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Symbolisme de la pierre



Étymologie :

  • PIERRE, subst. fém.

Étymol. et Hist. A. Fragment de roche 1. a) servant notamment α) dans la construction fin xe s. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 64 : en tas maisons pedraˑ ssubr'altre non laiseront) ; ca 1180 piere secche (Jeu Adam, éd. W. Noomen, 850) ; ca 1298 pierre de taille (Livre de Marco Polo d'apr. FEW t. 13, 1, p. 50a) ; 1528 (Comptes des bâtiments du roi, éd. L. de Laborde, t. 1, 26) ; 1306 pierres taillées (Joinville, Vie de St Louis, éd. N. L. Corbett, § 257) ; 1636 (Monet : Pierre d'attante, pierre auançant au front de la muraille, pour lier la suite de la maçonnerie) ; β) comme arme fin xe s. (Passion, 496 : Alquanz a'ppetdres lapider) ; fin xiv e-déb. xve s. fig. geter une pierre en son jardin «faire une remarque désobligeante» (Quinze joies de mariage, éd. J. Rychner, 3e, p. 26, 283) ; 1570 fig. mesnager d'une pierre deux coups (Mont., Lettre du chancelier de l'Hospital, 30 avril ds Littré) ; 1611 d'une pierre faire deux coups (Cotgr.); 1584 fig. la pierre est jetée (François d'Amboise, Neapolitaines, V, 6 ds Anc. théâtre fr., t.7, p.322); γ) de monument avec une signification − religieuse . fermeture d'un tombeau fin xe s. (Passion, 401 : Sus en la peddre l'angel sist) ; . 1605 pierre levee « menhir » (P. Le Loyer, Hist. des Spectres, p. 55) ; 1835 (Ac.) ; − ou symbolique xiiie s. [date ms.] pierre « borne servant de limite » (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, var. 9757) ; b) servant d'instrument en raison de leurs qualités particulières α) fin xive s. perre a aguisier coutiaux (ds Roques t. 2, B. N. lat. 13032, 2498) ; β) 1416 pierre à toucher or (Inventaire du duc de Berry, éd. J.-J. Guiffrey, t. 1, p. 38) ; 1579 fig. pierre de touche (Larivey, Vefve, IV, 6, éd. Viollet-le-Duc ds Anc. théâtre fr., t. 5, p. 179) ; γ) 1549 pierre ponce (Est.) ; δ) 1411 piere a laver (Arch. Nord, B 10367, f°29) ; 1694 pierre d'évier (Ac.) ; 2. a) en gén. « matière minérale de nature et d'importance variable répandue à l'intérieur et à la surface de la terre » ca 1100 piere (Roland, éd. J. Bédier, 982) ; 1240-80 fig. estre de piere (Baudouin de Condé, Dits et Contes, éd. A. Scheler, t. 1, p. 375, 3080) ; 1460-66 il gelle a pierre fendant (Martial d'Auvergne, Arrêts d'Amour, 3e, éd. J. Rychner, p. 20, 123) ; 1690 geler à pierre fendre (Fur.) ; 1539 pleuvoir pierres «grêler» (Est.) ; 1535 fig. pierre de choppement (Oliv. Rom. 9, 31 d'apr. FEW t. 8, p. 315b) ; 1662 pierre d'achoppement (Pascal, Pensées, éd. L. Brunschvicg, t. 3, p. 205) ; 1791 être malheureux comme les pierres ([Lemaire], 60 elet. bougrement patriotique du véritable père Duchêne, p. 2 ds Quem. DDL t. 19) ; 1861 âge de la pierre (A. Morlot, Leçon d'ouverture d'un cours sur la Haute Antiquité, p. 5) ; b) spéc. variété de cette matière 1322 peres de eagle (Invent. du comte de Hereford et de sa femme ds Notice des émaux, éd. de Laborde, t. 2, p. 440) ; 1553 pierre d'aigle (Belon, ibid.) ; 1561 (Inventaire des meubles du château de Pau, éd. de la Sté des Bibliophiles fr., 56) ; 1540 pierre de marbre noir (N. Herberay des Essars, Amadis de Gaule, 1er livre, éd. H. Vaganay, p. 163, 24) ; 3. ca 1100 perre «minéral de valeur utilisé en bijouterie» (Roland, 1452) ; déb. xiie s. pere preciuse (St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 679-680) ; 1380 pierre faulce (Inventaire de Charles V ds Notice des émaux, t. 2, p. 442). B. P. anal. 1. a) 1re moit. xiie s. piere « concrétion qui se forme parfois dans certains organes de l'homme ou des animaux » (Lapidaire Marbode, 1ère version ds Studer-Evans, p. 55, 669) ; b) 1690 (Fur. : Pierre, se dit aussi d'une dureté ou espèce de gravier qui se trouve dans quelques fruits) ; 2. substance naturelle ou artificielle ressemblant à la pierre a) 1225-30 pierre de l'aymant (Guillaume de Lorris, Rose, éd. F. Lecoy, 1157 ; v. aussi 1269-78 Jean de Meun, ibid., 15366 : pierre d'aïmant) ; b) 1575 pierre philosophale (Paré, Œuvres, éd. J.-F. Malgaigne, III, 582b) ; c) 1765 pierre infernale « nitrate d'argent » (Encyclop. t. 9, p. 740b, s.v. lune). Du lat. peĭtra « roche, roc », également att. en lat. médiév. au sens de « pierre de construction » 1086 ds Latham, « pierre tombale » xiiie s., ibid., « pierre précieuse » 1300 et comme terme de méd. av. 1150, ibid., empr. au gr. π ε ́ τ ρ α « roche, roc ». Petra, mot de la lang. pop., a concurrencé l'a. et class. saxum « id. » et surtout à basse époque l'anc. lapis, auquel il a empr. les sens de « tout objet en pierre, ou qui rappelle la pierre comme «borne», « monument funèbre » et « pierre précieuse », et qu'il a supplanté dans presque toutes les lang. rom. (cf. ital. pietra, esp. piedra), peut-être à cause de son empl. dans la Vulgate, en jeu de mots avec Petrus, du gr. π ε ́ τ ρ ο ς (v. Ern.-Meillet), surnom donné par Jésus à l'apôtre Σ ι ́ μ ω ν répondant prob. à l'araméen κ η φ α ̃ ς « pierre » (v. Chantraine). Pierre à aiguiser a éliminé l'anc. terme queux, v. queux 2. D'apr. G. et A. De Mortillet, Le Préhist., 3e éd., Paris, 1900 [1882], p.5, le danois Christian Jürgensen Thomsen (1788-1865) publia en 1836 ds Ledetrand til Nordisk Oldkyndighed, « la classification et division des temps préhistoriques en âges [...] de la pierre, du bronze et du fer ».


Lire également la définition du nom pierre pour amorcer la réflexion symbolique.

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Croyances populaires :


Selon Jacques Albin Simon Collin de Plancy, auteur du Dictionnaire infernal, ou bibliothèque universelle, sur les êtres, les personnages, les livres, les faits et les choses: qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l'enfer, aux divinations, aux sciences secrètes, aux grimoires, aux prodiges, aux erreurs et aux préjugés, aux traditions et aux contes populaires, aux superstitions diverses, et généralement à toutes les croyants merveilleuses, surprenantes, mystérieuses et surnaturelles. (Tome troisième. La librairie universelle de P. Mongie aîné, 1826) :


GALACHIDE ou GARACHIDE. Pierre noirâtre, à laquelle des auteurs ont attribué plusieurs vertus merveilleuses, celle entre autres de garantir celui qui la tenait des mouches et autres insectes. Pour en faire épreuve, on frottait un homme de miel pendant l'été, et on lui faisait porter cette pierre dans la main droite ; quand cette épreuve réussissait, on reconnaissait que la pierre était véritable. On prétendait aussi qu'en la portant dans sa bouche, on découvrait les secrets des autres.


