feuilles, et des arbres fruitiers rayonnants, tantôt comme attributs de la diversité, tantôt comme ornements d'un personnage, ou comme décoration extérieure d'"un ustensile (Nouvelles du Mexique).

De ce récit, comme des nombreuses images de fleurs dont est riche l'art mexicain, il apparaît que les fleurs manifestent l'extrême diversité de l'univers, la profusion et la noblesse des dons divins ; mais ce symbolisme très général était ici particulièrement lié au cours régulier du temps et avec les âges cosmogoniques ; il exprimait des phases particulières dans les relations entre les hommes et les dieux. La fleur était comme une mesure de ces relations.


Associées analogiquement aux papillons, comme ceux-ci, les fleurs représentent souvent les âmes des morts. Ainsi la tradition mythologique grecque dit-elle que Perséphone, future reine des enfers, fut enlevée par Hadès dans les plaines de Sicile, alors qu'elle jouait avec ses compagnes à cueillir des fleurs.

La fleur se présente, en effet, souvent comme une figure-archétype de l'âme, un centre spirituel. Sa signification se précise alors selon ses couleurs, qui révèlent l'orientation des tendances psychiques : le jaune revêt un symbolisme solaire, le rouge un symbolisme sanguin, le bleu un symbolisme d'irréalité rêveuse. Mais les nuances du psychisme se diversifient à l'infini.

Les emplois allégoriques des fleurs sont également infinis : elles sont parmi les attributs du printemps, de l'aurore, de la jeunesse, de la rhétorique, de la vertu, etc."

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Dans la "Conférence de Mme Solange Thierry". (In : École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 96, 1987-1988. pp. 133-139) on peut lire :


[...] L'offrande de fleurs, dont un corpus de textes, les anisansa, définissent les mérites, apparaît partout comme un sacrifice, donneur de vie. La fleur est promesse. Offerte, elle transmet la vie aux images des dieux, elle est œuvre pie pour les hommes, leur procurant les récompenses suprêmes. Les thèmes floraux portent des noms triomphants : naissance, fécondité, jouvence, résurrection, invulnérabilité, royauté, nirvana. La fleur est associée à l'eau, à la femme, à la manifestation divine, à la cosmogonie. Elle est signe évident du sacré, pluie de fleurs ou floraison insolite. L'arme transformée en fleur est la mort brusquement inversée. La flèche, au lieu de blesser, guérit. Au lieu de tuer, ressuscite. Le bouquet pyramidal, le bouquet-microcosme, recrée le monde pour les morts auxquels il est offert. La fleur consacrée par le souffle du prêtre anime l'effigie. Et le fait même que la fleur soit un réceptacle de vie transforme son offrande en sacrifice. En ce sens, il est inutile d'opposer systématiquement les cultures à sacrifices sanglants aux cultures végétalistes. Le sacrifice védique du soma coexistait avec les sacrifices de chevaux. Végétalisme et cultes sanglants poursuivent parallèlement leur carrière en domaine proto-indochinois ou austro-asiatique. Le bouddhisme, en éliminant théoriquement tout sacrifice sanglant, n'a fait que reprendre en l'assimilant et en lui attribuant des significations nouvelles, le vieux langage des plantes du substrat primitif.

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Dans Le Livre des Fleurs (Librairie philosophique J. Vrin, 1989), Georges Ohsawa (Nyoiti Sakurazawa) tente de nous expliquer la délicatesse de ce qu'il appelle l'âme japonaise (au sens de ce que Steiner appelle l'âme des peuples) à travers des coutumes ancestrales difficiles à appréhender pour des Occidentaux modernes :


Lorsqu'on admire un bouquet japonais il faut de temps en temps fermer les yeux du corps et ouvrir ceux de l'âme. Les fleurs qui représentent un instant de beauté, par leur silence et leur faiblesse doivent nous transporter en dehors du temps.

Non seulement leurs lignes harmonieuses sont douces au regard, mais elles détiennent le secret de la nature qui ne se révèle qu'à ceux qui savent les contempler avec respect. Ce respect, cet amour respectueux, pour mieux dire, (on ne sait quel mot employer lorsqu'on a vu de simples paysans saluer le navet avant de lui arracher les feuilles, comme dans les campagnes françaises on faisait un signe de croix sur le pain) c'est bien un sentiment spontané et vraiment profond dans le cœur des Nippons, puisqu'on le rencontre dans toutes les couches sociales, chez des gens qu'au premier abord on pourrait croire insensibles à ce genre de choses. [...]

L'enfant japonais grandit au milieu des fleurs. Il voit sa mère les porter avec respect, les disposer dans des vases précieux sur le tokonoma. Même dans les maisons les plus pauvres, il en voit sur l'autel des ancêtres à chaque nouvel an. Point n'est besoin d'ailleurs pour que les âmes de ces aïeux soient satisfaites qu'il s'agisse de fleurs rares ou précieuses. Les simples fleurs des champs suffisent et même sont l'idéal, puisque un bouquet est fait pour transposer une impression de la nature. [...] Jamais on ne tolérera qu'un enfant mutile des fleurs, cruauté encore plus lâche que vis à vis des animaux. Toutes sont sacrés à des degrés divers, à commencer par le chrysanthème qui est la fleur impériale et que nul n'a le droit de reproduire sur son habillement. La jeune fille dès la douzième année sera instruite dans l'art des fleurs. [...] On donnera leur modestie et leur silence en exemple. Elles ont toutes les qualités.

[...] Autrefois, le jeune samouraï apprenait l'art des fleurs. Cela faisait partie de l'éducation chevaleresque. C'était le beau temps où les guerriers étaient tous des poètes. Aujourd'hui les aristocrates, les hommes se piquant de culture et de raffinement, savent disposer les fleurs tout comme la meilleure maîtresse de maison. [...] Les histoires de fleurs sont innombrables. Elles ont le don de charmer tout le monde, les jeunes et les vieux. Quelle candeur, combien démodée ! En voici une : Par une nuit glacée, un pauvre chevalier reçoit un religieux à demi mort de froid. Pour le réchauffer il coupe ses plantes chéries, son seul bien est son seul amour sur la terre. Heureusement, le religieux se trouvait être en réalité le grand Hôjô Tokiyori, un prince bienfaisant, et le bon chevalier est récompensé comme il convient. C'est le sujet d'une des plus belles pièces de No qui date de l'époque Tokugawa, mais qui se joue encore, et à chaque représentation l'héroïque sacrifice du chevalier et le triste destin de ses belles plantes ne manque pas d'arracher des larmes au bon public. [...]

Les fleurs doivent être la glorification de Dieu et non pas de l'homme. C'est pour cela qu'elles ne doivent pas servir à la décoration comme en Europe. Au contraire elles sont le centre vers qui tous les regards doivent converger. Tout doit concourir à leur mise en valeur comme si elles étaient la représentation vivante de la divinité, et au fond ne sont-elles pas cela ? Les Japonais en sont convaincus.

L'art des fleurs n'est pas seulement un art, il est une religion et une morale. [...]

Les hommes ont de tous temps offert des fleurs à leurs Dieux. Leur élan vers le ciel symbolise bien la foi. [...]


Les traités sur l'art des fleurs indiquent pour chaque mois les fleurs dont il faut faire des arrangements. Voici leur liste :


Janvier : Pin - Adonis - Prunier - Saule - Asphodèle - Camélia.

Février : Prunier rouge - Camélia - Pêcher - Saule - Prunier jaune.

Mars : Iris laevigata - Pêcher - Pivoine.

Avril : Pivoine - Rosa chinensis - Iris Kaempferi - Pivoine herbacée - Chrysanthème.

Mai : Rosa chinensis - Iris Kaempferi - Chrysanthème.

Juin : Chrysanthème - Mankeisi - Hanmanten.

Juillet : Chrysanthème d'été - Chrysanthème rustique.

Août : Hassakubai - Asphodèle - Chrysanthème rustique.

Septembre : Rhodea japonica - Asphodèle - Hassakubaï.

Octobre : Chrysanthème - Asphodèle - Mankeisi - Tosibaï - Pivoine - Camélia.

Novembre : Chrysanthème - Asphodèle.

Décembre : Saule - Asphodèle - Prunier - Camélia - Rôbai - Mankeisi - Chrysanthème d'hiver.


Çyska Bouddha montra un jour une fleur à ses disciples qui l'entouraient : Je vous cède aujourd'hui tout le secret de notre philosophie, dit-il. Le voici ! Personne ne le comprenait. Un seul disciple sourit en le regardant.

"Tu m'as compris. Je te permets de prêcher dès maintenant à ma place", dit le Bouddha."

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :


Protectrices, messagères de la paix, les fleurs, selon une croyance datant des anciens Égyptiens, amènent la bonne fortune ; en offrir porte bonheur. Les Grecs avaient une déesse des fleurs, Chloris, identifiée avec la Flore (Flora) des Romains. Chez les Aztèques, les fleurs des jardins passaient pour plaire aux Dieux.

Diverses locutions témoignent d'ailleurs de la signification bénéfique de la fleur : "Couvrir quelqu'un de fleurs", "Jeter des fleurs à quelqu'un" ou encore "une vie semée de fleurs" pour signifier une vie douce et heureuse.

Si elles sont parfois symboles de spiritualité - pour saint Jean de la Croix, la fleur est "l'image des vertus de l'âme, le bouquet qui les rassemble étant celle de la perfection spirituelle" - elles sont plus généralement associées à l'amour et à la fertilité (1) : le mot fleurette (petite fleur) signifie propos galants et on dit "conter fleurette" (du verbe "fleureter", confondu avec "flirter"). Les fleurs jouent un rôle dans les entreprises de séduction : en offrir à sa bien-aimée équivaut parfois à déclarer sa flamme.

