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L'Amanite, reine des champignons


Tableau de belles photos d'amanites + l'amanite dans l'art : cliquez ici.


Étymologie :

  • AMANITE, subst. fém.

Etymol. ET HIST. − 1611 bot. (Cotgr. : Amanite. The name of a wholesome toadstoole). Empr. au gr. α ̓ μ α ν ι ́ τ η ς « sorte de champignon », Galien, 6, 370 ds Bailly. − Amanitine, 1838 chim. (Ac. Compl. 1842).


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Amanita muscaria ; Agaric aux mouches ; Agaric moucheté ; Amanite mouchetée ; Amanite muscarine ; beni-tengu-take, c'est-à-dire "champignon des gobelins rouges à long nez" ; Bolet des mouches ; Bolet orangé ; Boulibo ; Borlô ; Champignon crapaud ; Ciguë à verrues ; Crapaudin ; Diablehou ; Dourine ; Fausse oronge ; Faux chocheran ; Faux-cocon ; Faux jaseran ; Grapaudin roux ; Lera roussan ; Moufolo ; Mujolo folo = "Oronge des fous" en occitan ; Plafonnier ; Oriol fol = idem en occitan ; Ovolo malefice ; Pain de crapaud ; Pain de loup ; Picoutat ; Plafonnier ; Real velenace ; Royal picotat ; Sässeron ; Venimeux.

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Mycologie :


Dans son Atlas des champignons comestibles et vénéneux de la France et des pays circonvoisins. (Doin Éditeurs, 1888) Charles Richon rapporte la description d'un de ses prédécesseurs :


A la suite d'une phrase de G. Bauhin qui ne se rapporte pas à la fausse Oronge, Vaillant en a donné une description pittoresque. « Quand ce Champignon sort de terre, dit-il, son chapeau est presque sphérique et comme taillé à facettes, couvert de grosses croûtes répandues par cy par là. Il est tapissé intérieurement d'une membrane blanche douce et drapée comme un fin chamois. Ce chapeau est porté sur un pédicule plein, long de quatre à cinq pouces, dont le bas a environ deux pouces et demi de diamètre. Quand cette plante est dans sa perfection, ce pédicule a jusqu'à six à sept pouces de long, sur un pouce de diamètre, presque égal dans toute sa longueur, mais toujours renflé dans sa base Le chapeau s'étend jusqu'à cinq ou six pouces, poli et à facettes en dessus avec quelques verrues qui ne sont que des portions de la peau dont ce Champignon est peut être enveloppé avant qu'il sorte de terre. Ce chapeau est d'une couleur de ponceau, qui jaunit un peu sur les bords du chapeau ; ses feuillets sont blancs et ont environ six lignes de large, assez pressez les uns contre les autres. Il n'y a point de portions de feuillets dans leurs intervalles. La membrane qui tapissait l'intérieur du chapeau se rabat, quand il est ouvert, sur le pédicule, en manière de peignoir. Ce Champignon est doux quand on le mâche, et peu après qu'on le coupe, il en sort une eau roussâtre, qui a assez le goût et la couleur de cidre doux, mais il n'est point laiteux ».

 

Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque la toxicité de l'Amanite tue-mouches :


D'autres champignons (Amanite panthère, divers inocybes et clitocybes), en particulier l'amanite muscarine (Amanita muscaria), aisément reconnaissable à son chapeau rouge moucheté de pois blancs, produisent sur l'homme des actions physiologiques remarquables. A la dose extraordinairement faible de 10 milliardièmes de g/kg, la muscarine est à même d'abaisser la tension des chats et de diminuer l'amplitude des battements du cœur. Encore appelé amanite tue-mouche, ce champignon possède des effets narcotiques et hallucinogènes non seulement sur les mouches (!), mais aussi sur l'homme : troubles de la vision, confusion mentale, perte de a mémoire, hallucinations, délocalisation dans le temps et dans l'espace sont quelques-uns des symptômes spectaculaires et l'intoxication par cette amanite, qui l'apparentent beaucoup à l'ivresse éthylique. Mais, ici, la mort n'est pas l'issue fatale de l'intoxication.

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Fiche extraite de la thèse de Nicolas FELGEIROLLES soutenue le 2 Juillet 2018 à Montpellier et intitulée La Mycologie dans le bassin alésien ; enquête auprès des pharmaciens d'officine et solutions apportées pour consolider leurs compétences sur les champignons :


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D'après Jean-Baptiste de Panafieu, auteur de Champignons (collection Terra curiosa, Éditions Plume de carottes, 2013), l'Amanite tue-mouches (Amanita muscaria) est vraiment LE champignon magique.


Féerique ou maléfique ? Son chapeau est si caractéristique que l'amanite tue-mouches est devenue l'archétype du champignon, jouant sur deux registre imaginaires, celui des fées et celui des sorcières ! Son aspect seul semble le désigner comme vénéneux : qui pourrait être assez imprudent pour se fier à un champignon rouge à pois blancs ? Sa toxicité a été évaluée et discutée pendant des siècles. La fausse oronge était reconnue comme dangereuse, au même titre que l'agaric bulbeux, c'est-à-dire l'amanite phalloïde. Certains la considèrent pourtant comme comestible : le naturaliste Daubenton se vantait de déguster des plats d'amanites tue-mouches ! Le mycologue Pierre Bulliard, qui avait également testé ce champignon, résumait ainsi cette contradiction : "Il est agréable au goût et à l'odorat et néanmoins très dangereux pour l'homme ; à la dose de deux onces, il ne m'a cependant rien fait." L'appréciation de Bulliard restait ambiguë, d'autant plus que les chiens et les chats succombaient le plus souvent lorsqu'on ajoutait des amanites tue-mouches à leur pâtée. on sait aujourd'hui que ces animaux sont fortement sensibles à cette espèce et qu'il faut des circonstances très particulières pour qu'elle puisse être responsable d'un décès.