GÉDI. -Pierre merveilleuse, qui, dans l'opinion des Gètes, avait la vertu, lorsqu'on la trempait dans l'eau, de changer l'air et d'exciter des vents et des pluies orageuses. On ne connaît plus la forme de cette pierre.

 

Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) relève des croyances liées aux cycles de la vie et de la nature :


On fait les enfants frapper sur la première pierre d'une maison pour qu'ils se souviennent de l'époque où elle a été bâtie. S'il s'agit d'un édifice important, une partie des gens de la commune y amènent leurs enfants. [...]


Jadis les pierres poussaient ; elles ont été conjurées et maintenant elles ne profitent plus.

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Symbolisme :


Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Symbole de la « Terre-Mère », la pierre exprime la sagesse : « Des pierres et des rochers matérialisent une force spirituelle ; de là vient qu'elles soient aussi objet de culte ». Chez les Anciens, la pierre servait également à la divination « comme médiatrice entre Dieu et le prophète. La sibylle transportait une pierre avec elle et montait sur elle pour prophétiser ». Il existait un art divinatoire, la lithomancie, qui se faisait avec plusieurs cailloux

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Hank Wesselman, dans son ouvrage Celui qui marchait avec les esprits, Messages du futur (Édition originale 1995 ; traduction française Éditions Robert Laffont 1997) nous fait toucher du doigt, grâce à son personnage de Naïona, ce qu'est l'Esprit d'une pierre en chamanisme :


"Au bout d'un moment le chef réapparut, tenant un gros paquet enveloppé dans du tissu d'écorce noir. Il descendit les marches et se dirigea vers le chariot royal à quatre roues qui l'attendait. L'objet allait donc voyager sous sa protection personnelle. Il jeta un coup d'œil pour vérifier qu'ils étaient seuls et, ne voyant que les six bœufs blancs de son attelage, il fit un signe à Naïnoa et déballa l'objet.

C'était le fameux pohaku kupua, la pierre-esprit dont le chef Kanehe avait l'honneur d'être le gardien ? Naïnoa, qui ne lavait encore jamais vue, apprécia la faveur qui lui était faite. La pierre, un gros galet de lave, avait la forme d'une tête dont le visage avait été légèrement sculpter pour en accentuer les traits. Sa forme naturelle suggérait une bouche bizarrement tordue vers le bas. A la place des yeux, un sillon oblique traversait la surface plane du galet, et le nez était inexistant L'ensemble donnait une impression de force et de pouvoir.

Le chef considéra le sévère visage de pierre avec une affectueuse révérence. "Ce pokahu est dans ma famille depuis des milliers d'années. Pour le moment, c'est moi qui suis son favori, dit-il en lançant un coup d’œil vers Naïnoa pour voir sa réaction. C'est difficile à expliquer. Un akua, un esprit réside dans cette pierre. C'est une forme de conscience profondément différente de la nôtre, et, pourtant... - le chef hésita, cherchant ses mots - ... j'ai une relation avec cet esprit,. Souvent il me visite en rêve, mais je peux aussi le contacter à l'état de veille. J'établis le contact par l'intention et une profonde concentration. Ce n'est pas moi qui ai voulu devenir son gardien, c'est lui qui m'a choisi. Et c'est à sa demande que je te le montre. L'akua de cette pierre possède une volonté propre et confère un grand pouvoir à celui qui sait l'utiliser.

"Ce pohaku est venu de Hawaï dans le canoë de mon estimé prédécesseur. Le matin de son départ, l'akua l'a visité en rêve et l'a informé qu'il lui permettait de l'emmener en Amérique, loin de son volcan natal. Il lui a dit aussi qu'il avait déjà fait le voyage en compagnie de son gardien précédent et qu'ainsi il pourrait l'aider à trouver son chemin.

"Mon ancêtre a raconté son rêve aux chefs et aux prêtres, qui ont estimé que c'était un heureux présage pour toute l'expédition. Personne n'était au courant du premier voyage, mais il était clair que le pokahu voulait le refaire. Et cela correspondant bien au nom qu'il portait depuis toujours, Kapohaku'ki'ihele, la pierre qui voyage."

Le chef se tut pendant un long moment avant de reprendre : "Peut-être a-t-elle senti que tu allais partir. Comme je te l'ai dit, elle a ses motivations et sa volonté propres. Elle m'a visité en rêve. Elle voulait te rencontrer." Il sourit. "Tu peux poser les mains sur elle et lui demander sa bénédiction."

Une fois de plus, Naïona s'étonna de l'honneur qui lui était fait, même s'il n'était pas sûr de croire à l'esprit de la pierre. Seul le chef était autorisé à toucher le pokahu. Mille questions se présentaient à son esprit, mais il n'était pas temps de les poser. Il hésita, puis mit ses mains sur le visage noir et rugueux et fit le vide dans son esprit avant de demander respectueusement à l'esprit de le bénir et de bénir son voyage.

Avait-il senti une onde de chaleur monter dans ses bras ? Il ne pouvait en être certain. Il attendit, mais, comme rien d'autre ne se produisait, il fit un pas en arrière. Le chef Kaneohe remit la pierre dans son emballage et la déposa soigneusement dans le chariot royal. Puis il se tourna vers Naïnoa.

"J'ai donné des ordres en cuisine pour qu'on te prépare des provisions. Va, maintenant, et prépare les affaires que tu veux emporter."

[...]

En arrivant sur la plage, je demandais toujours à "l'esprit du lieu" la permission de chercher et de ramasser des pierres - rituel d'inspiration résolument animiste. Bien que le scientifique en moi ricane et ne prenne pas cette cérémonie au sérieux, je l'accomplissais systématiquement. Ensuite, je parcourais la plage en jetant de temps en temps des regards sur les galets jusqu'à ce que l'un d'eux se distingue des autres. Des ébauches de formes me suggéraient souvent le traitement artistique que je pouvais donner à la pierre, mais je n'arrêtais mon choix que sur des formes qui m'attiraient de manière irrésistible. La plupart des blocs étaient trop gros et trop lourds, alors je les laissais. Mais j'en trouvais toujours de plus aisés à transporter.

Pour avoir étudié le bouddhisme zen, je considère que les pierres sont engagées dans une forme de méditation particulière - idée excentrique, peut-être, mais que je trouve satisfaisante. En conséquence, je leur demande toujours personnellement la permission de les emporter. Je promets aussi à la pierre choisie de ne modifier que très peu ses contours, de façon à révéler sa forme interne. Les pierres sont presque toujours d'accord. Je me suis parfois demandé si c'est vraiment moi qui les choisis, tant l'attirance que j'éprouve pour certaines est forte.

[...]

Soudain, le visage puissant de Kapohaku'ki'ihele, la pierre du chef Kaneohe, surgit dans son esprit. Le mot pokahu contenait des racines qui pouvaient l'aider à comprendre son expérience. Po faisait référence aux dimensions spirituelles, au monde des dieux, héros, maîtres spirituels et esprits animaux. Haku signifiait seigneur ou maître. Le terme pohaku impliquait donc que les pierres étaient en quelque sorte les seigneurs des mondes des esprits, les maîtres du Po. C'était peut-être sa rencontre avec Kapohaku'ki'ihele qui lui permettait ces visions. Le chef Kanehoe lui avait dit que la pierre lui apparaissait parfois en rêve...