Les fleurs sont d'ailleurs utilisées dans les charmes d'amour : celle que l'on passe sur ses lèvres après avoir bu un peu de vin fait aimer de la personne à qui on la donne (Allemagne). En Italie (Venise), pour s'attacher une jeune fille, on lui faisait respirer "certaines" fleurs où la sorcière a[vait] enfermé l'esprit magique".

En Angleterre, encore au siècle dernier, pour connaître l'avenir de jeunes amoureux, on liait ensemble deux fleurs coupées qui n'étaient pas encore épanouies : si, au bout de dix jours, une fleur enserrait l'autre, la relation sentimentale était solide mais si l'une se détournait de l'autre, l'affaire était compromise. Une fleur qui s'ouvrait présageait une naissance proche ; celle qui se flétrissait ou mourait annonçait la maladie ou la mort pour un des deux. On faisait tant confiance à ce procédé que, dans certains villages, on composait autant de paires de fleurs qu'il y avait de jeunes filles amoureuses dans le voisinage.

Les fleurs sont présentes traditionnellement à toutes les étapes de la vie (naissance, anniversaire, etc.), à toutes les réjouissances (privées ou publiques), sans oublier les mariages : le bouquet de la mariée, dans lequel on peut voir également un symbole de fécondité, est censé protéger son bonheur ; lorsqu'elle le lance dans l'assistance, il porte chance à la personne qui le reçoit. Jeter des fleurs sur les nouveaux mariés assure leur prospérité. De nos jours, les confettis en forme de pétales les remplacent pour placer le couple sous de bons auspices.

Les fleurs, qui figurent par ailleurs aux obsèques, ont une signification funéraire, qu'évoque Victor Hugo dans Les Contemplations :

Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ;

Les fleurs aiment la mort et Dieu les fait toucher

Par leurs racines aux os, par leur parfum aux âmes.

("A celle qui est restée en France, VII)


L'usage de fleurir les tombeaux, qui remonte à la nuit des temps (il a été signalé chez l'homme de Néandertal), était pratiqué par la plupart des Anciens (Égyptiens, Étrusques, Gréco-Romains). Les fleurs elles-mêmes "représentent souvent les âmes des morts. Ainsi la tradition mythologique grecque dit-elle que Perséphone, future reine des Enfers, fut enlevée par Hadès dans les plaines de la Sicile, alors qu'elle jouait avec ses compagnes à cueillir des fleurs".

Les fleurs blanches, particulièrement celles qui sont très odorantes, peuvent être habitées par les âmes des défunts. Dans des récits recueillis en Bretagne, l'âme des enfants morts avant d'être baptisés "apparaît quelquefois sous l'aspect d'une grande fleur blanche ; elle est plus belle à mesure que l'on s'approche d'elle et s'éloigne quand on veut l saisir".

En Bretagne toujours, on se fie à la façon dont se comportent les fleurs posées sur un cercueil pour connaître le sort du défunt dans l'au-delà : "Si elles se fanent dès qu'on les y pose, c'est que l'âme est damnée ; si elles ne se fanent qu'au bout de quelques instants, l'âme est en purgatoire, et plus elles mettent de temps à se faner, moins longue sera la pénitence". Dans la même région, si les fleurs plantées sur une tombe ne fleurissent pas, cela signifie que le défunt est en enfer. En Angleterre, l'endroit où on a jeté une fleur arrachée à une tombe devient hanté.

Selon un usage relevé dans le Tarn, à la mort d'un membre de la famille, on coupait toutes les fleurs du jardin et on n'en laissait aucune s'épanouir tant que durait le deuil.

En octobre 1972, l'écrivain Taylor Cadwell évoquait dans un journal américain une coïncidence extraordinaire survenue deux ans plus tôt : le jour des funérailles d'un certain Marcus Rebak, les lis de son jardin se mirent à fleurir, ce qu'ils ne faisaient plus depuis des années. Toujours aux États-Unis, en 1964, à la mort du Dr Nandor Fodor, psychanalyste versé dans la parapsychologie, ses roses grimpantes ne perdirent pas un pétale pendant des semaines ; lorsque son épouse les coupa, une seule fleur resta éclose pendant quelques temps. Il apparaît, d'après certaines recherches scientifiques, que quelques espèces seraient sensibles aux ambiances émotionnelles (notamment les roses qui montreraient des signes de détresse quand elle sont malmenées) et qu'elles pourraient même communiquer entre elles.

Des fleurs blanches vues en songe ou l'apparition de pétales blancs sur une fleur de couleur sont signes de mort ; de même le parfum de fleurs dans un endroit où il n'y en a pas. Il ne faut pas présenter de fleurs fraîches à un enfant car elles évoquent celles que l'on mettrait sur son cercueil. Selon une croyance portugaise, une femme enceinte ne doit pas respirer de fleurs ou son bébé n'y survivrait pas.

Avoir chez soi ou offrir à quelqu'un un bouquet de fleurs blanches et rouges porte malheur, en souvenir de l'usage romain de jeter des fleurs de ces couleurs sur les tombes de amants. Outre-manche, les fleuristes refusent, dit-on, de composer de tels bouquets ; ils ont également une sinistre réputation dans les hôpitaux où on les dirige en général vers la chapelle.

On offrira de préférence à un malade des fleurs rouges (couleur du sang et de la vie) - des roses par exemple -, et jamais de fleurs blanches ou de bouquet mélangé. Pour ne pas lui nuire, on s'abstiendra de déposer les fleurs sur son lit. Celui qui ramène de l'hôpital les fleurs qu'il a reçues risque d'y revenir bientôt.

Il faut savoir aussi qu'offrir des fleurs en nombre impair porte malheur mais que faire cadeau de fleurs violettes est signe de bienveillance.

Si les fleurs lilas évoquent les funérailles, les fleurs mauves attirent l'argent, les jaunes (notamment le tournesol) sont de bon augure dans une maison ou un jardin et protègent de la sorcellerie. Cultiver des fleurs bleues amène la paix de l'esprit.

Selon une croyance de Seine-et-Marne, la Vierge n'aime que les fleurs blanches ou bleues et ne peut souffrir les jaunes. En Franche-comté, les fleurs blanches et roses du mois de mai amènent la mauvaise chance.

La présence dans une maison d'une seule fleur des champs est maléfique mais on peut sans risque en avoir deux ou plus. Si les plantes qui croissent sur le toit (de chaume par exemple), portent des fleurs, c'est un signe très bénéfique pour le foyer.


Il ne faut jamais porter une fleur que l'on a cueillie soi-même ; le mardi, on évitera d'en avoir une à sa boutonnière. Qui ramasse des fleurs par terre, dans la rue ou près de l'étal d'un fleuriste, attire maladie, chagrin et entraîne la mort d'un membre de sa famille.

Selon les Américains, porter une fleur blanche en voyage met à l'abri des dangers et porte chance. Dans la tradition russe, toute fleur présentant une anomalie dans le nombre de pétales est considérée comme porte-bonheur : "C'est étendre la superstition qui s'attache en France au trèfle à quatre feuilles".

Dans toute l'Europe, il faut se méfier de celui ou celle qui fait faner ou perdre les pétales aux fleurs qu'il tient. Des fleurs qui se flétrissent trop rapidement peuvent être un signe d'infidélité ; une éclosion prématurée ou hors de saison n'annonce rien de bon. Rêver que l'on cueille des fleurs hors de saison est également de mauvais augure.

Dans un théâtre, les vraies fleurs sont à proscrire, sauf celles que l'on offre aux acteurs à la fin des représentations (l'œillet est à éviter) ; elles portent aussi malheur à bord d'un bateau ou d'un avion où la chose la plus maléfique est un mélange de fleurs blanches et rouges.

Les fleurs qui ont été passées dans le feu de la Saint-Jean soulagent les souffrances physiques et morales. Autrefois, contre les troubles nerveux, on les enfilait sur un fil de laine rouge pour les porter autour du cou. Tressées en croix, elles protègent des maléfices.

Dans le Pas-de-Calais, "l'eau de saint Jean", obtenue en faisant tremper des pétales toute la nuit de la Saint-Jean, assurait aux femmes enceintes une heureuse délivrance. Les malades et les infirmes s'en servaient pour guérir. En Normandie, les fleurs cueillies le jour de la Saint-Jean ont des pouvoirs médicinaux et ne se flétrissent jamais.

Les fleurs ramassées à la procession de la Fête-Dieu et sur lesquelles est passé le Saint Sacrement détournent l'orage. En Belgique, placer aux quatre coins d'une cave des fleurs ramassées sur le parcours de la procession de la Fête-Dieu éloigne les rats.

Selon une légende bretonne, la veille du 1er mai (mois consacré à la Vierge), "les fleurs se détachent d'elles-mêmes [...] afin de faire un tapis dans les endroits où passe la Sainte-Vierge". On dit aussi que ce sont "les anges qui les jettent sur les pas de leur reine et le grand vent qu'il fait à cette époque vient de leurs ailes qu'ils agitent en faisant cette besogne".

Si les fleurs plantées à la nouvelle lune fleurissent mieux, celles que l'on sème le vendredi saint - le dimanche des Rameaux en Angleterre - deviennent doubles.

Voir une fleur épanouie dans un lieu stérile présage une très bonne moisson (Béarn).

Outre-Atlantique, dormir avec une fleur sous son oreiller promet le beau temps pour le lendemain.

Chaque personne, selon son mois de naissance, a sa fleur porte-bonheur :


Janvier : œillet et perce-neige.

Février : primevère.

Mars : jonquille.