L'insecticide : A défaut d'humains, le champignon serait-il un tueur d'insectes, comme l'indique son nom ? En 1601, le médecin et botaniste Charles de l’Écluse rapporte qu'à Francfort, les paysannes vendent sur les marchés ces champignons qui sont découpés en morceaux et attachés aux fenêtres afin d'attirer les mouches qui meurent à leur contact. Certains préparaient un insecticide plus élaboré : "Le champignon, étant divisé en petits morceaux, est saupoudré de sucre ; on verse dessus de l'eau, de la bière ou du lait, que l'on expose dans les chambres où les mouches abondent ; celles-ci viennent sucer le liquide et périssent. toutes cependant ne meurent pas, car souvent elles ne sont que narcotisées ; quelques-unes reviennent à la vie et s'envolent ; aussi conseille-t-on de les ramasser pendant leur sommeil et de les jeter au feu !" On racontait que cette utilisation du champignon était répandue jusqu'en Sibérie : "Les Ostiaques, les Kamschadales s'en servent sous le nom de muco-more, tue-mouche, pour faire périr les insectes." Mais ces peuples étaient surtout connus pour l'autre usage qu'ils en faisaient. [voir plus bas, la suite de l'article intitulé "Les chamans de Sibérie"]

Le champignon des mouches : L'amanite tue-mouches est l'une des premières espèces à avoir fait l'objet d'une véritable description permettant au lecteur de la reconnaître. A la fin du XIIIe siècle, dans son Livre des prouffitz champestres et ruraulx, Pietro de Crescenzi écrit : "Sont larges et espès [= épais] et a aucun [= quelque] peu de rougeur en sa superficie. Et en cette rougeur a moult de vessies petites eslevées dont aucunes sont cassées et les aultres non et ceulx ici sont mortelz et tuent tantiost. Et l'appelle les champeignons des mousches pour ce que qui le pouldre en lait, il fait morir les mousches." [...]


Le syndrome muscarinien : Comme les autres champignons vénéneux, l'amanite tue-mouches contient de nombreuses substances actives dont les proportions varient selon la région et la saison de pousse. Cela explique en partie la variété des symptômes provoqués par la consommation de cette espèce. C'est d'abord la muscarine qui ait, rapidement après l'ingestion. Elle entraîne des troubles intestinaux, une somnolence, une forte transpiration et parfois des troubles cardiovasculaires. Les effets du muscimol sont un peu plus tardifs. Il provoque des nausées mais agit surtout sur le système nerveux : euphorie (ou au contraire somnolence), modifications de la vision et des sensations spatio-temporelles, illusions, convulsions, parfois coma. On sait aujourd'hui qu'il imite l'action d'un élément important pour la transmission nerveuse, le GABA. Il simule donc l'apparition d'influx nerveux, ce qui entraîne des hallucinations. L'amanite contient aussi de l'acide iboténique qui est moins actif, mais qui se transforme en muscimol lorsqu'on fait sécher le champignon. C'est donc séchée que l'amanite est la plus intéressante pour les cérémonies.


Essais et erreurs : Parmi les cas d'intoxication dus aux amanites tue-mouches, on trouve bien sûr les cueilleurs qui les ont confondues avec d'autres espèces et ceux qui ignorent jusqu'à l'existence des champignons vénéneux. Mais certains la consomment en toute connaissance de cause. En effet, l'ancienne tradition d'utilisation rituelle de ce champignon intéresse aussi les amateurs de sensations fortes, qui recherchent les effets hallucinogènes de l’amanite. Malheureusement, les autres toxines ont aussi des effets gastro-intestinaux, parfois très désagréables. De plus, les effets psycho-actifs sont extrêmement variables d'une personne à l'autre et peuvent aller jusqu'au coma. La plupart du temps, les symptômes ne durent pas plus de 24 heures, mais certains consommateurs ont subi un épisode de "psychose paranoïde" de cinq jours, avec hallucinations visuelles et auditives ! On ne connaît cependant aucun cas de mortalité avérée depuis un siècle (en dehors du campeur mort de froid, à la suite du coma provoqué par l'ingestion du champignon).


Marmelade de fausse oronge : un champignon, aussi actif devait intéresser les médecins ! L'amanite tue-mouches a été administrée sous forme de poudre, surtout contre l'épilepsie et d'autres maladies nerveuses, mais on lui a attribué bien d'autres indications, comme "les engorgements chroniques, les scrofules et les ulcères fistuleux de mauvais caractère, les ulcérations de la cornée, les excoriations du bout du sein, les ulcères sanieux, les toux opiniâtres avec expectoration muqueuse ou purulente"...

En teinture, elle était vantée contre la teigne, les impétigos, les dartres et le catarrhe chronique. La Pharmacopée universelle du médecin Antoine Jourdan fournissait la recette de la "marmelade de fausse oronge". Il pilait le champignon avec du sucre et des amandes et ajoutait du sirop d'orgeat au mélange. Il la conseillait contre l'épilepsie et la paralysie. Le médecin et mycologue François Cordier proposait une autre utilisation : "Ce champignon n'a jamais, que je sache, été employé en médecine à titre de sédatif ; ses propriétés narcotiques sont cependant bien connues... Son suc appliqué sur la peau dénudée produisant par absorption le narcotisme, on pourrait sous cette forme, l'employer à faible dose, comme on emploie la morphine et autres préparations opiacées."

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Lyra Ceoltoir, dans son Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) propose la description suivante de l'Amanite tue-mouche :


Elle est sans doute l'image la plus emblématique du champignon dans l'imaginaire populaire : son chapeau rouge floconné de blanc se retrouve partout, des illustrations de contes de fées jusqu'aux nains de jardin en passant par les bijoux et autres vêtements qui l'arborent fièrement. Il est vrai qu'elle est si belle, avec ses couleurs vives et sa forme élégante, qu'elle ne peut que susciter admiration et fascination.


Vie de champignon : Pourtant, attention, sous ses airs de joli champignon des bois enchantés, l'amanite tue-mouches est loin d'être inoffensive. Si elle n'a pas la violence meurtrière de certaines de ses cousines (amanites phalloïde, printanière ou vireuse, pour ne citer qu'elles), elle n'en reste pas moins toxique et dangereuse. D'autant qu'elle est parfois confondue avec la délicieuse amanite des Césars, car certains aléas climatiques, la pluie en particulier, peuvent lui faire perdre ses emblématiques « points » blancs.

Une confusion, bien ennuyeuse, mais qui n'est que rarement dramatique (1). L'Amanite tue-mouches est avant tout un hallucinogène connu, et ce sont sans doute ses propriétés psychotropes qui ont contribué à sa popularité. On sait que les Mayas la consommaient dans ce but sous le nom de kakaljit-inux, « champignon de l'éclair », de même que les Indiens Ojibway, qui l'appelaient iskwedo, ou encore les Koriaks de Sibérie. Cela dit, cet usage n'est pas vraiment une bonne idée, car les effets de l'Amanite tue-mouches sont assez imprévisibles, tantôt sédatifs, tantôt violemment hallucinogènes et fort désagréables. Pour éviter les effets indésirables les plus gênants, les chamans de l'Est sibérien qui l'utilisaient dans leurs transes pour entrer en communication avec les esprits la consommaient indirectement.... en buvant l'urine d'une personne ou d'un animal en ayant préalablement ingéré. Les substances hallucinogènes y étaient plus concentrés, mais les effets secondaires moindres, atténués par la filtration rénale. Peu appétissant, je vous l'accorde.