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Selon Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes ( (Hachette Livre, 2000) :

A la pierre se rattache la croyance en la durée et la pérennité des choses, par contraste avec l'aspect éphémère de la vie humaine. Ainsi , l'homme a vite compris que ce qui changeait peu dans son environnement naturel, demeurant relativement immuable du moins en apparence, c'était la pierre. C'est sans doute à cause de sa résistance au temps, plus que pour sa solidité, qu'il l'a choisie pour graver des signes, des symboles, des dessins. N'oublions pas que c'est à partir de ce procédé - que les archéologues nomment glyptologie ou étude des pierres gravées - que nos ancêtres ont créé le sceau, objet gravé en intaille, utilisé pour réaliser une impression en relief dans un support mou comme de l'argile par exemple, dont on a retrouvé des exemplaires datant du Vie millénaire avant notre ère, qui ont donc été gravés voici 8 000 ans, en Asie mineure et en Mésopotamie. Il s'agissait d'empreintes, de signatures, de traces, de preuves, des premières formes d'expression inscrites et transmise, des premières lettres postales en quelque sorte, mais aussi des premières écritures. Il n'est donc pas faux de dire que l'élément de la nature le plus ancien et le plus durable dans le temps - quand bien même, nous le savons aujourd'hui, il est loin d'être éternel, la Terre et les étoiles elles-mêmes ne l’étant pas - fut celui qui inspira aux hommes ou, plus exactement, qui fit écho en eux à leur volonté de vivre encore au-delà de la mort, de marquer leur présence, pour qu'il restât d'eux quelque chose, une trace, un souvenir, qui les rendrait éternellement vivants dans la mémoire de leurs enfants. Ainsi, l'homme s'est identifié non pas à la pierre mais dans la pierre, en y gravant des signes qui étaient ses signes de reconnaissance. Nous n'avons rien trouvé de mieux que la signature aujourd'hui, pour nous distinguer les uns des autres, marquer notre empreinte.

Mais la pierre, dès lors que l'homme est en mesure de lui donner un aspect qui n'existe pas dans la nature, c'est aussi la demeure du dieu, d'un dieu ou de Dieu. Les pierres cubiques, rectangulaires, ovoïdes prennent un caractère magique, sacré, divin aux yeux des hommes. Elles figurent les premiers temples, où résident les dieux, puis le dieu suprême. Les bétyles, ou pierres sacrées en honneur chez les Sémites dont le nom signifiait "La Demeure des Dieux" - terme que l'on pourrait traduire de nos jours par "La Maison du Seigneur" -, furent partout présents dans l'Antiquité. Étymologiquement, le terme "bétyle", issu de "bethel", est formé d'abord par "bet", dont dérive sans doute beith, deuxième lettre de l'alphabet hébraïque, que l'on peut traduire ici tout simplement par "La Demeure", et ensuite par el ou El, divinité" babylonienne et sémitique qui apparaît dans la Bible sous le nom de Bâal - que l'on a aussi surnommé Bêl, mis qui était couramment appelé El -, dont les premiers rédacteurs de la Bible se sont d'ailleurs inspirés en faisant allusion aux Elhoim. plus tard, la pierre, demeure du dieu, devint une divinité ou une puissance divine à part entière, pus une clé de voûte. Ainsi, la fameuse Pierre Angulaire des Évangiles symbolise le Christ. La pierre a donc gardé sa magie et son pouvoir sacré aux yeux des Chrétiens.

De ce fait, une pierre ayant une forme bien particulière, qui apparaît dans un rêve, a toujours ce caractère magique et mystique, et peut figurer ce qu'il y a de plus pur, de plus précieux, et plus durable aussi en l'homme : son âme ! Il s'agit là d'un rêve dont la signification est alors d'une grande richesse symbolique."

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Luis Ansa, dans un roman intitulé La Nuit des chamans (Les Éditions du Relié, 2005) donne à travers l'un des personnages de chaman une vision animiste des pierres :


[...] Un matin, Wasca accepte que nous l'accompagnions ans les collines voisines.

- Savez-vous mes amis, dit-il en s'accroupissant d'un mouvement souple pour ramasser quelques cailloux épars sur le sol, savez-vous que les pierres comme toute chose dans la nature, contiennent une mémoire. Dans les cailloux, précise-t-il en mettant en bouche une poignée de feuilles sèches de coca, se trouve une partie de notre mémoire minérale.

- Pardon don Wasca, demande Juan Carlos, je comprends mal ! Qu'est-ce que vous appelez « mémoire minérale » ? Où se trouve cette mémoire ? Et à quoi sert-elle ?

- Elle est présente dans la moelle de tous nos os, répond le chaman péruvien en crachant le premier jus amer de la coca. Et à quoi sert-elle ? Quelle question, mon ami !...

Wasca, dans un grand rire carnassier, fait un bond qui nous oblige à reculer d'un pas :

- Elle sert à ne pas oublier que nous venons de la terre, que nous sommes ses fils, qu'elle est notre mère, caballero ! Rien que cela !

Éric, se souvenant peut-être de sa conversation avec Dona Marina sur la mémoire et sur l'amour, demande à Wasca, avec humilité, de lui apprendre à entrer en contact avec cette mémoire minérale.

- C'est très simple lui répond le Péruvien, chaque caillou contient une force qui sommeille. Réveillez-la avec votre intention, votre amour et votre respect.

- Pour vous, c'est simple, lui rétorque Éric, mais moi je ne connais rien aux pierres ! Et vous, Luis ?

- Je préfère ne pas intervenir !

Wasca, touché par la sincérité d'Éric, l'entoure de ses bras puissants, colle son visage de bronze au sien et lui dit en lui glissant un caillou dans la main :

- Prenez n'importe quelle pierre, mon ami, et rentrez résolument dans votre corps et dans votre cœur. Tenez-la, écoutez son silence archaïque ! Que la pierre se réveille ne dépend que de vous, de votre impeccabilité, de votre intention ardente. Les pierres aussi aiment être aimées !

Tout en parlant, il regarde fixement Éric de ses yeux noirs, comme pour l'immobiliser dans l'espace.

- Essayez, vous verrez, c'est très simple. Il suffit d'être sincère et sans prétention, dans un état d'attention tranquille et amoureuse, et cette forme de vie minérale se réveillera en votre corps.

- Don Wasca, interrompt Juan Carlos soudain rêveur, dans mon enfance, je jouais toujours avec les pierres, et même, je me rappelle, je les gardais dans mes poches, au grand désespoir de ma mère ! C'est de cela que vous parlez ?

- Oui, mon ami ! Les enfants savent écouter les pierres qui, se sentant aimées, leur confient certains de leurs secrets. Pour les adultes, cela demande toute une approche, mais l'expérience intérieure est assez forte et très séduisante.

Pour Wasca, le taciturne, la conversation n'a déjà que trop duré. Aussi de tourne-t-il vers moi d'une façon abrupte et dit :

- Négrito, traduis à ton ami : Qu'il essaie le sentir émotionnel et sensitif, qu'il n'aie pas peur de sacrifier sa tête, qu'il goûte au moins une fois dans sa vie l'attention sans désir, l'attention pure, c'est tout !