Avril : marguerite.

Mai : muguet.

Juin : rose.

Juillet ; lis.

Août : glaïeul.

Septembre : aster.

Octobre : dahlia.

Novembre : chrysanthème.

Décembre : houx.


1) La fleur désigne parfois le phallus : "Encore une fleur, dit-elle en la touchant avec sensualité ; je croyais avoir tout moissonné. Qu'elle est fraîche, que je la mette à mon côté ! Elle l'y mit en effet, et cette fleur, comme enchantée de se trouver si bien placée, se préparait à lui prodiguer ses trésors : déjà la belle lui avait fait part des siens [...]. Elle me remit mon bouquet et m'exhorta à le conserver jusqu'à ce temps" (Romans libertins du XVIIIe siècle, "Bouquins", R. Laffont, 1993). Dans la littérature galante chinoise, le lotus désigne le sexe féminin.

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D'après Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes ( (Hachette Livre, 2000) :


Dans l'ensemble, la fleur est un symbole de l'âme, mais de l'âme heureuse, épanouie, détachée des biens matériels, soulagée des passions qui la troublent et l'altèrent. Toutefois, à chaque fleur est attribuée une symbolique distincte. Il existe ainsi un authentique langage des fleurs qui mériterait qu'on lui consacre de longs propos, car il est d'ne grande richesse, et encore très présent dans nos mœurs, dans nos mémoires, dans notre vie. N'est-ce pas toujours un signe d'affection, de reconnaissance, de joie, de bonheur que nous offrons des fleurs ? Ne dit-on pas communément "jeter des fleurs", pour dire que l'on flatte ou qu'on admire autrui ?"

 

Une évocation toute en légèreté de Christian Bobin dans Le Plâtrier siffleur (revue Canopée n°10, février 2012, Nature et Découvertes, Actes Sud ; Éditions Poésis, 2018) :


Un penseur japonais, Maître Dogen, sage, religieux et philosophe, dit que l'univers entier est la pensée des fleurs. Une parole comme celle-ci, on ne peut la pousser plus loin parce qu'elle casserait. C'est comme un bois qui serait tellement fin que, si on essayait de l'affiner un peu plus, on casserait son fil et on le briserait. C'est peut-être ça d'ailleurs la vertu de la poésie, tendre le langage au maximum. Mais il y a un moment où chacun est obligé de comprendre d'une autre manière que par la compréhension analytique. Il faut peut-être comprendre par l'arrière de la tête, ou par ses yeux, ou par l'enfant qu'on était. Mais surtout ne pas comprendre par l'adulte qu'on se croit tenu d'être.


Il me semble que la poésie est comme une explication, mais qui n'explique rien. Elle est comme une science, elle est la seule science qui ne maltraite pas son objet. Peut-être parce qu'elle ne le traite pas en objet, justement. La poésie entre dans le monde comme dans une maison amie, elle révèle l'objet, elle l'amène à se révéler, elle ne le force pas. Le grand reproche que je ferais à la science et aux technologies, c'est, sous des manières suaves, de passer en force. Il me semble que les choses viennent beaucoup plus aisément à nous si nous leur accordons le temps qu'elles demandent. Par exemple, je trouve terrible ces films qui montrent en accéléré les fleurs qui se déploient. J'irais jusqu'à penser qu'on ne devrait pas nous montrer ce que notre œil ne voit pas. La technique brise un interdit, et peut-être fait du mal à quelque chose qui est sacré dans la vie. Après tout, mes yeux me suffisent pour voir le papillon, je n'ai pas besoin qu'on me le montre.

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Dans l'émission intitulée Les Racines du Ciel de Frédéric Lenoir et Leili Anvar sur France Culture, le 23 décembre 2012, Christian Bobin nous parle des fleurs :


« Là, je vais vous faire part d'une intuition. Et que évidemment, je ne peux pas légitimer, c'est une intuition, c'est que, quand nos yeux seront fermés définitivement à ce monde, il me semble que nous irons dans quelque chose qui ressemble très fort, entre autres, à la musique de Bach, ou à l'architecture secrète de certaines fleurs. [...] La frontière est poreuse entre la vie et ce qu'on appelle la mort, à peine y a t-il une frontière. […] La limite est très incertaine, elle si incertaine qu'il n'y a peut-être pas de limite entre ce monde et l'autre. »


Lecture de Leili Anvar d'un des chapitres de Bobin (œuvre non précisée) : « L'amour, c'est quand quelqu'un se met à vous parler comme une rivière, comme une étoile ou comme la fleur du chèvrefeuille dont le parfum me saoule et soûlait hier celle qui n'est plus là, celle qui est sous la terre, celle qui n'est pas sous terre, mais auprès des anges dont elle sait désormais les prénoms. Dans la penderie du ciel bleu, une robe blanche. Elle sort de la lessive de la mort. L'éternité la sèche. Nous recevons la nouvelle de la disparition d'un être aimé comme l’enfoncement d'un point de marbre dans notre poitrine. Pendant quelques mois, nous avons le souffle coupé, le choc nous a fait reculer d'un pas. Nous ne sommes plus dans le monde. Nous le regardons. Comme il est étrange ! Le moins absurde, ce sont les fleurs. Elles sont des cris de toutes les couleurs. La moindre pâquerette cherche désespérément à se faire entendre de nous. Sa parole, c'est sa couleur. Quand tu es morte, je suis devenu un drogué des fleurs. »

- Les fleurs sont omniprésentes dans votre œuvre, à la fois dans leur forme et dans leur parfum, comme si elles tenaient sur leur gouttelette, sur leur forme impalpable, pour paraphraser Proust, les difficilemences de la vie.


- Exactement. Je suis de plus en plus, je suis stupidement épris des fleurs, mais de plus en plus. […] Ils parlent beaucoup aussi des fleurs, les orientaux. Ils parlent du vin, des fleurs, ils parlent de la beauté toute païenne de dieu. Et pour moi, les fleurs ce sont les propositions faites au néant. Ce sont des paroles qui éclairent le néant. C'est une réponse. Une fleur est une réponse... à quelque chose du néant et des ténèbres. Et la réponse est parfaite. La réponse éteint le feu de la question. La réponse d'une pâquerette, d'une jonquille ou d'une rose des jardins, je cite plutôt des fleurs qu'on ne va pas trouver chez le fleuriste, qui ne sortent pas des magasins, de chez les médecins légistes des fleurs. Et ces fleurs non commercialisées trouvées comme ça dans les prés, le chèvrefeuille, des choses comme ça, je dis des choses comme ça, je pourrais presque dire des gens comme ça, elles ont leur tête tournées vers nous. Elles sont au maximum tournées vers nous. Au maximum. […] Tenez, une expérience. Éprouvée, vécue. Elle s'est passée dans un temps, mais elle a arraché le voile du temps.

Je suis au Creusot, dans un parc, l'été, la nuit, qui s'appelle le Parc de la Verrerie, qui est au bas, autour d'un château, qui était la maison de maître des Schneider, qui a été une usine antérieurement et puis qui a été une maison de maître et qui maintenant est un musée. Bref. Au bas de ce château, il y a quelques rosiers. Et on sait que les roses et les étoiles ont une conversation quasiment ininterrompue, subtile, secrète et ardente. La nuit fait monter le parfum. Et moi, je ne pense à rien, je vais d'un point A à un point B. Je ne pense pas aux roses. Je ne pense pas aux livres. Je ne sais pas trop ce que je fais ce soir-là dans ce parc mais peut-être j'allais rejoindre quelqu'un et il y a une nuit qui n'est pas une nuit, qui est plutôt une douceur, quelque chose comme un bleu appuyé, quand je passe tout à coup, parce que c'est la pleine lune, quand je passe devant ce rosier, les roses sont noires. Les roses que je sais être rouges, sont noires mais ce noir est brillant, éclatant et leur parfum m'étourdit, m'assomme, c'est presque comme une attaque au coin de la rue. Voyez. C'est ça ; c'est comme une agression, une sorte d'agression céleste. Heureuse, angélique. Et je sais, je sais, c'est-à-dire, il y a pas de passage, y a pas d'intermédiaire, à cet instant, je sais que les morts ne sont pas morts, je sais que le monde n'est jamais qu'un entretien de tout avec tout. Et un entretien dont la note de base est très heureuse, très vibrante. C'est peut-être celle-là que je trouve d'ailleurs dans Bach. Joué par Glen Gould, entre autres. Je le sais, c'est-à-dire que ça n'est pas le fruit d'une déduction, c'est juste l'entrée en moi d'un rosier charbonneux comme ça, un peu barbouillé de clair de lune, c'est cette entrée en moi, dans mon crâne au fond, pendant quelques secondes mon cerveau est remplacé par ce rosier.

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Karsten Massei nous explique dans son essai intitulé Les Offrandes des Abeilles (Édition originale, 2015 ; traduction française : Éditions de l’Émeraude, 2017) le lien entre les abeilles et les fleurs d’un point de vue spirituel :

Observer les rapports spirituels relatifs aux abeilles m’a fait découvrir une relation profonde et essentielle entre les fleurs visitées par les ouvrières et la ruche, pays d’origine de la colonie et de chaque abeille. Ces constatations montrent que la ruche est une fleur retournée et la fleur une ruche qui s’est retournée une fois de plus. La ruche est une fleur qui se penche vers la terre, qui pousse dans l’obscurité. Et la fleur est une ruche qui s’ouvre au cercle lumineux environnant. Dans la ruche, la fleur se libère de son attachement à la lumière et se transforme en calice inversé, en caverne. Dans la fleur, la ruche se défait de ses liens à la terre et s’ouvre à l’espace supraterrestre. Les abeilles se sentent attirées par les fleurs du fait de l’étroite parenté de ces dernières avec la ruche. On pressent que les fleurs et la ruche reposent sur le même archétype spirituelle, mais qui se décline en deux formes différemment polarisées pour apparaître.