Les Koriaks, un peuple du Kamtchatka, racontent que c'est la consommation de ce champignon (qu'ils nomment wapaq, ou muchumor, chez les peuples russes, et qui serait né du crachat de la déité Vahiyinin), qui aurait permis au chaman Grand Corbeau de transporter une baleine échouée jusqu'à la mer. L'auteur et ethnologue Robert Gordon Wasson a également supposé que le soma, breuvage rituel mentionné dans le Rig Veda sanskrit, pourrait être de l'Amanite tue-mouches. Cela dit, cette hypothèse est incertaine puisque le Manusmurti, traité de loi hindou du IIe siècle, interdit la consommation des champignons. La rumeur qui voudrait que les Vikings s'en soient servi pour déclencher la fureur meurtrière des guerriers berserker, en revanche, est un pur fantasme : les effets les plus fréquents de l'Amanite étant plutôt sédatifs et hypnotiques, on imagine aisément que l'effet sur un champ de bataille aurait été assez catastrophique. La plupart des cas observés rapportent en effet que les intoxiqués pouvaient soit être pris de fous rires incontrôlables pendant plusieurs heures (jusqu'à en être terriblement malades, voire tomber en syncope), soit être saisis de crises de démence suivies d'amnésie (et éventuellement de coma et/ou de catalepsie). On voit mal un guerrier berserker se ruer sur l'ennemi en hurlant de rire ou de terreur, n'est-ce pas ?

L'Amanite des mouches, puisque telle est la signification de son nom scientifique et de bon nombre de ses noms vernaculaires dans plusieurs langues différentes (2), fut nommée ainsi en raison d'un usage beaucoup moins spirituel : celui d'insecticide. Depuis le XIIe siècle au moins, et sans doute même avant, puisque Albert le Grand en parle déjà dans son De vegetabilibus en 1256, on sait qu'on utilisait ce champignon à cette fin en le mélangeant avec du lait. A moins que ce terme de « mouche » ne renvoie aux hallucinations et à la folie provoquées par son ingestion et que l'on croyait, au haut Moyen Âge, dues à la présence... de mouches dans la tête.

Elle fut cependant l'un des premiers champignons décrits par la littérature spécialisée : dès le fin du XIII e siècle, on la retrouve ainsi dans le Livre de prouffitz champestres et ruraulz de Pietro de Crescenzi, qui explique l'usage insecticide, mais également la toxicité du champignon, alors parfois mortel du fait de l'absence de traitement adéquat. Aujourd'hui, cela fat plus d'un siècle que personne n'est mort des suites de l'ingestion d'amanite tue-mouches, à l'exception d'un campeur mort de froid, car tombé dans le coma en pleine nature.

C'est un champignon de fin d'été et de début d'automne, qui affectionne particulièrement le voisinage des bouleaux et des conifères. Comme la plupart des amanites, la tue-mouches commence son existence sous une forme ovoïde, toute blanche, enfermée dans une volve dont elle s'extirpe en la déchirant quand elle grandit. Ce sont les vestiges de cette enveloppe, collés sur son chapeau (d'abord jaunâtre, rougissant avec l'âge), qui laissent les « points blancs » emblématiques de cette espèce. Une fois arrivée à son plein développement, l'amanite tue-mouche peut être imposante, avec son chapeau plat atteignant facilement une vingtaine de centimètres de diamètre, parfois davantage, son pied aussi blanc que ses lames mesurant de 5 à 20 centimètres de haut, porteur d'un anneau fin et lâche, vestige de la volve de jeunesse. Une averse, le temps qui passe, et le chapeau moucheté peut se faire uni et tirer sur l'orangé. Heureusement, le pied et les lames restent blancs, et permettent d'éviter les confusions malheureuses.


Notes : 1) Il faudrait consommer environ quinze chapeaux pour atteindre la dose létale, les toxines sont solubles dans l'eau (la cuisson a donc tendance à détoxifier en partie le champignon) et il existe aujourd'hui des traitements assez efficaces pour se remettre d'une ingestion accidentelle : la North American Mycological Association a rapporté l'absence de décès lié à la tue-mouches depuis un siècle. Le champignon a été par conséquent classé officiellement parmi les toxiques, pas parmi les mortels, contrairement à ce que statuent de nombreux livres de vulgarisation.

2) En anglais, fly agaric signifie « agaric des mouches ». Elle est aussi Fliegenpilz (« champignon mouche ») en allemand, matamoscas (« tue les mouches ») en espagnol, buretele musqtelor (« éponge à mouches ») en roumain ou encore vliegenzuvam (« champignon mouche ») en néerlandais.

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Vertus thérapeutiques :


Le Dr Lucien-Marie Gautier, auteur de Les Champignons considérés dans leurs rapports avec la médecine, l'hygiène publique et privée, l'agriculture et l'industrie (Librairie J. B. Baillière et fils, 1884) mentionne des usages traditionnels relatifs à ses bienfaits :


L'Agaricus muscarius ou fausse Oronge était vantée contre l'épilepsie et autres maladies nerveuses, la scrofule, etc. ; à l'extérieur et même à l'intérieur, la teinture était employée contre les teignes, les impétigos, les dartres. Quelques médecins, de nos jours, ont proposé l'emploi de cette amanite comme narcotique ; mais la médecine thérapeutique ne manque point d'autres agents plus actifs et plus faciles à manier, pour que cette idée puisse être considérée autrement que comme une curiosité scientifique.

 

James Tyler Kent, dans sa Matière médicale homéopathique (Traduction de la 4e Édition (1932) par le Docteur Hélène Périchon-Bastaire et le Docteur Raymond Demarque, © P.M.J. - J&D Éditions, 1992) présente un tableau fourni de l'Agaricus muscarius :

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Selon Christelle Francia, Françoise Fons, Patrick Poucheret et Sylvie Rapior, auteurs de l'article intitulé "Activités biologiques des champignons : Utilisations en médecine traditionnelle." (Annales de la Société d’Horticulture et d’Histoire Naturelle de l’Hérault, Société d’Horticulture et d’Histoire Naturelle de l’Hérault, 2007, 147 (4), pp. 77-88.), les qualités thérapeutiques de l'amanite tue-mouches sont les suivantes :


anti-convulsivant : En France, utilisée contre l'épilepsie et la chorée. Référence : Bonnard (1991).


antiparalytique : En France, conseillée contre les paralysies des membres, de la langue et des

muscles du cou. Référence : Bonnard (1991).