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Odile Alleguede, dans son ouvrage intitulé La parole perdue des pierres, La face cachée des joyaux les plus mythiques (Éditions Quintessence 2008), nous rappelle que :


"Pierres gravées, talismans, amulettes, [les pierres] pulsent, au rythme de leur vibration, la double puissance du langage divin et des encodages rituels précis pratiqués par tous les initiés, prêtres, mages et sorciers. Les "harodim", notamment, qui étaient des initiés kabbalistes, chargés d'étudier les textes sacrés, portaient toujours sur eux des pierres précieuses, telles qu'améthyste, émeraude, agate ou opale. Ces pierres, ayant une correspondance avec certains signes et lettres hébraïques, leur donnaient un pouvoir magique précis.

De grands pouvoirs organoleptiques étaient attribués aux pierres gemmes. Pline parle des mages, ces pontifes de l'Orient, particulièrement initiés à la connaissance secrète de l'agate, de l'émeraude, de l'onyx, etc. Orphée, poète du cycle pythagoricien, dans ses Lithica, reconnaît aux pierres une action mystérieuse. Même écho lointain avec Rémy Belleau, poète de la Pléiade, qui les met en vers dans de magnifiques poèmes... Georges Le Syncelle, polygraphe grec du VIIIe siècle, reprend à ce sujet des passages ambigus du Livre d'Enoch : "[...] ce sont également les anges pécheurs qui révèlent aux mortelles les arts et les sciences occultes. Ils habitèrent avec elles et ils leur enseignèrent la sorcellerie, les enchantements, les propriétés des racines et des arbres... les signes magiques... l'art d'observer les étoiles... il leur apprit aussi, dit encore le livre d'Enoch, en parlant de l'un de ces anges, l'usage des bracelets et ornements, l'usage de la peinture, l'art de se peindre les sourcils, l'art d'employer les pierres précieuses et toutes sortes de teintures, de sorte que le monde fut corrompu...". Tertullien, lui aussi, en parle longuement : "Ils trahirent le secret des plaisirs mondains ; ils livrèrent l'or, l'argent et leurs œuvres ; ils enseignèrent l'art de teindre les toisons [...] ils découvrirent les charmes mondains, ceux de l'or, des pierres brillantes et de leurs œuvres..."

[...]

Chaque culture privilégiait certaines pierres, du fait de leur présence géologique sur leur territoire, et d'une affinité mystérieuse. Les anciens Égyptiens employaient le lapis-lazuli, la cornaline et la malachite ; les Incas, l'émeraude ; Les Vietnamiens et les Chinois, le jade ; les Amérindiens, la turquoise. Les pierres ont toujours rempli ce rôle de "passeurs d'âmes" et de protection vers un au-delà incertain, effrayant et tellement mystérieux.

Inversement, folklores et légendes, qui sont autant de chemins de tradition plongeant dans les limbes de l'humanité, en retraçant l'histoire des cristaux, se font la mémoire millénaire de cette puissance transcendante qu'ils contiennent. Les pierres, accumulateurs naturels du champ électromagnétique de la Terre, y apparaissent comme les gardiens et les facilitateurs de l'incarnation humaine.

De leur côté, les praticiens du tantrisme voyaient les pierres comme des accumulateurs d'énergie divine. Ils s'en servaient pour la préparation d'oxydes et de poudres, destinés soigner diverses maladies.

[...]

En Grèce, Théophraste écrit De lapidibus, vers 315 av. J. C. A partir des travaux d'Hippocrate et de Platon, il y présente une thèse originale, sorte de réflexion sur la création minérale, avec pierres mâles et pierres femelles. Inattendu, pensez-vous ? Pas tant que ça, en fait. Cette notion de "genre" s'appuie sur une connaissance poussée des mathématiques et de la géométrie sacrée. Encore !

En effet, des travaux récents démontrent l'existence de deux types de spirales (au sens de progression mathématique), l'une avec des lignes droites, considérées comme masculines, l'autre avec des lignes courbes, jugées féminines. Mais ce n'est pas tout ! Il s'avère que le point d'origine de la spirale est fondamental pour en déterminer l'aspect féminin ou masculin. De plus, il existe deux sortes de progression, celle dénommée de "Fibonacci", de nature féminine, et la binaire, qui est masculine ; toutes deux émanant de celle du nombre d'or. ce qui nous conduit, si on mélange l'ensemble de ces informations, à rencontrer dans la nature cristalline des spirales aux polarités mixtes. Théophraste avait raison, mais alors, quel abîme de réflexion supplémentaire sur ce monde minéral !

[...]

La notion de magie est indissociable de l'existence même des pierres précieuses. Grecs et Romains allaient jusqu'à penser que les pierres avaient la faculté de se reproduire. Le mot gemme vient d'ailleurs du latin "gemma" qui désigne le bourgeon végétal. Auto-génération, sous la poussée toujours mystérieuse de cette "force" intangible mais bien présente de la nature !

[...]

Tout à la fois dépositaires des secrets de l'univers et de l'homme, elles libèrent leurs ondes bénéfiques ou néfastes, suivant les énergies emprisonnées dans leur beauté minérale.

Le physicien américain Kenneth Emerson le formule ainsi : "Il est des pierres précieuses de texture moléculaire spéciale qui conserveraient une véritable mémoire des situations violentes captées au hasard de leur longue carrière... Cette mémoire atomique, déjà soupçonnée dans le diamant, existerait aussi dans certaines améthystes, les émeraudes, les perles, le rubis... Elle serait susceptible de libération à date fixe selon un processus ne dépendant nullement de la personne qui porte le bijou, mais d'une sorte de cycle de perturbations moléculaires aux caractéristiques et causes inconnues... Et la malédiction consisterait alors en une sorte d'onde de forme recréant précisément les circonstances psychologiques d'une situation violemment désordonnée qui investirait celui ou celle qui a le malheur de se trouver en contact étroit avec le minerai.."

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Véronique Dasen, dans un article intitulé "Sexe et sexualité des pierres dans l'Antiquité gréco-romaine." (In : Les savoirs magiques et leur transmission de l'Antiquité à la Renaissance. 2014. pp. 195-220) s'intéresse aux croyances des Anciens relatives aux minéraux :


Le sexe des pierres : L’identification du sexe des pierres repose principalement sur l’observation de leur couleur. Le principe est simple, comme l’expose Théophraste dans son Livre des pierres (IVe s. av. J.-C.) : une couleur intense, lumineuse, caractérise une pierre mâle, arren, des reflets doux, plutôt mats, une pierre femelle, thelus.

Et il existe encore, comme il a été dit plus haut, d’autres différences entre les pierres, même portant le même nom. Pour la cornaline, l’une est diaphane, plus rouge, elle s’appelle femelle ; l’autre également transparente, mais plus foncée, mâle. La pierre de lynx se distingue de la même manière : la femelle est plus transparente, plus jaune. L’azurite est également appelée mâle, l’autre femelle, le mâle est plus foncé.

Tous les traités lapidaires antiques et médiévaux suivent cette catégorisation. L’opposition mâle/femelle se décline avec des variantes selon les auteurs, contrastant intense/atone, foncé/clair, brillant ou transparent/mat, flamboyant/doux, léger ou tendre/ dur ou compact.