L’intérieur d’une ruche habitée abrite une lueur suprasensible particulière. Il s’avère que cette lumière est liée au parcours hivernal de la reine. La reine porte cette lumière, voilà pourquoi la ruche n’est jamais sombre pour les ouvrières. La lueur de la terre intérieure se déploie dans la ruche, dans la colonie. Elle les illumine de l’intérieur. Quand l’ouvrière rend visite à une fleur, elle rencontre une entité pareillement liée à la lumière. Les fleurs sont des êtres des lumières, des êtres de couleur. En elles s’expriment les forces créatrices de la lumière. En elles, la lumière devient forme vivante. Dans les fleurs colorées, les ouvrières rencontrent le type de lumière qu’elles connaissent et qui leur rappelle la lueur de leur reine. Elles vivent donc les fleurs comme leur second pays d’origine. Il émane des fleurs un souvenir de la ruche qu’elles ont quittée pour s’envoler. Affirmons sans hésiter que les abeilles sont faites pour les fleurs et les fleurs pour les abeilles. Mais cette relation n’existe que parce que fleurs et ruche sont parentes.

Passons maintenant à une autre aventure, celle qui attend l’ouvrière auprès des fleurs. Quand elle rend visite à une fleur, elle vit une expérience qui ne lui laisse aucun repos et l’incite à visiter de plus en plus de fleurs. Ce qu’elle découvre par les fleurs, elle ne pourrait le vivre dans la ruche, parmi les abeilles de sa colonie. En se glissant dans la fleur, elle rencontre la terre. Elle découvre la terre d’une façon subtile, mais avec une intensité qu’elle ne revivra nulle par ailleurs, ni dans la colonie ni pendant le vol. Se glisser dans la fleur et aspirer le nectar déclenchent cette expérience. Les êtres élémentaires des racines des plantes, qui relient la plante à la terre, y contribuent très largement, ils transmettent à l’abeille le contact avec la terre. On observe que la plante est traversée par une force particulière quand une abeille lui rend visite et recueille son nectar. S’éveille un flux vital qui provient des racines et des entités des racines. Les abeilles font ainsi une expérience sensible de la terre, alors que dans la ruche, parmi leurs sœurs, elles la vivent spirituellement, par la lumière qui l’habite. Avec les fleurs, les abeilles découvrent comment ressentir la terre de façon sensible. C’est ce qui les y attire sans relâche.

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Dans Arbres filles et garçons fleurs, Métamorphoses érotiques dans les mythes grecs (Éditions du Seuil, février 2017) de Françoise Frontisi-Ducroux,


"Même si le goût pour les fleurs n'est pas une donnée universelle, comme l'a bien montré Jack Goody dans son livre, La Culture des fleurs (Seuil, 1994), il n'en est pas moins vrai que, pour le monde antique et ensuite pour le monde occidental, la fleur, dans ses usages pratiques et ses représentations symboliques, est un objet culturel d'une grande richesse. Sur le plan symbolique, la fleur est le modèle esthétique par excellence, l'image de la beauté et du désir érotique, abondamment exploitée par la poésie, ainsi que sur le plan figuratif.

Couronnes

Sur le plan pratique, la coutume des couronnes et des guirlandes cultuelles et festives est d'une importance telle que les fleurs à couronnes feront l'objet d'une catégorisation particulière chez les botanistes. Les dieux et les défunts reçoivent des fleurs, mais les vivants s'en parent aussi à la moindre occasion. le commerce des fleurs, la fabrication et la vente des couronnes et guirlandes constituent une activité reconnue. Un marché aux fleurs occupe une section de l'agora d'Athènes, ainsi que d'autres cités. Les professions de tresseurs et de marchands de couronnes sont attestées en grec et en latin, stephanoplokos et coronarius, au moins à partir du IVe siècle. et des représentations figurées romaines montrent ces artisans à l'ouvrage, avec d'intéressants détails techniques. Ce sont des femmes surtout, mais aussi, sur des peintures pompéiennes, de jeunes Amours. L'usage des feuillages, plus ancien, est bien connu, couronnes de lauriers ou d'olivier pour les vainqueurs, aux jeux sportifs en particulier. La tête de Dionysos et de ses fidèles est ceinte de vigne et de lierre. Celle d'Apollon de laurier, bien entendu... Pour les fleurs, il faut observer que leur utilisation festive accélère leur caractère éphémère. Nous conservons nos bouquets dans des vases et nous nous efforçons d'en prolonger la durée et d'en retenir l'éclat, en changeant l'eau et en y ajoutant divers adjuvants. Mais quand 'il s'agit de fleurs tressées en couronnes et en guirlandes, le contact inévitable avec les mains, lors de la fabrication, avec la t^te et le corps, pendant la fête, ne peut qu'en accélérer la flétrissure. On peut se faire une idée de cette fragilité en considérant nos couronnes funéraires... que l'on retrouve fanées, si l'on retourne sur la tombe au lendemain d'un enterrement. Image parlante pour nous de la brièveté de la vie humaine et de sa destruction inéluctable dans la mort. Pour les Anciens, la fleur ne dure que le temps de la fête. Elle est si fragile que l'on en viendra, à Rome surtout, à faire des couronnes aux pétales d'écaille d'étoffes de soie et, bien sûr, de bronze et d'or ciselés. Fragile et éphémère, la fleur est étroitement associée à Éros. Dans la peinture pompéienne, on vient de le voir, les erotes sont en situation d'artisans fleuristes. Sur les parois des vases grecs, le dieu est représenté en vol ou en pied, tenant une fleur à la main. Tout comme les adultes qui courtisent un garçon ou une femme. La fleur est présente sur les scènes de conversations amoureuses, à tire de cadeau de séduction mais aussi en tant que décor floral. En poésie, depuis la lyrique de l'époque archaïque jusqu'aux épigrammes de toutes époques rassemblées dans l'Anthologie grecque - littéralement "Recueil ou bouquet de fleurs", à l'exemple de la "Couronne de Méléagre" -, la fleur est la métaphore de ce qui dans la beauté inspire le désir, métaphore aussi du poème qui le chante. Cependant la liste des espèces florales dont le nom revient dans les textes poétiques est relativement limitée.

Dans la prairie prénuptiale où la jeune Coré joue avec ses compagnes lorsque son ravisseur surgit, les fleurs dont elles font la cueillette sont les roses, les crocus, les violettes, les iris, l'hyacinthe, et bien sûr le narcisse, piège irrésistible, créé pour l'occasion.

(à suivre)

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Dans l'émission La Grande Librairie du mois d'octobre 2017, Christian Bobin présente son dernier livre Un bruit de balançoire. C'est l'occasion une fois de plus de parler des fleurs :


- On a le sentiment que plus vous écrivez, plus nous lisons, plus nous tournons autour du mystère et moins nous pouvons le percer. C'est ça ?

- Oui, c'est ça, c'est comme tourner autour du cœur d'une fleur, si vous voulez. Il est possible, il est même certain que le cœur soit vide mais ce vide, je crois qu'il est adorable. Mais, on peut à peine le nommer. On tourne autour, on tourne autour. Les pétales du temps nous resserre comme ça. Ça se resserre mais au centre il y a quelque chose qui est obscur mais qui je crois était là depuis le début et puis qui s'éclaire étrangement. C'est une obscurité qui s'éclaire.

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Le dukun (guérisseur / chamane) indonésien Iwan Asnawi raconte son parcours et son engagement dans un livre autobiographique intitulé L'esprit de la jungle (collection Nouvelles Terres, Éditions PUF/Humensis, 2019). Il nous livre également quelques détails sur sa spiritualité :


Car mes grands-parents étaient guérisseurs, ce que j'ignorais : ils ne me l'ont jamais explicitement annoncé. Au contraire, mon grand-père mettait un soin précieux à le cacher. Ma grand-mère était plus explicite, mais dans la pratique seulement. Quand j'étais encore tout petit, elle me montrait comment me servir de la paume de mes mains pour appliquer une mixture ou comment utiliser des fleurs simplement avec de l'eau. J'ai moi-même bénéficié de ses soins et peux en témoigner. Quand je suis né, j'avais une malformation cardiaque, donnant lieu à une petite protubérance au niveau de la poitrine, et les médecins pensaient que je en survivrai pas. Je me souviens encore des pleurs de ma mère le soir en me couchant. Elle me couvait particulièrement. ma grand-mère n'a jamais pleuré. Simplement, elle m'a soigné jour après jour, avec de l'eau et des fleurs, appliquant sa potion naturelle et murmurant des chants. Quelques années plus tard, j'ai été subitement guéri, je n'avais plus aucune trace sur mon torse, et cela reste encore un mystère pour les médecins.

[...]

La pratique de notre spiritualité nous mène à régulièrement nous purifier à différents niveaux : nous avons de la poussière sur nos corps, à nettoyer avec de l'eau. Nous utilisons du matériel, aussi. Nous utilisons beaucoup le citron pour nettoyer notre peau énergétiquement ; nous croyons qu'il est important de nettoyer les pores de la peau dont chaque celle capte l'énergie, particulièrement chaque pleine lune, avec des rites de fruits et de fleurs. En période de pleine lune, nous avons besoin de fleurs de sept couleurs différentes, parallèlement aux sept chakras dont chacun a une signification précise. Le dernier concerne la couronne, l'aura, et ne peut être touché directement de la main n'importe comment : on respecte le visage comme espace sacré et soigner et nettoyer le périmètre d'accès de son aura est important.