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Usages traditionnels :


Jean-Baptiste Barla, auteur de Les Champignons de la province de Nice (Imprimerie Canis Frères., 1859) relève la différence de comportement vis-à-vis de l'Amanite tue-mouche selon les pays :


[...] il est prouvé au contraire qu'un champignon qui contient des sucs délétères les conserve toujours, quelle que soit la différence de climat ; et, en admettant même que la température ou le sol puisse modifier sa nature, aucune de ces causes ne peut le dépouiller de ses bonnes ou de ses mauvaises qualités ; ainsi, l'Oronge vraie (Ag. Cæsareus), Niç. Royal, qui a toujours été reconnue comme une espèce sûre et excellente, est mangée partout sans aucun inconvénient ; tandis que la Fausse-oronge (Ag. muscarius), Nic. Royal picotat, qui est très vénéneuse, et réputée comme telle dès la plus haute antiquité, a toujours causé des accidents plus ou moins graves, parce qu'elle conserve dans tous les pays les principes pernicieux inhérents aux individus de cette espèce.

En Russie, au Kamtschatka et dans d'autres pays du Nord, on mange, il est vrai, la fausse-oronge ; dans quelques provinces de l'Italie elle est aussi recherchée, dit-on, par les villageois qui la préfèrent à beaucoup d'espèces comestibles ; et l'on nous a même assuré (ce que nous n'avons pu constater encore) qu'à Tende et dans d'autres localités des Alpe , la fausse-oronge est récoltée et préparée comme champignon alimentaire de conserve. Les faits de ce genre sont loin de prouver cependant que ce champignon ne soit pas vénéneux, car il faut remarquer qu'on ne le mange qu'après l'avoir soumis à une coction prolongée et à une longue macération dans l'eau ou dans quelqu'autre liquide qu'on a soin de renouveler plusieurs fois et pendant un certain temps. On conçoit qu'alors le principe délétère, s'il n'a complète ment disparu, se trouve du moins considérablement affaibli, et qu'il n'agit plus d'une manière sensible sur l'économie animale.

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Le Dr Lucien-Marie Gautier, auteur de Les Champignons considérés dans leurs rapports avec la médecine, l'hygiène publique et privée, l'agriculture et l'industrie (Librairie J. B. Baillière et fils, 1884) mentionne :


La fausse Oronge (Agaricus muscarius) est employée dans plusieurs contrées pour tuer les mouches, après qu'on a eu le soin préalable de la saupoudrer de sucre , afin de les attirer ; elle pourrait être également utilisée pour mettre en fuite les punaises qui infestent les lits, les meubles et les murailles en lotionnant ces parties avec une décoction de ce champignon. La fausse Oronge est encore employée par certaines peuplades de la Russie asiatique pour un triste usage, celui de se pro curer une sorte d'ivresse, dégénérant souvent en orgies furieuses, soit en le mangeant cru, soit en buvant sa décoction.

 

Charles Richon, auteur d'un Atlas des champignons comestibles et vénéneux de la France et des pays circonvoisins. (Doin Éditeurs, 1888) rapporte des usages tombés en désuétude :


La fausse Oronge paraît avoir été connue de Pline pour ses effets toxiques. On peut croire en effet, que ce Champignon est bien celui dont il parle à propos des Oronges vénéneuses et qu'on reconnaît, dit-il, « à leur couleur d'un rouge peu foncé au dehors, livide au dedans, aux crevasses de leurs feuillets, à leur aspect sombre et à la bordure pâle de leur chapeau ».

L'Écluse, qui en a publié une bonne description et une assez bonne figure, raconte que les paysannes des environs boisés de Francfort-sur-le-Mein récoltaient ce Champignon pour le vendre à la ville ; on l'achetait, en effet, pour le découper en morceaux sur lesquels se portaient les mouches, qui mouraient après avoir absorbé le suc vénéneux. [...] Scopoli, parlant de ce Champignon, dit qu'il ne tue pas toujours les mouches qui y goûtent, mais qu'il les engourdit pendant quelques heures, après lesquelles elles se réveillent et vivent. Il ajoute toutefois que le suc du Champignon peut être employé pour tuer les punaises des lits. Paulet et Roques ont fait des expériences sur des chiens et des chats avec la fausse Oronge : ils ont constaté que ces animaux succombaient en dix ou douze heures, s'ils n'étaient secourus. Quant aux cas d'empoisonnements sur diverses personnes dont ils donnent les détails, on peut les résumer en disant que les victimes n'ont échappé à une mort certaine que lorsque les vomissements leur ont fait rejeter le Champignon toxique.

Suivant Vittadini, la fausse Oronge est le Champignon le plus dangereux, parce que, sous des dehors trompeurs, avec une odeur et une saveur plutôt agréables que repoussantes, il renferme un des poisons narcotico -âcres les plus redoutables que l'on connaisse. M. de Seynes cite la fausse Oronge comme étant très vénéneuse ; il dit néanmoins qu'à Genolhac (Gard), sous le mont Lozère, plusieurs familles le recueillaient et s’en nourrissaient, en ayant grand soin de le faire bouillir longtemps et de jeter l'eau de la cuisson, utilisant ainsi des quantités considérables de ce Champignon qui ne leur sont pas disputées. Le même auteur explique plus loin ce qui empêche, dans la région de Montpellier, de produire ces confusions que la consommation alimentaire des Champignons rend si redoutable : c'est qu'il arrive que la zone où l'on consomme l’Oronge n'est pas assez élevée et est encore trop chaude pour produire la fausse Oronge.

M. Quélet résume les effets toxiques de ce Champignon en disant qu'il produit une folie passagère, à petite dose, et qu'il cause la mort s'il est pris en quantité. M. Louis Planchon confirme le fait rapporté par M. de Seynes sur la consommation qui s'en fait à Genolhac : il dit qu'on prépare à cet effet le Champignon en le faisant bouillir pendant un quart d'heure, en jetant l'eau et en le laissant macérer pendant plusieurs jours dans de l'eau qu'on change quotidiennement. Il ajoute que 250 grammes de cette préparation ayant été mangés par un chien, il n'a pu constater chez ce dernier aucun symptôme d'indisposition. M. Louis Planchon a publié, du reste, les résultats d'observations et d'expériences sur les propriétés toxiques de la fausse Oronge, qui lui permettent de conclure que ces propriétés toxiques, très réelles sans contredit, ont cependant été un peu exagérées. En résumé, cette espèce est des plus dangereuses ; les accidents funestes dont elle a pu être la cause provenaient généralement de la méprise dont elle pouvait être l'objet avec la véritable Oronge : l'étude comparative des deux espèces permettra facilement d'éviter une semblable confusion.