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Dans La Splendeur escamotée de frère Cheval ou Le Secret des grottes ornées (Éditions Grasset et Fasquelle, 2018), Jean Rouaud nous livre des réflexions qui conduisent à faire lien entre pierre et soleil :


"On s'étonne moins que les mains d'or aient choisi la grotte d'Ardèche pour y figurer leur conception du monde, quand on sait que le portail d'entrée aujourd'hui effondré donnait sur le porche de pierre qui enjambe la rivière en contrebas et assure la notoriété du lieu. Ce demi-cercle découpé dans la roche de Vallon-Pont-d'Arc sous lequel coule la rivière, regardez-le, c'est un pochoir solaire, une porte-gabarit par laquelle un soleil sombrant s'engouffre en demi-cercle dans les ténèbres de la terre, d'où il pourra ressortir. Pour l'accueillir, ce soleil éteint par la nuit, ce soleil noir de la mort périodique, pour le recharger en feu dans les profondeurs souterraines, il faut un porche majestueux - il l'était avant de s'effondrer il y a vingt mille ans, ce qui a permis la préservation des peintures - et un dôme monumental à ses dimensions correspondant à la porte-gabarit de l'arche.

Ce garage, cet atelier en réparation solaire, en rechargement d'énergie qu'est la grotte, on comprend qu'on ait eu le souci de l'aménager comme un palais. A tout seigneur tout honneur, le soleil même moribond (de là le côté éclopé, titubant, de certaines des figures représentées) ne dort pas n'importe où. rien n'est trop beau pour décorer la chambre de la lumière. Ce qui sera bien plus tard le leitmotiv de l'abbé Suger érigeant sur ce seul critère la première cathédrale gothique à Saint-Denis. Si Dieu est lumière, comme le prétend Denys L'Aréopagite ou son Pseudo, alors faites entrer la lumière, exigera-t-il de ses maçons et de ses verriers. Qu'elle traverse les murs de pierre comme Jésus rendant visite à ses amis après sa mort, surgissant parmi leur assemblée quand toutes les portes étaient fermées. Que la lumière franchissant le vitrail redevienne pierre sur le sol de la cathédrale et scintille comme le rubis, l'émeraude ou le saphir. Que ce trésor étincelant dalle le sol de la maison divine.

Lumière et pierre ne sont pas antagonistes du tout. Ce sont deux aspects d'un même principe, ce qu'avaient bien saisi les mains d'or et ce dont Suger est convaincu. tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai quoi, hein ? demande-t-il à ses maîtres maçons et ses maîtres verriers. une égalise, répondent-ils. Oui mais encore ? La maison de Dieu. Bien sûr, mais Dieu, c'est quoi ? L'abbé leur a soufflé la réponse : Dieu est lumière. Parfait, alors faites en sorte que. Et n'osant opposer à l'abbé que traverser la pierre relève de la magie pure, pour lui complaire et plaire à Dieu ils inventèrent une forme inédite de la beauté. Derrière le surgissement de la beauté il y a une pensée folle.

[...]

Quel pouvoir extraordinaire de donner à voir la vie dans une pierre, de provoquer d'un geste le surgissement de la vie à travers la pierre, comme si la vie en se penchant découvrait son reflet dans l'eau de la rivière. Se voir dans une pierre revient à faire de cette pierre un plan d'eau. La pierre comme miroir ? C'est le pari fou des mains d'or. A celles-là, le groupe médusé accorda toute sa confiance, au point de les envoyer dans les tréfonds mette en images l'idée qu'il se faisait du grand cirque de l'univers. Le spécialiste des phénomènes étranges dut en concevoir une certaine amertume. Fusain ou sceptre, il aura compris que le pouvoir se tient dans la main. Ce qui est déjà une manière de s'affranchir des puissances occultes. Le match est lancé.

[...]

Donc les pierres parlent. Et si on leur confie les secrets les plus essentiels à notre connaissance du monde, c'est qu'elles ne vont pas non plus se répandre et cancaner. Elles ne se livrent pas au premier venu. Elles savent se taire et se tenir. La pierre de Rosette a gardé son secret pendant deux millénaires, et celle d’Étiolles se tient depuis quinze mille ans au bord du foyer d'un campement établi sur les berges de la Seine, continuant par sa présence gravée de conjurer on ne sait quelle menace."

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Dans Le Chamane et le Christ (Éditions Le Passe-Monde, 2020) Daniel Meurois évoque les croyances des Amérindiens Wendat à travers le témoignage d'un personnage d'homme-médecine déboussolé par les catastrophes liées à l'arrivée des Anglais et des Français sur leur territoire :


Je me souviens des dalles du sol sous la plante de mes pieds nus. Froides et rugueuses, elles contrastaient avec la terre damée des ruelles. Je les ai pourtant trouvées consolatrices.

Comme tous les hommes-médecine, je n'ignorais pas que toutes les pierres du monde avaient une mémoire et qu'elles nous racontaient forcément une histoire, leur histoire, celle de leur espèce, en rapport avec le lieu où elles étaient nées dans le ventre de notre Mère la Terre et par la volonté du Soleil. Celles-là auraient normalement dû me glisser à l’oreille quelques paroles inspirées par le Grand Esprit, mais pourtant, étrangement, elles se turent ou plutôt elles firent naître en moi un insondable silence...

C'était un de ces silences miraculeux que je n'avais pu découvrir que lors de mes longues retraites solitaires dans les profondeurs boisées... Un silence du dedans qui s'accommodait des chants du vent dans les arbres comme de ceux de nos frères animaux. Une nourriture...

En son sein, tout à coup isolé du reste du monde, j'ai levé une nouvelle fois les yeux vers le haut des colonnades et il m'a semblé y voir les pins des forêts de mon peuple... De grands êtres porteurs d'une sève odorante. C’était... si logique... Les pierres également avaient leurs propres veines et leur vie secrète...

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Symbolisme celte :


Selon Sabine Heinz, auteure des Symboles des Celtes (1997 ; traduction française Guy Trédaniel Éditeur : 1998),


"Avec les os et les bois, la pierre est certainement la plus importante matière première naturelle pour la fabrication d'armes, de lieux de culte, d'habitations, de systèmes de défense, d'objets d'arts et de culte, matière à laquelle vient encore s'ajouter le métal, qui est cependant fabriqué par l'homme.

Les pierres portent souvent des témoignages écrits du monde celtique auxquels on doit a preuve de l'existence de onze langues celtiques : gaulois, galatique, ibère celtique, lépontique, irlandais, écossais-gallois, manx, gallois, combrique, cornique, breton. Jusqu'à présent, le pictique n'a pas pu être définitivement classé dans cette catégorie.

Dans le domaine du spirituel, les pierres sont des remèdes (on pouvait aussi les faire cuire) et des pierres cultuelles ; elles assurent la protection et sont des instruments de divination ; la métamorphose en pierre est également possible.

D'autres fonctions regroupent des utilisations quotidiennes et cultuelles :; selon le cas; les pierres sont laissées telles quelles ou taillées. Non taillées, elle pouvaient servir de lieu d’accouchement, de repos, d'exécution ou de mort fortuite, ou encore d'autel pour poser des trophées (des t^tes par exemple), de pierre tombale, ou de pierre de culte où elles représentaient le centre, les dieux et / ou la fécondité. Les menhirs (littéralement pierres longues) ont probablement été dressés et choisis en raison de leur forme particulière. Il est alors facile de passer aux pierres travaillées are des professionnels. Certaines ont des formes phalliques ou représentent des dieux.

Des pierres ou des morceaux de roche plus petits sont utilisés comme armes (projectiles, munition pour les catapultes, pointe de javelots ou de lace). Il est certain que ces pierres pouvaient également servir de jouets aux enfants. Taillées ou non, petites ou grosses, elles avaient aussi pour mission de protéger, lorsqu'on les dressait pour construire une palissade ou qu'on les entassait pour former un samain (semblant de tombe pour les esprits).