[...] A chaque fois que je fais un rituel, je médite. Avant d'utiliser le moindre fruit, les citrons que je coupe, les pétales de fleurs, les arbres, les animaux, je médite. Je sens leur énergie car ils sont du monde vivant et nous communiquons, même si évidemment, tous ces êtres ne parlent pas comme moi ! Je les ressens. Je ne peux pas envisager d'être dukun sans me sentir au plus près de la vie : nous sommes supposés prendre soin du vivant.

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Symbolisme celte :


Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on apprend que :


"On ne possède que des éléments très vagues sur le symbolisme floral du monde celtique. Il a existé car les fleurs entrent quelquefois dans des comparaisons de forme ou de couleur, mais on ne peut rien en dire de précis. Une Galloise, Blodeuwedd, et une Irlandaise, Blathnat, portent le nom de fleur. L'une, créée par magie d'un grand nombre de fleurs, est la femme du dieu Llew, et elle le trahit au profit d'un seigneur du voisinage. L'autre est la femme du roi du monde Cùroi, et elle le trahit pour l'amour de Cùchulainn.

La fleur semble être ici un symbole d'instabilité, non d'une versatilité qui serait propre à la femme, mais de l'instabilité essentielle de la créature, vouée à une évolution perpétuelle, et tout particulièrement du caractère fugitif de la beauté."


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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


[Les fleurs] sont la joie multicolore éparpillée dans le vent de la création du monde. Elles sont une pluie de notes fraîches tombées sur la terre depuis la musique des sphères. Sous mille parures, somptueuses ou sobres, sus mille formes, extravagantes ou discrètes, sous mille nuances de couleurs, provocantes ou tendres, elles sont la Beauté. Elles sont couleurs, fraîcheur, parfum, fête, promesse. Elles sont la vie. Offrir une fleur, c'est remettre une part de son âme. Cueillir une fleur, c'est oser un sacrifice. Contempler une fleur, c'est commettre un acte de foi naïve.

Ainsi parlerions-nous si nous devions nous exprimer sur la seule inspiration poétique. Il suffira d'une dose minime de méditation analytique pour s'affranchir du charme de ces impressions premières. La fleur, alors, apparaîtra dans son éphémère réalité de future porteuse de graines. L'essence féminine, la vocation maternelle d'une image florale seront fatalement révélées par cette nouvelle approche. Les rêves contiennent de nombreuses séquences qui confirmeront la pertinence d'une telle interprétation. Combien d'entre elles montreront la rêveuse en personne sortant du cœur de la fleur ou proposeront des corolles jouant ostensiblement le rôle de matrice, voire de matrice dévorante ! Les fleurs carnivores, représentation de la mère avide d'engloutir ce qu'elle a créé ou du vagin castrateur, ne sont pas rares.

Ainsi le poète et l'analyste se placeront, chacun de son point de vue, dans un compartiment de la vérité. L'observation des productions de l'imaginaire dans le rêve éveillé libre va montrer que le réalisme onirique, s'il épouse volontiers les formes de la poétique, se sert des teintes de son vocabulaire floral pour peindre des compositions plutôt sombres. Comme il eût été plaisant de se laisser porter, plusieurs pages durant, par l'heureuse vision du poète ! Mais la beauté des mots mêlée à la beauté des fleurs dessinerait un de ces chemins illusoires qui n'aboutissent nulle part. [Je m'inscris en faux contre cette affirmation. Je pense au contraire que le poète a accès à une forme de vérité qu'il convient d'envisager à sa juste valeur.]

Le langage des fleurs a suscité des traducteurs capables de donner sens à des dizaines d'espèces différentes. L'onirisme est beaucoup plus sobre. S'il évoque, au fil de l'inspiration des rêveurs, une quinzaine de fleurs spécifiques, dont certaines n'apparaissent qu'une fois pour cinq cents rêves, six d'entre celles-là suffisent à ses besoins courants : la rose, le coquelicot, la marguerite, la tulipe, le tournesol et le lis. Ce dernier n'atteint même pas tout à fait la fréquence de 1% des scénarios. Chacune des cinq premières fleurs citées fait l'objet d'une étude séparée. Pour le présent article, nous n'avons retenu, autant qu'il était possible, que des rêves dans lesquels aucune fleur particulière ne prend une signification déterminante. Le mot fleur, au pluriel ou au singulier, est prononcé dans 23% des scénarios de rêve éveillé.

S'il existe quelques séquences de rêve où les fleurs printanières ou estivales disséminées dans la prairie semblent être à l'unisson d'une joie intérieure éprouvée par le rêveur, il faudra bien vite reconnaître qu'elles sont peu nombreuses. Au long des scénario, que de fleurs artificielles, de fleurs fanées, de fleurs coupées, viendront contrarier l'enthousiasme initial du chercheur, parti allègrement à la découverte de ces rêves fleuris ! Son propre rêve se dissipe sur les aspérités de l'observation objective. Il apprend rapidement que la prairie la plus égayée par les taches multicolores de sa parure florale n'est qu'une étape d'un itinéraire qui conduit à l'évocation de la mort ! La lecture des rêves impose cette révélation que l'analyse des corrélations statistiques transforme en certitude.

Dans plus de 50% des scénarios, les fleurs sont explicitement associées à la mot, au cimetière, au cercueil. Lorsqu'on tient compte d'autres représentations symboliques qui portent le même sens, c'est 80% des rêves dans lesquels apparaissent les fleurs qui exposent cette association. Quand on a constaté cette corrélation, la réflexion sur le symbole prend une orientation nouvelle. L'onirisme oblige à voir ce que la conscience refusait ! Un mécanisme de défense fait de la plante, de la fleur, une sorte de modèle d'animation lente, de croissance imperceptible. La réalité est radicalement inverse. La fleur met sous le regard de celui qui la contemple l'image accélérée des phases de son propre destin. De la promesse radieuse dune fleur à peine éclose à la chute de pétales desséchés, en passant par la splendeur de la maturité et les premières atteintes de la fanaison, tout se joue, en quelques jours, pour certaines espèces, en quelques heures pour d'autres !

En fait, tout regard qui se pose sur une fleur sait que celle-là va mourir et qu'il est impuissant à la rendre immortelle. En s'imprégnant intensément d'une beauté éphémère, les yeux espèrent en secret l'installer dans une éternité ! Chaque fleur est un masque riant posé sur la certitude de l'irrémédiable. Dans l'article qui la concerne, nous démontrons que la tulipe est étroitement associée à la mort. L'étude concernant la rose expose beaucoup d'images de fleurs artificielles. Le bouquet de fleurs, dans de nombreuses situations oniriques, renvoie au deuil, pris dans le sens d'achèvement d'un chagrin, d'acceptation d'une fin. Une brève séquence du quatrième rêve de Gwenaël illustrera cette affirmation. Gwenaël a vingt et un ans. Il porte la charge d'une longue souffrance. Des angoisses lourdes ont accompagné son adolescence, parsemée d'échecs, scolaires et sentimentaux. Dans le scénario le rêveur se trouve soudain au cœur du village où réside toujours une jeune fille pour laquelle il nourrissait des sentiments très forts : « ... Là... je viens de voir le cimetière et l'église de T. ! Ah ! je vois très bien l'église... il fait gris... il fait sombre... et... là... j'ai l'image d'un énorme bouquet de fleurs qui vient par-dessus celles que je venais de voir !... Qui se superpose au cimetière et à l'église... comme si c'était un peu pour égayer ces images-là !... »

Dans cet exemple, le cimetière et le bouquet de fleurs se conjuguent pour exprimer la fin d'une aventure douloureuse. William est un homme mûr, qui dirige une entreprise importante. Son attente par rapport à la cure de rêve éveillé concerne davantage un élargissement du champ de conscience que l'action thérapeutique. Son vingt-quatrième scénario va montrer que même les fleurs les plus réjouissantes en apparence sont, dans l'imaginaire, structurellement associées à la mort : « ... Là... je recherche vraiment le lâcher-prise !... Je me sens en profonde relaxation... j'arrive dans un endroit où il y a énormément de fleurs, de toutes les couleurs... rouges, jaunes, violettes, blanches... comme dans les jardins de Bagatelle, où il y a plein de fleurs... c'est un grand jardin avec des allées pas très ordonnées... et je me promène parmi ces fleurs... j'ai vu passer une panthère, magnifique ! ... J'avance, au milieu de ces fleurs.. il y a de très beaux arbres... c'est un plaisir très grand de voir toutes ces couleurs de fleurs... c'est cette variété qui me touche !... Et... ça c'est étonnant : il me vient un désir de chasser, ce que je n'avais encore jamais ressenti ! Envie de tenir un fusil à la main et... de tuer des oiseaux !... Envie de chasser là où il n'y a pas de fleurs, pour qu'ils ne tombent pas dessus... et c'est pas pour manger ! Non ! C'est plus un instinct de mort... »

De telles séquences abondent dans les rêves. La multiplication des exemples ne ferait pas progresser l'interprétation. Le lien structurel qui unit la fleur et la mort apparaîtra plus sûrement à travers le contenu de ceux courts extraits des scénarios de Reine et de Françoise.