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Jean Baptiste Barla, dans son ouvrage intitulé Les champignons de la province de Nice et principalement les espèces comestibles. (Imprimerie Canis frères, 1859) nous révèle la comestibilité de la Fausse-oronge dans certaines régions :


[...] ainsi, l'Oronge vraie (Ag. Cæsareus), Niçois Royal, qui a toujours été reconnue comme une espèce sûre et excellente, est mangée partout sans aucun inconvénient ; tandis que la Fausse-oronge (Ag. muscarius), Niçois Royal picotat, qui est très vénéneuse, et réputée comme telle dès la plus haute antiquité, a toujours causé des accidents plus ou moins graves, parce qu'elle conserve dans tous les pays les principes pernicieux inhérents aux individus de cette espèce.

En Russie, au Kamtschatka et dans d'autres pays du Nord, on mange, il est vrai, la fausse-oronge ; dans quelques provinces de l'Italie elle est aussi recherchée, dit-on, par les villageois qui la préfèrent à beaucoup d'espèces comestibles ; et l'on nous a même assuré (ce que nous n'avons pu constater encore) qu'à Tende et dans d'autres localités des Alpes, la fausse-oronge est récoltée et préparée comme champignon alimentaire de conserve. Les faits de ce genre sont loin de prouver cependant que ce champignon ne soit pas vénéneux, car il faut remarquer qu'on ne le mange qu'après l'avoir soumis à une coction prolongée et à une longue macération dans l'eau ou dans quelqu'autre liquide qu'on a soin de renouveler plusieurs fois et pendant un certain temps. On conçoit qu'alors le principe délétère, s'il n'a complètement disparu, se trouve du moins considérablement affaibli, et qu'il n'agit plus d'une manière sensible sur l'économie animale.

 

Selon Suzanne Amiguès, autrice d'un article intitulé "Quelques légumes de disette chez Aristophane et Plutarque." (In : Journal des savants, 1988, n° pp. 157-17) :


Il existe en effet de nombreuses plantes à toxicité réellement variable ou neutralisée par l'accoutumance due aux habitudes alimentaires de certains consommateurs.


Note : Plusieurs espèces de champignons vénéneux ont donné lieu à des constatations analogues. Cf. H. Romagnesi, Petit atlas des champignons, Paris (Bordas), 1962, p. 54, au sujet de l'Amanite tue-mouche (Amanita muscaria L.) : « C'est une espèce vénéneuse, produisant une intoxication de type atropinien (...), mais elle n'est pas très dangereuse, et est même consommée dans certaines régions (Italie) à peu près impunément » ;

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Cécile Raynal, lors d'une "Promenade étymologique (Pharmacie et étymologie") [Question LXXXVIII, Pharmacie et littérature]. (In : Revue d'histoire de la pharmacie, 84ᵉ année, n°311, 1996. pp. 450-451) explique l'origine du nom vernaculaire de cette Amanite :


En revanche, comme nous le rappelle Stephen Chauvet dans son petit opuscule Les Empoisonnements par les champignons (Paris, Imprimerie Levé, 1912), l'amanite des Césars (oronge, Amanita caesare) doit son nom aux empereurs romains. Plus précisément à l'empereur César Claude, qui avait pour ce champignon une prédilection marquée. Agrippine aurait d'ailleurs profité de cette passion pour utiliser la (vague) ressemblance de l'oronge et de l'amanite tue-mouches afin de l'empoisonner.

Ceci nous amène à expliquer ce surnom donné à l'Amanita muscaria. Non, ce n'est pas en raison de ses taches blanches sur son chapeau qui attireraient les mouches pour mieux les tuer. L'amanite tue-mouches est ainsi surnommée parce qu'un morceau, mis à tremper dans de l'eau sucrée, y diffuse ses poisons. Les mouches, attirées par le sucre, viennent aspirer ce liquide et ne tardent pas à en mourir... tout comme l'empereur précédemment cité.

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Symbolisme :


Adrien Bolay, auteur d'un article intitulé "Les champignons hallucinogènes." (Bulletin du Cercle vaudois de botanique., 1972, vol. 13, pp. 21-30) évoque en premier lieu l'amanite tue-mouches :


La réputation attachée à ce champignon ne provient pas seulement de son port élégant et noble. Elle est plutôt due à ses qualités la fois toxicologiques et psychotropiques, dont l'exacte distinction reste quelque peu délicate à tracer : action indiscutablement mais non gravement délétère, provoquant les symptômes d'une intoxication gastro-intestinale rarement sérieuse, généralement banale, mais surtout propriétés délirantes, ébrieuses, aphrodisiaques, hallucinatoires qui ont fait croire son pouvoir divin ou démoniaque.

Dans leur ouvrage sur les champignons de Russie, Wasson & Wasson (1957), cités par Heim (1963) rapportent que les propriétés hallucinogènes de I'Amanite tue-mouche étaient encore utilisées au XIXè siècIe par plusieurs peuplades de Russie, de Tartarie et de Sibérie. Les tribus qui en faisaient usage appartenaient non seulement aux régions orientales du Kamtchatka et du Détroit de Béring où deux communautés Koriaks, celle des Kamtchadales et celle des Tchouktches se livraient à la consommation de la Fausse Oronge, mais aussi aux régions plus occidentales, relativement proches des Monts Oural, chez les Samoyèdes et les Ostiaks de Lénissei •

Selon W. Bogoras et W. Jochelson, cités par Heim (1963), qui parcoururent le Kamtchatka en 19CO et 1901, la consomrnation des Amanites tue-mouche chez les tribus de la presqu'île conduit à une première période d'exaltation, où se manifestent cris et rage ; ensuite apparaissent des illusions d'optiques avec altération des dimensions des objets, mobilité de ceux-ci, et, véritablement, métamorphoses des silhouettes. C. Cooke (1862) avait déjà mentionné que chez les Koriaks, les effets de stimulation incitaient à la danse ; successivement les danseurs dessinaient un pas d'extravagance, puis les musiciens s'abandonnaient dans un songe, le conteur venait divulguer ses secrets, l'orateur prononcer son discours, le mime dresser ses caricatures. II confirme les impressions erronées de dimensions et de distances auxquelles donne lieu cette ingestion.

Des scènes analogues sont décrites par Jaccottet (1925) et Birkst—Srnith (1956) .

En Europe occidentale, I'Amanite Fausse-Oronge n'est pas consommée à des fins hallucinatoires. L'épithète tue-mouche qu'on lui a attribué provient moins de ses propriétés insecticides douteuses qu'aux effets hallucinogènes qu'elle occasionne à ceux qui la consomment. Au moyen-Âge, délire et insanité étaient attribués aux insectes qui ont pénétré dans la tête de l'homme. II nous en est resté des expressions frappantes : une araignée dans le plafond, piquer la mouche, avoir le bourdon, etc. L'Amanite tue-mouche serait ainsi d'après Wasson & Wasson (1957) le champignon qui guérit la folie, qui extirpe la mouche de la tête de l'homme. Les Koriaks croient qu'après avoir absorbé I'Amanite, les "vers sont expulsés avec les vomissements".