Les pierres, comme les arbres, peuvent accompagner les humains dans les trois étapes principales de leur vie ; elles sont liées à la naissance, à l'évolution (jeu), au renouvellement (sommeil), à la guérison, à la fécondité et la joie, ainsi qu'à la mort (tombeau).


L'histoire de la conception de Conchobar témoigne d'un lien entre la pierre, la vie et la mort :


A sa femme d'un commerce agréable, fille du roi d'Ulster, Eochaid Salbuide, est élevée par douze pères nourriciers. Cathbad, guerrier et druide, les tuent tous. Comme son vrai père ne veut pas se venger, Asa, à présent Nesa (<Ni-Asa, femme d'un commerce désagréable) se met à la tête d'une bande de 27 hommes. tout en cherchant Cathbad, et détruit la région frontalière entre les deux pays. Mais Cathbad l'attrape alors qu'elle se baigne seule.

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


Une démarche qui se proposerait de donner sens à toutes les images de la pierre, saisies comme un ensemble, se heurterait à bien des embûches. Dans le rêve, un chemin de galets se fait complice d'un besoin de réconciliation vis-à-vis de l’image de la mère, le rocher est une matrice, prompte à s'ouvrir pour accueillir où pour enfanter, les pierres dites précieuses peuvent trahir l'exaltation imaginative ou révéler le trésor intérieur. Les galets, le rocher et les gemmes justifiaient la rédaction de trois articles distincts. Il reste à traiter de la pierre ! De l'humble caillou à la pierre sacrée, de la pierre qui protège à celle qui blesse, de la pierre baptismale à la pierre funéraire, de la pierre dressée à la pierre de sacrifice, du menhir au dolmen, l'éventail des images oniriques se déploie en un angle très ouvert.

A parcourir les scénarios dans lesquels apparaît le symbole, le chercheur ne peut éviter un sentiment de ferveur respectueuse. A travers ces rêves de l'homme d'aujourd'hui, il est mis en résonance avec les mêmes projections que celles qu'inspirèrent les pierres à ses ancêtres des aurores de l'humanité. Lorsque, après avoir achevé l'exploration des scénarios de rêve éveillé, on relit les conclusions de Mircea Eliade relatives aux rapports entre l'homme primitif et la pierre, on doit convenir que ce qui inspira les civilisations dominées par l'animisme demeure intact dans la psyché contemporaine.

Si l'on concentre les observations sur les scénarios dans lesquels sont prononcés les mots pierre et caillou, en excluant les images de galets, de rocher et de pierres précieuses, l'investigation porte encore sur 16% des rêves. Dans la moitié de ceux-là, la pierre ou le caillou n'apparaissent qu'à la faveur d'une évocation incidente, dont il serait vain d'attendre une contribution utile à l'interprétation. La symbolique de la pierre s'épanouit avec une ampleur saisissante dans la plupart des autres scénarios.

Pour l'imaginaire, toute pierre est vivante. Le témoignage des yeux, qui atteste l'inertie de la pierre, ne peut rien contre la puissance d'une vision intuitive qui sait qu'une âme habite la pierre, que toute pierre est intentionnée. Une pierre rêvée se propose à la caresse, menace de le blesser, écrase, se lève, s'allonge, elle a même le pouvoir de ressusciter. Elle n'est jamais cette masse minérale indifférente que le mental rangeait si loin de l'humain. Pourtant, les statistiques ne font apparaître aucune corrélation avec les personnages ni avec les végétaux. Un seul animal est associé à la pierre : le mouton. La pierre du rêve s'inscrit dans des situations si diverses qu'on pourrait y trouver un exemple démonstratif de chaque facette des interprétations qui en ont été proposées. Cependant, les images se répartissent très inégalement par rapport aux différents thèmes. Celles qui font sentir le poids de la pierre sont en abondance. Celles qui lui confèrent le rôle sacré de dépositaire d'une âme après la mort sont nombreuses. Celles qui rappellent le sens de la pierre dressée par Jacob, c'est-à-dire le témoignage d'une liaison entre le ciel et la terre sont plus rares.

La pierre du rêve est lourde. Elle l'est avant même que la main ne l'ait touchée. Elle n'est pas seulement pesante : elle contient toute la pesanteur onirique. Elle enchaîne à la terre. A l'âme tentée par les ambitieux envols nietzschéens, elle oppose le poids de la fatalité terrestre. Dans 80% des séquences de rêve dans lesquelles la pierre ou les cailloux occupent une place significative, l'adjectif lourd se rapporte au corps même du rêveur, auquel il révèle sa réalité la plus pesante. De quelles expériences tragiques se sont chargées ces pierres qui parlent au patient du fond de son enfance ? Qu'ont-elles à lui dire ?

Existe-t-il un risque de pétrification partielle de la psyché, équivalent du processus de carbonisation décrit dans l'article consacré au charbon ? Quand la carbonisation symbolique résulte de sentiments coupables, la pétrification aurait pour base des sentiments meurtris. Les images de pierre, associées au choc provoqué par une mort, sont si fréquentes dans les scénarios qu'elles imposent la référence aux rites millénaires des pierres funéraires. Le vingt-troisième rêve de Hilda eut lieu deux semaines après un deuil qui la concernait intimement. La jeune femme avait vu son père disparaître tragiquement lorsqu'elle avait treize ans. A la même époque, l'un de ses jeunes frères était mort après une courte maladie. Le deuil récent réactualise les souffrances anciennes et leurs séquelles :

« Je vois une silhouette... qui se coupe en deux, la partie droite tombe par terre, la partie gauche reste debout. La partie droite qui est à terre, maintenant, c'est une mare de sang... la partie qui est debout, c'est devenu un bloc de pierre... je vois... un nœud blanc qui est noué autour du bloc de pierre... c'est un bloc de pierre qui fait penser aux cimetières... c'est un bloc de granit... ça me fait penser aux tombes... maintenant, je vois des petits graviers blancs sur la tombe de mon petit frère... je vois de l'herbe, avec de la rosée... et un petit lutin qui s'enfonce dans la terre et qui disparaît... il est tout noir maintenant... il est allongé... il est devenu du charbon de bois... »

Les rêves exposent beaucoup de représentations de ces psychologies à demi pétrifiées à la suite d'un deuil ou d'une agression. Une partie de l'être s'est figée, l'autre continuant à vivre de façon autonome. Cela peut-il expliquer la fréquence des images de dédoublement observées dans ces productions oniriques ? Il n'est pas difficile de deviner le genre de scène dans laquelle prennent racine les images de Reine : « … Je joue à la balançoire... je dois avoir quatre ou cinq ans... y a un monsieur... je vois juste le manteau et le chapeau... il me prend la main... je reste accrochée d'une main à la corde de la balançoire... je ne veux pas lâcher... il me tire par l'autre main... mon côté gauche devient lourd... il devient comme une pierre... comme un énorme obélisque.. et ça tombe sur lui et ça l'écrase... ça écrase le manteau et le chapeau... ça fait du bien que ça lui tombe dessus... l'obélisque, c'est un grand phallus... je vois le manteau et le chapeau écrasés... ça fait un peu dévasté !.. Des enfants arrivent... ils rient... ils crient... ils s'amusent, sur tous les jeux... moi, je ne pourrai plus m'amuser... »