Reine : « ... là, je sens comme un nœud dans mon ventre... et... je vois une spirale qui se forme et qui s'élève, comme comme une fumée, et s'ouvre en fleur... enfin en calice... et puis... c'est comme si le calice était étranglé... que deux mains le serraient... »

Françoise : « ... je vois le centre d'une fleur... c'est le cœur d'une fleur ou un œil qui se transforme en fleur... une grosse pâquerette... cette fleur flotte dans... elle n'a pas de tige... elle flotte ou vole... elle plane... on dirait qu'elle veut tourner sur elle-même pour aller plus vite... c'est maintenant comme un tourbillon, comme une grande spirale... c'est une grande vague... je suis à l'intérieur... »

Dans l'article consacré à la marguerite, nous montrons que cette fleur renvoie à la symbolique du cercle en mouvement, des cercles concentriques et de la spirale. Les deux séquences qui précèdent obligent à soupçonner que l’association avec la dynamique spiralique concerne la fleur, considérée dans le sens générique. Décrivant le processus d'accomplissement de la psyché, Jung, dans Psychologie et alchimie exprime une réflexion convergente :

« ... Ce chemin ne va pas en ligne droite : il est apparemment cyclique. Une connaissance plus précise a montré qu'il s'élevait en spirale. Après certains intervalles, les thèmes oniriques ramènent sans cesse à des formes données qui, à leur façon, désignent un centre... [...] On pourrait mettre ces développement spiralés en parallèle avec le processus de croissance des plantes. On y est d'ailleurs amené d'autant plus facilement que le motif des plantes, arbres, fleurs, etc. apparaît fréquemment dans ces rêves. » Ainsi la fleur imaginaire serait-elle avant tout l'expression de la dynamique de réalisation, c'est-à-dire du processus d'évolution, du devenir.

Dès lors que l'on a reconnu cette traduction, on comprendra que le symbole puisse intervenir dans le rêve en fonction d'états différents de la relation du rêveur à la dynamique d'évolution. Ces états vont du refus de toute flexibilité à l'adhésion éperdue aux changements.

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La fleur peut être l'image incitative qui vient percuter la psychologie figée dans son système défensif et lui suggère d'amorcer la voie spiralique du devenir, sans crainte de l'avancée vers l'inéluctable fin. Elle peut, à l'inverse, - c'est plus particulièrement le rôle habituel de la marguerite - exposer le danger d'un comportement exagérément disponible pour les métamorphoses. La mort, dans le rêve, se confond alors avec la définition du physicien, résumée en un mot : l'entropie.

D'autres fleurs viendront éclairer le patient sur quelques pièges conduisant à la mort de l'âme. Dans ce registre, la tulipe peut dénoncer un blocage lié à la fixation sur le décès de l'un des parents. Le tournesol expose les risques associés à la situation œdipienne.

Au terme de la réflexion, quelle que soit la sombre tonalité des images en corrélation avec la fleur du rêve, celle du psychologue n'est pas si distante de celle du poète : l'une et l'autre sont la figuration splendide du processus d'accomplissement psychologique qui s'épanouit dans la spirale du devenir, jusqu'à l'entré confiante dans la mort. La voix du poète n'a-t-elle pas exprimé en termes définitifs ce qu'on ressenti toutes celles et tous ceux qui ont cueilli la fleur onirique ? « Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses... »

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Contes et légendes :


Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :


Des plantes chantent pour dénoncer un coupable ou pour révéler un secret : un enfant assassiné par son frère est enterré dans un jardin rempli de fleurs magnifiques ; un berger qui passe un peu après, cueille la plus belle, et elle se met à chanter aussitôt que ce n'est pas lui qui l'a tué.

Les plantes qui, en se flétrissant, indiquent un danger ou un changement de condition, sont bien plus rares que les arbres doués de cette faculté ; elles figurent dans un épisode d'un récit breton dont l'origine populaire est douteuse : au moment d'entrée en danse, chaque amoureux prenait son amoureuse par la main, la conduisait au grand dolmen, tous deux y déposaient fleurs et épis, et ils étaient sûrs de les retrouver aussi frais à l'heure du départ s'ils avaient été fidèles. Dans un conte de l'Ille-et-Vilaine, une sœur recommande à son frère avant de partir pour un lointain voyage, de regarder tous les jours une fleur, et que s'il la voit se pâmer elle sera en grand péril ; d'après un conte un peu obscur, à mesure que trois belles fleurs croissent dans un jardin, les feuilles se flétrissent et tombent à terre ; le seigneur qui les remarque croit d'abord que sa femme est en danger de mourir, mais elles signifient simplement qu'elle est devenue grosse.

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Ce conte nous indique le désir d’un gentil géant Gentigigan, habitant d’une grotte au sommet des monts Dores, de respirer le parfum des fleurs ! Ce qui était impossible vu sa taille bien plus haute que celle d’une maison !

Il aurait pu s’allonger pour respirer les fleurs mais sous son corps immense il aurait écrasé des milliers de plantes. Alors il se contentait d’admirer les fleurs. Toutes étaient belles : les campanules et les gentianes, les pensées sauvages et les œillets, les primevères et les jacinthes, les boutons d’or et les pois senteur…

C’est pour les épargner qu’il ne buvait pas l’eau des sources. Le vent lui portant quelquefois leurs merveilleux parfums il le respirait avec délice et parfois pleurait. Se cachant les mains, il n’avait pas vu arriver un jeune berger qui curieux avançait vers cette forme jamais vue auparavant. Il vit alors le géant, c’en était un assurément, le berger vit de grosses larmes couler entre les doigts du géant qui s’écrasait avec un bruit de pluie d’orage et l’éclaboussaient.

Malgré la peur à la vue de ce géant, le berger eut pitié de lui et lui demanda pourquoi il pleurait tant. Sans succès, il frappa ensuite sur la jambe du géant qui le vit enfin et le porta vers son oreille et entendit le berger lui proposer son aide, il faillit rire de savoir comment un homme pouvait aider un géant ! Le géant lui raconta ses malheurs, l’homme lui répondit qu’il promit de réfléchir à une solution et de revenir le lendemain. Le berger ne dit rien à ces compagnons de peur qu’ils se moquent de lui.

De retour à la bergerie, il vit une bouteille de lait vide et eut une idée, il grimpa rapidement de nouveau vers la montagne du géant et ramassa des fleurs entre temps, il ne les cueillait pas mais enlevait seulement les pétales des fleurs dont le parfum était le plus fort. A chaque cueillette il referma la bouteille pour en conserver l’arôme. Il se rendit auprès du géant qui prit entre ses doigts la bouteille et enleva le bouchon grâce à l’aide du berger et put sentir le parfum extraordinaire des milliers de fleurs de la montagne, des larmes de bonheur montèrent à ces yeux. – Merci, je t’offre en échange mon amitié, dis le géant. Le berger remplit régulièrement la bouteille et ils restèrent jusqu’à la fin de leur jour des amis fidèles.

C’est ainsi grâce à la gentillesse d’un jeune berger pour un bon géant malheureux que naquirent les parfums.

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Littérature :

Les Fleurs

Ô terre, vil monceau de boue Où germent d'épineuses fleurs, Rendons grâce à Dieu, qui secoue Sur ton sein ses fraîches couleurs !


Sans ces urnes où goutte à goutte Le ciel rend la force à nos pas, Tout serait désert, et la route Au ciel ne s'achèverait pas.


Nous dirions : — À quoi bon poursuivre Ce sentier qui mène au cercueil ? Puisqu'on se lasse en vain à vivre, Mieux vaut s'arrêter sur le seuil. —


Mais pour nous cacher les distances, Sur le chemin de nos douleurs Tu sèmes le sol d'espérances, Comme on borde un linceul de fleurs !


Et toi, mon cœur, cœur triste et tendre, Où chantaient de si fraîches voix ; Toi qui n'es plus qu'un bloc de cendre Couvert de charbons noirs et froids,


Ah ! laisse refleurir encore Ces lueurs d'arrière-saison ! Le soir d'été qui s'évapore Laisse une pourpre à l'horizon.


Oui, meurs en brûlant, ô mon âme, Sur ton bûcher d'illusions, Comme l'astre éteignant sa flamme S'ensevelit dans ses rayons !


Alphonse de Lamartine, "Les Fleurs" in Méditations poétiques, 1820.

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La fleur fossile


Jamais coupe d’opale, où boivent les abeilles, Jamais perle d’azur, étoilant nos corbeilles, Ou vivant de notre air dans l’air vivant des blés, N’ont agi plus longtemps sur mes songes troublés, Que ce fantôme noir d’une plante momie, Dans son champ souterrain six mille ans endormie. Les jeunes sœurs d’hier, opulentes ou non, Ont toutes des couleurs, qui nous disent leur nom, Qui content à nos sens les secrets de leur vie ; Mais cette fleur de pierre, aux cavernes ravie, Que semble, en l’éclairant, renier le soleil, Quelle énigme sans fond renferme son sommeil ! Obscur comme la tombe, et plus impénétrable, Sphinx jadis éphémère, aujourd’hui si durable, Voyageur engourdi, qui reviens de si loin, Que sais-tu de la terre ? Avait-elle un témoin, Quand, la couronne au front, de ta couche élancée, La lumière sauva ta royauté passée ? Né comme toi des pleurs ou des baisers du jour, Le vol des papillons t’a-t-il parlé d’amour Oasis de parfums, dans les déserts flottante, À quel sylphe nomade as-tu servi de tente ? Quelle ombre a rafraîchi ton germe ? quel oiseau Vint, pour te saluer, chanter sur ton berceau ? Avant d’y promener sa force vagabonde, L’homme avait-il déjà des vassaux dans ce monde ; Ou, du globe encor vide astre silencieux, N’as-tu de ta splendeur étonné que les cieux ?