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Voici un document intitulé "La Chair des Dieux" qui retrace l'histoire magique de ce champignon et une étude sur les rites des Ojibway en lien avec ce champignon magique.

 

Dans Les Fées (1978, trad. française 1979) de Brian Froud et Alan Lee, on peut lire que:

"Le champignon le plus souvent associé aux esprits est l'Amanite Tue-Mouche (Amanita Muscovia), rouge vénéneux et hallucinogène. Les Vikings ingéraient de champignon magique pour atteindre la rage guerrière qu'ils appelaient "Bersek".

Dans la mythologie viking, Wotan se trouvait poursuivi par les démons quand les gouttes d'écume sanglante qui tombaient de la gueule de son coursier à six jambes, Slepnir, furent transformées par magie en champignons rouges. L'Amanite Tue-Mouche est donc un présent des dieux."

 

Cela est confirmé par l'article de Wikipédia sur les champignons : "Toutes les mythologies ont en commun de considérer les champignons comme étant les produits d'une réaction mystérieuse entre la terre humide et un élément surnaturel. Ainsi dans la mythologie nordique, le premier homme Odin chevauche Sleipnir dans une forêt ou dans le ciel par des nuits orageuses, poursuivi par des démons. Des gouttes d'écume ensanglantée tombant de la bouche de son cheval Sleipnir donnent naissance à l'amanite tue-mouches dont la poussée est stimulée par la foudre."

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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), l'Amanite tue-mouche (Amanita muscaria) a les caractéristiques suivantes :


Le diablehou était, en Béarn, un lutin, un farfadet qui venait lutiner les femmes de la campagne, principalement lorsqu'elles allaient pétrir la méture ou pain de maïs.

Plafonnier parce que, dans beaucoup de régions, on suspendait la fausse oronge au plafond, où ce champignon attirait les mouches et les faisait périr.


Genre : Masculin

Planète : Mercure

Élément : Air

Divinités : Dionysos

Pouvoirs : Fertilité.


Parties toxiques : Tout le champignon est vénéneux. Ingérée, même une petite dose de fausse oronge provoque des troubles internes graves.


Utilisation rituelle : Quelques chercheurs pensent que plusieurs religions chamaniques de la haute Antiquité (aux premiers temps historiques) concentraient leurs mystères dans l'utilisation rituelle et codifiée de quelques champignons mortels, appartenant aux familles des Amanites et des Agarics. C'est possible ; mais il faut aussi admettre que nous ne savons pratiquement rien de ces religions archaïques. Des fakirs de l'Inde, comme d'ailleurs des sorciers amérindiens, sont totalement immunisés et avalent les plantes les plus dangereuses comme nous mangeons des feuilles de laitue : cela été vérifié maintes fois. Dans son Voyage en Turquie et en Perse (1844-1850), X. Hommaire de Hell relate un fait curieux. Un anachorète persan avait fait pousser dans la paume de sa main un champignon vénéneux qui était sa seule nourriture. Chaque soir il le mangeait, et un nouvel Agaric (ou Amanite) repartait du pied. Notons cependant qu'il s'agit d'individus tout à fait particuliers, de yogis, qui ont soumis leur organisme à un entraînement difficilement concevable et qui se sont exercés toute leur vie à réaliser des prouesses paranormales. Rien ne nous permet d'affirmer que des pratiques de ce genre aient été répandues à l'échelon du village ou de la tribu.


Utilisation magique : La fausse oronge s'est acquis une réputation telle que personne n'a envie d'y toucher - même à des fins magiques. Nous avons très peu d'informations sur le continent asiatique. Existe-t-il des survivances chamaniques en Sibérie, dans les steppes d'Asie centrale ? Aucun témoignage n'existe, du moins à notre connaissance. En revanche, nous savons que les Indiens d'Amérique centrale font des champignons vénéneux un symbole phallique. Ils ne les mangent pas. Ils en répartissent de plusieurs sortes sur les autels dressés en plein air, ou bien ils en entourent la natte où couchent les femmes. Ces rites visent un double but : accroître la fertilité des champs, et augmenter la fécondité de la tribu.

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Raphaël Larrère, auteur d'un article intitulé « Champignons sauvages : initiations et savoirs », (Ethnologie française, vol. 34, n°3, 2004, pp. 463-469) évoque la confusion entre vénéneux et psychotropes dans les classifications populaires :


Constamment enrichie par la diffusion du savoir mycologique et les informations consignées dans les atlas, la connaissance traditionnelle des cueilleurs, comme Martin de La Soudière et moi-même l’avions repéré de la Margeride en Toscane, en passant par les Landes et le Limousin, organise les espèces entre les deux pôles extrêmes : « c’est délicieux »/« c’est vénéneux ». Il y a quelques espèces familières (peu en général, mais leur nombre et leur qualité varient selon les régions) : les amateurs les apprécient, ils savent où et quand les trouver, et disposent pour chacune, d’une ou deux 1. Planche d’amanites (in Intoxications par les champignons, s.d., Théraplix, DR). recettes pour les cuisiner. À ces champignons familiers, l’on a donné des sobriquets. À l’opposé, il y a les champignons notoirement toxiques : quelques espèces redoutables rarement nommées, mais que l’on rencontre, hélas, trop souvent. Enfin il y a le « tas » des « champignons », ceux dont il faut se méfier parce qu’on ne sait jamais jusqu’à quel point ils sont comestibles ni jusqu’à quel point ils sont vénéneux ; collection de plus ou moins mangeables et de plus ou moins toxiques, sur laquelle il est prudent de ne pas trop s’interroger. Le mépris affiché pour cet immense « tas » de champignons anonymes tient lieu de sagesse, protégeant le cueilleur curieux des toxiques les plus virulents [Larrère, La Soudière, 1985].