La partie la plus douloureuse du souvenir reste occultée mais le ton de Reine dit assez clairement la rupture qui a placé définitivement l'enfant hors des jours d'innocence. Jacob, au sortir d'un songe, dresse la pierre qui lui servait de chevet. Il en fait un beith-el, la maison de Dieu. Le geste de Jacob est le prototype de tous les efforts de l'homme pour élever la pierre à la rencontre du ciel, pour nier la pesanteur. Toutes les pyramides, toutes les tours, tous les béthyles, tous les minarets, tous les clochers prolongent l'impulsion du patriarche. Aucune interprétation du symbolisme de la pierre ne peut se soustraire à l'influence du rêve de Jacob dans lequel les anges assurent un flux d'échanges entre le ciel et la terre. La grandiose vision du dernier des patriarches n'était qu'un rêve. Elle n'autorise pas la traduction qui voudrait faire de toute pierre un signe de liaison entre la matière et l'esprit. Certes, les corrélations observées autour du symbole sont, pour moitié, des images exprimant une dynamique de la verticalité. Mais c'est presque toujours pour affirmer le triomphe de la pesanteur. Une image de pierre expose avant tout le poids du corps, la matérialité corporelle.

Si la psyché inspire aussi facilement l'idée - objectivement absurde - qu'une âme habite toute pierre, c'est parce qu'elle s'insurge contre l'inertie de la matière minérale qui lui rappelle le corps dans lequel elle se sent prisonnière. Pour l'imaginaire, toute pierre est tombée, tombe ou tombera. Elle est une manifestation concrète du mystère de l'incarnation. Le sixième scénario d'Anne-Marie éclairera notre proposition. L'ensemble de la cure de la jeune femme se développe autour d'un thème central : le rejet de son corps. Cette disposition ne repose sur aucune justification objective, mais elle constitue l'axe majeur de la problématique d'Anne-Marie. Pendant près de quarante minutes, la rêveuse s'inflige une expérience de la pesanteur qui ressemble à l'accablante tâche assignée à Sisyphe. Anne-Marie, cependant, sortira victorieuse de l'épreuve : la boule de pierre, qui représente sa propre pesanteur, ce corps qu'elle refuse, deviendra source d'énergie dès que la rêveuse aura accepté de la reconnaître. Nous réduisons ici le rêve aux phrases les plus significatives : « … Je vois une énorme boule de pierre qui descend le long d'une pente... moi, je suis devant et j'essaie de la retenir... elle m'entraîne de plus en plus... elle roule, dans un fracas terrible, elle me déborde sur le côté... à un moment, je suis projetée dans l'air par la vitesse... projetée dans un arbre... la boule arrive sur l'arbre, elle le déracine, le case en deux... je tombe à terre. Là, la boule a diminué de beaucoup... c'est devenu une pierre grande comme la moitié de moi... il faut que je la remonte... elle est très lourde.. on dirait qu'elle veut continuer à descendre... moi, j'ai envie de la faire monter... on roule ensemble, on descend vers un lac... on descend, descend, descend... elle s'est arrêtée. J'essaie de la remonter, mais à chaque pas elle devient plus grosse et plus lourde... on tombe séparément... moi, comme un parachutiste en chute libre... bras et jambes écartés... y a une pesanteur terrible... non ! Plutôt une densité de l'air terrible... […] La boule, maintenant, est dans mon ventre... elle est chaude... elle est vivante... elle est presque amicale... elle rentre en moi... elle s'installe au centre de gravité de mon corps et, du coup, elle n'a plus de poids... c'est une boule d'énergie qui envoie de l'énergie partout dans mon corps, tête, bras, jambes, tronc... je me sens en feu, presque invincible... »

La lutte engagée par Anne-Maie contre ses pesanteurs, la volonté d'élévation, ont la vanité des efforts contre nature. L'âme incarnée doit faire corps avec la chair. Ce n'est qu'à cette condition que l'harmonie entre le ciel et la terre sera réalisée. Une très belle séquence du neuvième scénario de Marie-Ange exprime la puissance de cette harmonie, vivifiante au point de ressusciter ce qui était mort :

« … Là, c'est un alignement de menhirs.. l'air est frais, je respire... je les touche de la main, un peu comme si c'était des êtres vivants... c'est une recherche... comme s'ils avaient quelque chose à me communiquer... à me faire comprendre... en fait, c'est comme s'ils recelaient un secret... un trésor... C'est très bizarre... c'est comme si je m'installais à l'intérieur d'un menhir... je suis dans la pierre, comme lorsqu'on voit une radio... comme si j'étais passée dans la pierre... je suis dedans... et là, j'ai l'impression de sentir à la fois la vie, la force de la terre et les énergies du soleil au-dessus... le mot qui vient c'est : « l'homme debout », un peu comme un trait d'union entre le ciel et la terre... maintenant je vois une fête autour d'un dolmen comme le symbole de la vie quotidienne... comme si, ce trait d'union, c'est dans la vie quotidienne que je veux le vivre... c'est un peu comme si j'étais devenue une pierre vivante... et là... je vois le visage de mon frère, mort, qui était comme de la pierre mais là il est vivant aussi...».

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La boule de pierre d'Anne-Marie devient source d'énergie dès que la rêveuse, descendue du ciel en chute libre, l'intègre dans son corps. Marie-Anne devient une pierre vivante, apte à ressusciter l'image du frère disparu, lorsque son corps se fond dans le menhir. La dynamique de l'imaginaire communique au rêveur le message silencieux de la pierre : l'âme n'atteint sa légèreté qu'en acceptant la pesanteur du corps. Chaque rêve accueillant la pierre résonne de l'écho de l'avertissement nietzschéen : "Ô Zarathoustra ! Toute pierre lancée doit retomber !"

En présence d'une évocation incidente de la pierre ou des cailloux, la traducteur d'images se satisfera d'avoir reconnu une simple allusion à la matérialité.

Lorsque l'image s'impose avec insistance dans le rêve, exprime une dialectique de la verticalité, dominée par le sens de la chute. Une vision de parachutiste tombant du ciel, en chute libre ou non, renouvelle toujours l'expérience de l'incarnation.

La pierre rêvée témoigne souvent d'une pétrification partielle de la psyché, provoquée par un deuil ou une agression. Les chocs précoces de la vie ont le pouvoir de tuer.

D'une façon ou de l'autre, l'imaginaire appelle la pierre quand il veut un plaidoyer en faveur de la reconnaissance des pesanteurs, quand il propose une conciliation entre le corps et l'âme. Il sait que la pierre dira, avec éloquence, la vanité des envols dans l'oubli des réalités corporelles.

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Mythologie :


Le Glossaire théosophique (1ère édition G.R.S. MEAD, Londres, 1892) d'Helena Petrovna Blavatsky propose une entrée relative à un caillou pas comme les autres :


CAILLOU BLANC. Le signe de l'initiation mentionné dans l'Apocalypse de St. Jean. Le mot prix s'y trouvait gravé, et il était le symbole de ce mot confié au néophyte qui, lors de son initiation, avait traversé avec succès toutes les épreuves des MYSTÈRES. C'était la puissante cornaline blanche des Rose-Croix médiévaux, qui la tenaient des Gnostiques. "celui qui vaincra, je donnerai à manger de la manne cachée (la connaissance occulte qui descend du ciel comme sagesse divine), et je lui donnerai un caillou blanc, et sur ce caillou est écrit un nom nouveau (le nom mystérieux de l'homme intérieur ou EGO du nouvel initié), que personne ne connaît hormis celui qui le reçoit". (Apocalypse, II. 17).