Quand j’interroge ainsi ton spectre avec mon rêve, Je ne sais quel brouillard de ta cendre s’élève, Où, comme des vaisseaux, glissent, appareillés, Des jours évanouis les trésors réveillés. Des monstres primitifs la race qui s’exhume Repeuple devant moi cet océan de brume, Et l’air ressuscité s’encombre de dragons, Dont le vol fait crier le monde sur ses gonds. Autour de ton néant je vois, comme un mirage, Des continents proscrits bouillonner le naufrage, Et des mers d’autrefois ranimant les complots Je te vois, dans ta fosse installé par les flots, Des siècles décédés confident oculaire, Nous garder, de leur fin, ta mort pour exemplaire.


Écho pétrifié des temps qui sont perdus, Tes oracles muets, dans mon âme entendus, Refont tout le passé dépouille par dépouille. Fleur antique, salut ! chrysalide de houille, D’où s’envole, à mes yeux, un vivant univers. Pour qui l’y veut chercher, quelle moisson de vers Rayonne sous la nuit de tes mornes pétales, Genèse où le déluge a scellé ses annales, Et qu’à livre fermé comprennent nos esprits ! Poème plus confus que ces vieux manuscrits, Que rangeait Pompeïa dans ses cases de poudre, Et qui dorment sans voix calcinés par la foudre, Ton silence éloquent me parle plus haut qu’eux. Tout ce qu’on peut glaner sous leurs plis ténébreux, Fût-ce un soupir perdu de la Grèce ou de Rome, C’est quelque mot terrestre, imparfait comme l’homme, Dont le sens préféré n’est pas toujours le bon : Toi, l’on n’épelle pas tes feuilles de charbon Sans en voir aussitôt, comme une ombre empressée, Sortir un mot de Dieu, traduit par la pensée.


Jules Lefèvre-Deumier, "La Fleur fossile" in Le Couvre-feu, dernières poésies, 1857.

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Fleurs


D’un gradin d’or, — parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, — je vois la digitale s’ouvrir sur un tapis de filigranes d’argent, d’yeux et de chevelures.

Des pièces d’or jaune semées sur l’agate, des piliers d’acajou supportant un dôme d’émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d’eau.

Tels qu’un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.

Arthur Rimbaud, "Fleurs" in Les Illuminations, 1886.

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Les fleurs de Stéphane Mallarmé

Des avalanches d'or du vieil azur, au jour

Premier et de la neige éternelle des astres Jadis tu détachas les grand calices pour La terre jeune encore et vierge de désastres,


Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin, Et ce divin laurier des âmes exilées Vermeil comme le pur orteil du séraphin Que rougit la pudeur des aurores foulées,


L'hyacinthe, le myrte à l'adorable éclair Et, pareille à la chair de la femme, la rose Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair, Celle qu'un sang farouche et radieux arrose !


Et tu fis la blancheur sanglotante des lys Qui roulant sur des mers de soupirs qu'elle effleure À travers l'encens bleu des horizons pâlis Monte rêveusement vers la lune qui pleure !


Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs, Notre Dame, hosannah du jardin de nos limbes ! Et finisse l'écho par les célestes soirs, Extase des regards, scintillements des nimbes!


O Mère qui créas en ton sein juste et fort, Calice balançant la future fiole, De grandes fleurs avec la balsamique Mort Pour le poëte las que la vie étiole.

*

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Dans une de ses dernières nouvelles intitulée "Gigi" (1944), Colette parle des fleurs avec une émotion toute en délicatesse :


Tous, nous tressaillons lorsqu’une rose, en se défaisant dans une chambre tiède, abandonne un de ses pétales en conque, l’envoie voguer, reflété, sur un marbre lisse. Le son de sa chute, très bas distinct, est comme une syllabe du silence et suffit à émouvoir un poète. La pivoine se défleurit d’un coup, délie au pied du vase une roue de pétales. Mais je n’ai pas de goût pour les spectacles et les symboles d’une gracieuse mort. Parlez-moi au contraire du soupir victorieux des iris en travail, de l’arum qui grince en déroulant son cornet, du gros pavot écarlate qui force ses sépales verts un peu poilus avec un petit « cloc », puis se hâte d’étirer sa soie rouge sous la poussée de la capsule porte-graines, chevelue d’étamines bleues ! Le fuchsia non plus n’est pas muet. Son bouton rougeaud ne divise pas ses quatre contrevents, ne les relève pas en cornes de pagode sans un léger claquement de lèvres, après quoi il libère, blanc, rose ou violet, son charmant juponnage froissé… Devant lui, devant l’ipomée, comment ne pas évoquer d’autres naissances, le grand fracas insaisissable de la chrysalide rompue, l’aile humide et ployée, la première patte qui tâte un monde inconnu, l’œil féerique dont les facettes reçoivent le choc de la première image terrestre ?...Je reste froide à l’agonie des corolles. Mais le début d’une carrière de fleur m’exalte, et le commencement d’une longévité de lépidoptère. Qu’est la majesté de ce qui finit, auprès des départs titubants, des désordres de l’aurore ?

*

*

Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque un syndrome qui n'est répertorié que par les poètes :

12 décembre

(Paris, XVIe)


Tout le temps que j'ai dû vivre à Paris, j'ai été malheureux. Je veux dire : en bloc. Je ne manquais pas de satisfactions physiques, intellectuelles ou sentimentales ; mais elles ne me consolaient pas. Je souffrais d'un syndrome de privation de fleurs sauvages. C'est une névrose d'angoisse qui naît de la fréquentation abusive du béton, du bitume et de la bagnole. Les manifestations en sont tantôt psychiques et tantôt somatiques. On observe des rémissions, mais pas de guérison définitive aussi longtemps que les causes persistent.

L'angoisse me prenait chaque fois que je songeais à la ronde enchantée de mes heures enfantines. Je tournais autour du Louis XIV de la place des Victoires en imaginant conduire mes chèvres sur des rochers constellés de joubarbes et de lis orangés. Je remontais le boulevard Beaumarchais en saluant des parterres de sabots-de-Vénus et d'ancolies des Alpes. J'allais à pied de la place de l'Etoile à la gare de Lyon en me représentant çà et là des prairies de pulsatilles, des vallons de gentianes et des amphithéâtres d'edelweiss de laine blanche.

[...]

9 janvier

(Au-dessus de Menton)


Le parfum des fleurs est presque toujours en accord avec leur forme et leur couleur : ce n'est ni une illusion des sens, ni un effet de l'imagination, ni une reconstruction intellectuelle a posteriori. Au contraire : on peut être assuré qu'entre des millions de combinaisons possibles d'odeurs, de morphologies et de teintes, une seule est biologiquement possible. rien n'interdit donc de qualifier les messages chimiques des corolles en utilisant le vocabulaire de n'importe quel domaine de la perception. [...]

23 mars

(Fontaine-la-Verte)


Les oiseaux et les fleurs sont unis par des correspondances symboliques et poétiques aussi fondamentales que leurs relations écologiques. Les passereaux et les orchidées s'attirent avec force. Parfois, l'affinité tient dans la forme d'une plume et d'une feuille, d'un bec et d'un labelle ; dans une nuance de rose et de mauve, dans un reflet, dans un équilibre des courbes, dans une manière de se balancer sous la brise.

C'est ainsi que défilent les fiancés de la fête au village :


le bouvreuil et la céphalanthère rouge ;

la mésange bleue et l'ophrys jaune ;

le pinson et l'helléborine rouge ;

la mésange charbonnière et l'orchis sureau ;

le gorge-bleue et l'ophrys mouche ;

le rouge-gorge et l'orchis papillon ;

le loriot et le sabot-de-Vénus ;

le pouillot véloce et l'orchis homme-pendu ;

le verdier et l'orchis grenouille ;

l'étourneau et le limodore avorté.


Saluez trois fois ! Recommencez !

[...] 3 juin

(Fontaine-la-Verte)


Malgré maints épandages d'herbicides sélectifs signés Bayer ou Rhône-Poulenc, les fleurs sauvages triomphent dans les blés verts. J'y vois plusieurs types d'étoiles :


pavots roses : supernovas

centaurées et scabieuses : géantes bleues

coquelicots : géantes rouges

chrysanthèmes des moissons : moyennes jaunes

stellaires et silènes : naines blanches

gueules-de-loup : naines brunes

pensées sauvages : étoiles à neutrons, avec leurs cœurs de trous noirs.


En entrant dans le bois, j'ai le sentiment de franchir le porche d'une église, tant les plantes y paraissent recueillies... Graminées à genoux comme des bigotes sur leurs prie-Dieu. Mélampyres-enfants de chœur. Lianes-grandes orgues. Feuilles-rosaces. C'est Chartres, version chlorophylle. La chapelle aux fleurs de saint François d'Assise...

*

*

Dans La Citrouille a besoin de vous (Anatolia Editions, 1994 pour la traduction française) P. G. Wodehouse dépeint un Lord anglais très attaché aux fleurs de son jardin, mais pas seulement :


"On dirait qu'il va faire beau, pas vrai ?" fit-il remarquer d'un ton affable.

Lord Emsworth ne répondit pas. Il n'avait même pas entendu. Il y a dans un parterre de fleurs bien disposé un je-ne-sais-quoi qui agit comme une drogue sur les amoureux des jardins, et le comte était entré dans une espèce de transe. Il avait déjà complètement oublié où il se trouvait et croyait être de retour chez lui, dans son paradis de Blandings. Il fit un pas en direction du parterre, et se tint en arrêt comme un setter.

L'homme qui lui avait adressé la parole prit un air encore plus approbateur. Ce personnage à casquette était un des gardiens du parc, chargé de faire régner la loi et l'ordre dans la partie où se trouvait actuellement lord Emsworth. Lui aussi adorait ces parterres, et il lui semblait discerner dans la personne du digne comte une âme sœur. Le grand public n'avait que trop souvent tendance à passer son chemin sans rien regarder, accaparé par ses affaires, ce qui ne manquait pas de blesser le gardien. Il crut reconnaître en ce nouveau venu un chic type comme il les aimait.