Dans l’analyse que nous avions faite de ces classifications vernaculaires, et que je viens de résumer, nous n’avions pas vu (ou pas voulu voir) que ces taxinomies confondent toxicité et vertus psychotropes. Cette bévue nous a fait négliger la situation très particulière qu’occupe l’amanite tue-mouches (seul champignon hallucinogène facilement identifiable et fréquent sous nos climats) dans cette taxinomie. Dans presque toutes les régions de France, cette amanite est présentée comme un toxique virulent (ce qu’elle n’est pas), parfois même comme un champignon mortel (ce qu’elle est encore moins). Sur une carte postale datant de 1995, représentant les Champignons mortels ou extrêmement toxiques, l’amanite tue-mouches figure en bonne place à côté de champignons notoirement très dangereux (comme certains cortinaires), des amanites mortelles (vireuse, printanière, panthère et phalloïde)... et du champignon de Mururoa. Parce qu’elle est à la fois élégante et facilement identifiable, la tue-mouches est devenue l’archétype des champignons vénéneux. Or, elle a un traitement bien différent de toutes les autres espèces reconnues toxiques. Comme les champignons comestibles les plus familiers, et à la différence des espèces vénéneuses, elle a de nombreux noms vernaculaires. En outre, elle est le plus populaire des champignons, plus fréquemment représenté dans les livres d’images, bandes dessinées, mais aussi sous forme de bibelots, colifichets, bougies de fête et pâtisseries. Ce statut particulier, que ne saurait expliquer à lui seul le bel aspect de son carpophore rouge tacheté de blanc, laisse supposer que personne n’est vraiment dupe, que (comme l’indiquent d’ailleurs certaines dénominations vernaculaires) l’on connaît fort bien ses vertus hallucinogènes, mais que la prudence est de la considérer comme toxique, car, en tout état de cause, « ce n’est pas de la nourriture de chrétien ».

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Or, il est surprenant de constater que les mycologues ont largement contribué à préserver la confusion commune entre toxicité et vertus psychotropes. Roger Heim signale que, si le botaniste français P. Bulliard, dans son Histoire des plantes vénéneuses (1798), parle de la tue-mouches comme d’un « poison mixte, âcre d’abord, stupéfiant ensuite », ses successeurs du XIXe siècle n’évoqueront que des troubles gastro-intestinaux, inventant à l’occasion un terme spécifique : le syndrome « muscarien » [Heim, 1978 : 158]. Bien que le petit atlas des champignons de Romagnési (1971) fasse allusion aux travaux de Roger Heim sur les « intoxications hallucinatoires » des strophaires, psilocybes, panéoles et conocybes du Mexique, et signale la possibilité de « propriétés analogues » chez Panaeolus Papillonaceus (qui pousse sur les crottins et les bouses), il ne mentionne pas le Psilocybe lancéaté, et décrit les vertus de l’amanite tue-mouches avec une certaine ambiguïté. Tout en expliquant que le « syndrome muscarien comprend le plus souvent à la fois des troubles gastro-intestinaux et surtout des troubles nerveux allant parfois jusqu’au délire », Romagnési présente, dans la planche qu’il lui consacre, l’amanite tue-mouches comme un champignon vénéneux, tout en reconnaissant « qu’elle n’est pas très dangereuse et est même consommée dans certaines régions ».

[...]

La première fois que j’ai entendu parler de ces dernières, c’était même au début des années soixante. Un professeur de botanique nous avait raconté l’histoire suivante. Il savait (mais il n’avait pas dit comment – peut-être le récit du voyage que fit Philip Johan von Strahlenberg en Sibérie, en 1730) que les chamanes du Kamtchatka se livraient à une consommation rituelle de l’amanite tue-mouches. Il n’ignorait pas non plus que les populations de l’Oural agrémentaient parfois les plats de leurs champignons préférés par quelques carpophores de cette « fausse oronge ». Toujours est-il qu’il en dégusta alors qu’il se trouvait dans l’Oural, et que cela lui avait occasionné une sorte de douce euphorie. Il fit alors la même expérience, je ne me souviens plus très bien si c’était en Biélorussie ou en Pologne. Là, il nous dit qu’il fut pris d’ivresse (une véritable « cuite »). En Autriche, ingurgitant à nouveau ces amanites, il fut comme drogué, puis, comme pris de stupeur. Voulant poursuivre l’expérience dans le Massif central, il se retrouva pour quelques jours à l’hôpital. L’interprétation s’imposait selon lui : il y avait un « gradient de toxicité de la tue-mouches d’est en ouest ». Cette interprétation ne m’avait pas paru convaincante. Puisque notre professeur n’avait pas effectué le voyage retour, du Cantal au Kamtchatka, il ne pouvait savoir si l’aggravation de ses troubles était due à une différence de toxicité ou à une réaction de type allergique. D’autre part, il y avait peut-être eu des différences dans les doses et dans les préparations culinaires, qui pouvaient expliquer – pour peu que les principes actifs de la tue-mouches soient instables – la variation des effets. Bien des années plus tard, je me demande si ce professeur n’en savait pas bien plus qu’il ne voulait le dire, et si sa théorie du « gradient de toxicité » n’était pas une légende destinée aux futurs mycologues curieux qu’il voyait en nous. Son histoire nous mettait en garde : plus on s’éloigne des conditions rituelles, culturellement maîtrisées, de l’utilisation des substances psychotropes (ici l’amanite tue-mouches, mais on pourrait dire la même chose du peyotl, des Psilocybes, ou de la feuille de coca), et plus leur absorption est dangereuse.

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Selon Francis Martin, auteur de Sous la forêt, pour survivre il faut des alliés (Éditions humenSciences, 2019) :


Le champignon le plus célèbre est sans aucun doute l'Amanite tue-mouches ou fausse oronge (Amanita muscaria). En effet, c'est l'accessoire favori des Schtroumpfs, lutins, gnomes et crapauds qui s'en servent comme tabourets ou abris. Il est accroché aux branches des sapins de Noël et il est mentionné dans d'innombrables contes et légendes, du Morvan au Kamtchatka. Les chamans lapons et sibériens l'utilisent depuis les temps anciens pour entrer en transe et parler aux dieux.

[...]

En tout cas, les jolis chapeaux de l'Amanite tue-mouches continuent à apparaître en abondance dans les forêts, chaque automne - des forêts des Vosges aux confins de la Sibérie. Pourquoi ce champignon est-il si populaire depuis des millénaires ? Plusieurs ethnologues pensent que cette notoriété est liée à la présence d'un ingrédient psychotrope, le muscimole, dans la cuticule du chapeau de l'amanite. Cet alacaloïde psychoactif et son dérivé, l'acide iboténique, agissent sur les récepteurs de l'acide gamma-aminobutyrique : un neurotransmetteur du système nerveux central chez les mammifères. De ce fait, la consommation de l'amanite affecte fortement les qualités de la perception, de la pensée et de l'émotion - des propriétés hallucinogènes connues depuis l'Antiquité. Elles étaient mise à profit par les chamans des tribus amérindiennes, laponnes et sibériennes pour interagir avec les divinités au cours de leurs transes. Le muscimole et son dérivé, l'acide iboténique, étant rapidement éliminés dans les urines, les chamans utilisaient le précieux liquide afin de continuer à bénéficier des effets hallucinogènes des molécules. La fameuse Alice de Lewis Carrol a probablement dû consommer une belle quantité d'amanites pour traverser son miroir et courir après la Reine rouge.

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Dans son Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) Lyra Ceoltoir rend compte de son expérience magique avec les champignons :


Dans le chaudron : Son omniprésence dans l'imaginaire, son aura magnétique, sa beauté et son étrangeté (elle aime se faire repérer sur le sol de la forêt, alors que la plupart des champignons misent sur le camouflage) en font sans doute le champignon le plus magique dans l'inconscient collectif. Elle est pour cela l'incarnation même de la magie et peut être employée pour voyager entre les mondes, pratiquer n'importe quelle forme de divination, de la plus primitive à la plus élaborée, et renforcer tout type de sorcellerie. Attention, il n'est pas question de la consommer, quoi qu'on en dise ! Malgré tout, elle est aux champignons ce que la mandragore est aux plantes, excusez du peu !

Bannissement, protection, développement et accroissement des capacités psychiques, rêves prophétiques, divination, pouvoir, force, intuition... elle mange à tous les râteliers et se plaît dans toutes les situations, ou presque. Dans la nature, elle est étroitement liée au Bouleau (Betula alba), arbre lui-même profondément investi de nombreuses vertus magiques, en particulier relatives à la magie lunaire, féminine, ainsi qu'aux pratiques de l'ombre et aux Voies de la Main Gauche. Dans ce genre de pratiques, coupler ces deux entités peut s'avérer particulièrement intéressant.

Elle se glissera aussi dans des sachets, des mélanges non destinés à l'absorption ni au contact cutané, après l'avoir fait sécher pour en atténuer la toxicité, de préférence une fois qu'on l'aura fait bouillir dans un grand volume d'eau, dans une casserole réservée uniquement à cet usage et qui devra être méticuleusement désinfectée ensuite. Et, naturellement, on n'oublie jamais de se laver les mains !


Le Message de l'Autre Monde : « Abracadabra ! Je suis la magie. Je te fascine ? Je te plais ? Il est vrai que je suis terriblement jolie, n'est-ce pas ? Et je suis puissante, aussi. Le reconnaître ne fait pas de moi une orgueilleuse. Je suis simplement consciente de ce que je suis. J'ai mes travers, aussi. J'ai mes dérives. Je peux faire beaucoup, mais j'ai mes limites. Gnôthi seauton, comme disait le fronton du temple de Delphes ; "Connais-toi toi-même". Je t'invite à en faire de même : utilise ta magie pour toi, pour apprendre à te connaître, entrevoir tes merveilles et tes limites, savoir où se trouvent tes talents et tes faiblesses. Et ne t'illusionne pas. Rien au monde ne peut tout résoudre. Néanmoins, rien n'est gravé dans le marbre non plus : ce sont les petits gestes, les petits riens, qui peuvent changer le cours de choses... à condition de les exécuter au bon endroit ! »


Sortilèges : Une pincée de Magie : Astuce de Sorcière pour rituels fatigués

Si vous manquez d'énergie, de motivation ou que vos rituels vous semblent un peu ternes et répétitifs, ajoutez-y une pincée d'amanite tue-mouches.

Faites bouillir assez d'eau dans une casserole (dédiée à cet usage) pour recouvrir complètement vos champignons coupés en lamelles et laissez bouillir le tout une dizaine de minutes. Égouttez soigneusement les champignons et séchez-les. Disposez-les ensuite sur une plaque allant au four recouverte de papier sulfurisé et enfournez à 50°C en laissant la porte du four entrouverte pendant 1h30 à 2h. Laissez bien refroidir vos champignons séchés avant de les mettre en bocal, et pensez à nettoyer votre plaque tout comme votre four pour éviter tout risque. Vous pouvez également les laisser sécher à l'air en les étalant sur une claie, un linge propre ou une toile métallique dans un endroit chaud et sec, à proximité d'un radiateur ou au soleil, pendant quelques jours.

Consacrez vos amanites en les passant dans la fumée d'un encens approprié (Romarin ou Thym sont particulièrement polyvalents) et en invoquant leur esprit :


« Ô tue-mouches, mapaq, champignon de l'éclair,

Esprit libre et magique, transcendant les frontières,

Rouge et blanc, élevé, mystique et envoûtant,

Apporte à ma magie ton pouvoir rayonnant. »


Ajoutez une lamelle à vos sachets, vos préparations, vos offrandes, vos talismans, en pensant toujours à bien vous laver les mains après chaque manipulation !


Tout conte Fée : Fanion Magique d'inspiration : Si vous avez besoin de muscler une intuition quelque peu en baisse de régime, en particulier suite à une période de stress ou de préoccupations très matérialistes qui ont grignoté votre énergie, munissez-vous d'une feuille de papier épais ou de carton fin de type bristol, de crayons de couleur, de feutres, d'encres ou de peinture selon vos préférences, d'une paire de ciseaux, d'une bougie rouge, d'une bougie blanche et d'un ruban vert. Installez-vous confortablement dans un endroit rassurant et familier, où vous ne serez pas dérangé. Vous pouvez tracer un cercle si le cœur vous en dit, mais cela n'a rien d'obligatoire.

Allumez d'abord la bougie rouge en appelant courage, force et passion, par exemple en un petit poème comme celui-ci :

« Brille, brille, flamme écarlate,

Danse, danse feu éclatant.

Que la passion et la force éclatent,

Qu'elles s'envolent jusqu'au firmament »


Allumez ensuite la bougie blanche, en convoquant cette fois la vision, la clarté et la lucidité, par exemple en récitant quelque chose comme :

« Éclaire, éclaire, flamme de lumière,

Scintille, scintille douce étincelle,

Que des bois je sois la lisière,

Que j'en aie la ritournelle. »


Découpez le bristol en forme de fanion, de drapeau ou d'écu, à votre convenance, et dessinez-y une grande amanite tue-mouches accompagnée de vos symboles personnels (monogramme de votre nom, sigil personnel, silhouette de votre animal-ombre si vous le connaissez, signe astrologique, runes, oghams...). Ne surchargez pas le dessin, contentez-vous des deux ou trois symboles les plus emblématiques de votre personnalité et de votre pratique magique, ou de ce que vous souhaitez dynamiser. Vous pouvez aussi créer un sigil spécialement pour l'occasion. Mettez le tout en couleur, en insistant bien sur le chapeau de l'amanite, qui doit clairement se détacher. UNe fois que vous avez terminé, présentez votre fanion à la flamme de la bougie rouge puis à celle de la blanche (en prenant garde de ne pas y mettre le feu !) pour le bénir et le charger. Vous pouvez répéter les incantations précédents ou en composer une troisième, par exemple :


« Amanite tue-mouches, champignon de faërie,