"On dirait qu'il...", reprit-il.

Mais brusquement un cri lui échappa. S'il n'avait pas vu la chose de ses propres yeux, il ne l'aurait pas crue. Mais il n'y avait, hélas ! aucune possibilité d'erreur. Brutalement dégrisé, il se rendit compte qu'il s'était laissé cruellement abuser par le séduisant inconnu. Extérieurement, sa mine était convenable, quoique un peu débraillée, et il paraissait propre et respectable, mais c'était en réalité un dangereux criminel, c'était le plus noir des êtres malfaisants, bref c'était un des cueilleurs de fleurs des jardins de Kensington.

Car au moment même où le gardien prononçait les mots "On dirait qu'il", l'homme avait lestement enjambé la clôture peu élevée, avait traversé à petits pas la bande de gazon et, sans lui laisser le temps de dire "va faire beau", avait perpétré son acte infernal. Profitant du bref instant durant lequel les cordes vocales du gardien refusèrent de lui obéir, l'odieux vandale avait pris l'avantage par deux tulipes à zéro et tendait déjà la main pour en cueillir une troisième.

"Hé !!!" rugit le gardien en retrouvant soudain l'usage de la parole. "Hé, vous, là-bas !!!"

Lord Emsworth se retourna en sursautant.

"Dieu me bénisse !" murmura-t-il d'un ton de reproche.

Il avait à présent pleinement retrouvé ses esprits, si faibles fussent-ils, et il saisit tout à coup l'énormité de sa conduite. Il regagna aussitôt l'allée goudronnée d'un air contrit.

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Dans son roman L"Inspecteur Ali et la C.I.A. (Éditions Denoël, 1997), Driss Chraïbi nous dresse le portrait d'un inspecteur de police marocain atypique, notamment dans son amour de la poésie. L'auteur a ainsi quelques envolées lyriques pour rendre compte de cet élan poétique :


"Et elle reprit de plus belle ses gnoses verbales, en même temps que sa salive et son souffle. Même dans le parc, assise sur un banc à un mètre soixante de lui, elle trouva l'inspiration pour décrire le sycomores et les conifères qui s'élevaient entre ciel et terre comme autant de cathédrales vertes, les immenses parterres de fleurs qui n'avaient rien d'autre pour s'exprimer que le silence de leur multiple splendeur. Outre les jolies femmes, l'inspecteur Ali adorait les fleurs, d'une dévotion quasi mystique. Pour les regarder, pour les écouter, il avait besoin de concentration. Il ferma par conséquent les oreilles. Ce fut comme s'il venait d'introduire dans chacune d'elles une boule Quiès. Il fit ce qu'il faisait souvent lorsqu'il voulait se retrouver seul dans une réunion : il appela à la rescousse sa faculté de libérer son esprit volonté.

Ici, à l'autre bout du monde et en cette fin de siècle, il se retrouva un court instant au Moyen Âge, dans l'Andalousie arabe à l'apogée de sa civilisation, assis dans un jardin en terrasses, la vue emportée par la symphonie des fleurs : mauve des mauves, rouge vif des hibiscus, feu des balisiers, chant multicolore des calcéolaires et des phlox - ma vraie prière musulmane sera pour ces fleurs, se disait-il, pour la terre qui les a enfantées, pour les hommes qui les ont entourées d'amour. Sources, jets, vasques, de toutes parts musiquait la musique des eaux. Comme à regret, l'inspecteur Ali se secoua, secoua ses pensées. Il n'était pas au Moyen Âge, hélas : Il ferma les yeux, les rouvrit presque aussitôt. Et il vit..."

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Dans le roman policier Le Parme convient à Laviolette (Éditions Denoël, 2000) de Pierre Magnan, on découvre l'amour de l'auteur pour les fleurs à travers une évocation particulièrement réussie des récipients fleuris qui ornent un village des Basses-Alpes :


"A Piégut, il y a encore chaque matin de vieilles femmes qui arrosent leurs géraniums avec des arrosoirs couleur de nuit constellées d'étoiles d'or ou qui aspergent leurs terrasses aux lauzes luisantes comme des pièces d'eau.

On vous accueille en silence et mystérieusement absentes par des profusions de fleurs tapies un eu partout : des bâtons de Saint-Jacques hauts de deux mètres hérissent les abords des maisons, tout épanouis de roses trémières comme au lendemain d'un miracle.

On vous offre des phlox dans des bidons de pétrole lampant sciemment éventrés et qui datent de mil neuf cent vingt-cinq ; des désespoirs-du-peintre vous proposent l'énigme de leur vrai nom imprononçable dans des boîtes carrées de biscuits bruns ; trois bégonias, en trois couleurs, répandent leurs corolles japonaises sur les bords nickelés d'un seau à champagne Mercier en provenance de feu l'Orient-Express (et ne demandez à personne comment il est arrivé là) et les cosmos élégants font jaillir très haut leur impalpable feu d'artifice depuis le pavillon bleu d'un antique gramophone dispos comme une vasque, à l'envers, entre quatre pierres choisies, après qu'on l'eut comblé de terre...."

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Philippe Claudel, dans Les Âmes grises (2003) construit un roman où la majorité des femmes ont un prénom évoquant les fleurs, en particulier le lys. Et ce n'est pas un hasard si le personnage le plus proche de la pureté de ces fleurs est un prêtre qui deviendra missionnaire :


"Le père Lurant avait de grosses mains, sans poils, dodues avec une peau délicate et des ongles sans ébréchures. [..] Puis on parla, longtemps, comme jamais on n'avait fait. On parla de fleurs, c'était sa passion, "la plus belle preuve, s'il en fallait une, de l'existence de Dieu", disait-il. Parler de fleurs, dans cette chambre, alors qu'autour de nous, c'était la nuit et la guerre, alors qu'autour de nous, quelque part, il y avait un assassin qui avait étranglé une fillette de dix ans, alors que loin de moi, Clémence perdait son sang dans notre lit et hurlait, criait, sans que personne ne l'entende ni ne vienne à elle.

Je ne savais pas qu'on pouvait parler des fleurs. je veux dire, je ne savais pas qu'on pouvait parler des hommes rien qu'en parlant de fleurs, sans jamais prononcer les mots d'homme, de destin, de mort, de fin et de perte. Je l'ai su ce soir-là. Le curé lui aussi avait la science des mots. Comme Mierck. Comme Destinat. Mais lui, il en faisait de belles choses. Il les roulait avec sa langue et son sourire, et tout soudain, un rien paraissait une merveille. On doit leur apprendre cela dans les séminaires : frapper les imaginations avec quelques phrases bien tournées. Il m'expliqua son jardin, qu'on ne voyait jamais à cause des hauts murs qui l'entouraient derrière le presbytère. Il me dit les anthémis, les hellébores, les pétunias, les œillets de poète, les œillets mignardises, les anémones crochues, les sedums, les corbeilles d'argent, les pivoines crételées, les opales de Syrie, les daturas, les fleurs qui ne vivent qu'une saison, celles qui reviennent d'année en année, celles qui ne s'ouvrent que le soir et s'évanouissent au matin, celles qui resplendissent de l'aube au crépuscule, épanouissant leurs corolles fines de liseron rose ou parme, et qui la nuit venue se ferment brutalement, comme si une main violente avait serré leurs pétales de velours, à les étouffer."

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Dans son ouvrage poétique La Grande Vie (Éditions Gallimard, 2014) Christian Bobin évoque très souvent la nature et sa beauté sacrée. Et en particulier, les fleurs.


L'amant, une fois atteint le degré requis d'attention, rayonne par lui-même et en lui-même. C'est le croyant qui fait exister Dieu, mais ce dieu n'est pas pour autant une une idée ou un fantasme. Il est la fleur du rien, la rose aux pétales d'air, le souffle à marée haute.

 

Dans son recueil poétique Notes du ravin (Éditions Fata Morgana, 2016) Philippe Jaccottet évoque lui aussi le mystère des fleurs :


Cette sorte de sourire que sont parfois aussi les fleurs, au milieu des herbes graves.

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Et cette sorte aussi de fleur ouverte, grand ouverte, à partir du cœur, que peut être un enfant, sous le même ciel dont le bleu nous déchire.

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Arts visuels :


Dans Les plantes font leur cinéma - de La petite boutique des horreurs à Avatar (Éditions Dunod, 2023) Katia Astafieff s'intéresse au traitement des fleurs au cinéma :


Les fleurs sont aussi l'un des présents les plus offerts aux personnes que l'on aime. On les apporte pour faire plaisir, mais aussi pour séduire et pour partager ses sentiments.

Dans Broken Flowers (Jim Jarmuschh, 2005), Bille Murray joue le rôle d'un célibataire endurci. Il reçoit une lettre anonyme d'une ancienne petite amie qui lui apprend qu'il est le père d'un fil de 19 ans. Il se lance alors dans un grand périple à travers les États-Unis pour retrouver ses anciennes amoureuses et démasquer l'autrice de la lettre. Avant chaque rencontre, il achète des fleurs ou en cueille lui-même dans la forêt. Sur l'affiche du film, le personnage tient un bouquet de roses à la main et le titre Fleurs brisées fait référence à ses amoures perdus.

Le film peut faire écho à Je veux seulement que vous m'aimiez de l'Allemand Rainer Werner Fassbinder (1976), dans lequel le personnage de Peter offre des fleurs aux femmes qui l'entourent : belle-mère, mère et fiancée. Les fleurs sont un moyen d'attirer l'attention et le titre du film suffit à l'expliquer.

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