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Selon Louis Deroy, auteur de "Jeux de mots, causes de légendes" (paru in Revista Letras. 11. 10.5380/rel.v11i0.19907, nov. 2010), certains mythes seraient issus de jeux de mots, volontaires ou non :


Le mot préhellénique *kala "pierre" se trouve aussi, et cette fois dès l'époque minoenne, à l'origine d'un trait curieux du mythe de Cronos. Hésiode déjà, dans sa Théogonie (vers 459 et ss.), puis d'autres mythographes grecs racontent qu'à l'origine du monde, Cronos, craignant d'être un jour détrôné par un de ses enfants, se débarrassait de ceux-ci dès leur naissance en les avalant. Lassée de ce comportement (on le serait à moins), son épouse Rhéa .s'arrangea pour s'accoucher en cachette. Puis, une fois le nouveau-né (c'était Zeus) mis en sécurité, sa complice Gaïa plaça sur les genoux du père, selon le rite requis pour la reconnaissance, une grosse pierre entourée de langes, qui fut aussitôt avalée. Pourquoi donc le conteur a-t-il choisi, comme objet de substitution, quelque chose d'aussi différent d'un enfant que l'est une pierre? Et comment a-t-il pu faire admettre à ses auditeurs l'idée qu'un dieu, fut-il notoirement glouton, avait été trompé par un subterfuge aussi grossier? En réalité, compte tenu d'une mentalité encore primitive, l'erreur était rendue inévitable par l'intervention d'un autre élément: la puissance magique du mot. Il faut se placer dans l'état d'esprit d'hommes qui ne distinguent pas le nom de la chose désignée, pour qui le nom prononcé ou écrit est censé produire réellement la présence de la chose. Dans le cas de Cronos, le fait linguistique, jusqu'ici insoupçonné, qui a justifié la légende, c'est qu'à côté de *kala "pierre", il existait, en préhellénique, un autre mot *kala ou *kale signifiant "enfant". Ce second mot, il est permis de le restituer à partir de plusieurs survivances, qui n'ont pas, que je sache, été bien expliquées autrement :

  1. [graphie grecque] "embryon, fœtus, nouveau-né". Ce mot est conservé dans une glose d'Hésychius : [idem]

  2. [idem] "plantule, jeune, pousse, rejeton, bouton". mot n'est qu'une variante du précédent. Il comporte un suffixe issu du préhellénique *ke/-ki, qui exprimait la relation et a similitude. Le prototype préhellénique aurait été *kale-ke "analogue à un embryon, à un nouveau-né, à un enfant".

  3. [idem] "enfant", [id.] "Pet¡t enfant". Rappelons que le changement de timbre vocalique a > e a tendu à se produire, ans des conditions encore indéterminées, sur un vaste domaine Méditerranéen comprenant aussi bien les parlers asianiques. que la langue égéenne (y compris l'étrusque).

  4. [id.] "nouveau-né". Ce terme, rare et poétique, est déjà attesté dans l'Odyssée (XII,86) en parlant d'un chiot. C'est peut-être un allongement métrique à l'origine.

  5. Étrusque clan (pluriel, collectif ou indéfini clenar) "enfant, . Alfredo Trombetti a déjà suggéré de rapprocher clan de [id.] et de [id.] , mais l'étymologie indo-ëuropéenne qu'il a proposée, ne peut, à mon sens, être retenue.

  6. Probablement [id.] > [id.] comme second élément d'anthroponymes. C'est clair dans le nom d'Hercule. A l'origine, II faut partir de *Hera-kale "enfant de Hèra", c'est-à-dire fils de la Grande Déesse Terre. L'effet de l'accent d'intensité initial tendait, en préhellénique, à fermer et même à amuir les voyelles des syllabes internes : c'est ce qui a finalement provoqué une prononciation *Herekele, représentée par l'étrusque Hercle (et *Hercule, si l'u du latin Hercules n'est pas une anaptyxe). Mais, du côté grec , la syncope semble avoir été partiellement empêchée parce que les locuteurs avaient gardé le sentiment que le premier terme était le nom de la déesse Hèra. Quant au second terme *-kle, les Grecs l'ont rapproché, par étymologie populaire, des mots grecs [id.] "gloire", [id.] "vanter, célébrer", [id.] "illustre" etc Ainsi, [id.] devint, par la grâce de l'étymologie grecque, "celui qui fait la gloire d'Hèra". En réalité, on peut Croire qu'Hèra était bien primitivement la mère d'Hercule. Lors de sa descente rituelle aux enfers, c'est du lait de son sein que le héros, déjà barbu, mais toujours dieu-enfant de la triade divine, était censé tirer la revivification nécessaire à son retour parmi les vivants. Sur un miroir de Volterra du IIIe siècle avant J.-C, qui représente cet allaitement symbolique, l'inscription étrusque est significative : Hercle Unial clan" "Hercule fils de Uni", c'est-à-dire de la déesse qui, en Étrurie, correspond à la romaine Junon et donc à la grecque Hèra. Mais les Étrusques ne connaissaient plus Hèra sous ce nom et, par conséquent, le sens d'Hercle leur échappait : c'est ce qui explique l'adjonction d'Unial clan, qui nous fournit une indication d'autant plus précieuse qu'elle est une traduction involontaire. Le second terme préhellénique -*k!e, adapté parfois ent [id.] (par exemple t [id.], [id.] etc.) et plus souvent en *[id.] ([id.] , [id.] , etc.), s'est largement répandu dans l'anthroponymie grecque. Sans tenir compte de la valeur surprenante qu'on lui prêtait à l'époque classique, je crois pouvoir affirmer que, dans les noms les plus anciens, il avait la même signification et la même fonction que [id.] en grec moderne, que -son, -sohn, -zoon etc. dans les langues germaniques.

Cette exégèse apporte naturellement un nouvel appui è ''explication toute pareille du mythe de Deucalion et Pyrrha. On sait que Deucalion, le Noé grec, se retrouvant après le déluge en la seule compagnie de sa femme Pyrrha, repeupla, dit-on, 'a terre par un moyen inattendu que Zeus lui avait indiqué: en Jetant des pierres par-dessus son épaule. Toutes les pierres qu'il Jeta, devinrent des hommes, et toutes celles que jeta Pyrrha, S e changèrent en femmes. Il est probable que cette métamorphose a été justifiée, à l'origine, par un jeu entre le nom de la "pierre", en grec rarement [id.] et le nom de la "foule" ou du "peuple", en grec [id.] comme les anciens Grecs mêmes l'ont cru, apparemment dès l'époque homérique. A moins que quelque savant mythographe grec n'ait simplement rajeuni le procédé en substituant [id.] / [id.] à l'homonymie désormais imperceptible de *kala / 'kale. Peu importent, après tout, les mots sur lesquels on a joué : une fois connu le procédé, il suffisait d'un peu d'astuce pour multiplier les exemples.

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Littérature :


Jean Giono, dans le premier volet de La Trilogie de Pan : Colline (1930) brosse le portrait d'un personnage que l'on pourrait qualifier de minéral :


Janet a rébarbative allure, ce soir : Bleu de granit, arêtes dures du nez, narines translucides comme le rebord du silex. Un œil ouvert dans l’ombre luit d’une lueur de pierre ; un de ces éclats de roches qui sont cachés dans la graisse de la terre et contre lesquels le grand soc lisse qui tire droit, par habitude, se rompt soudain, et verse.

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Dans la nouvelle "L'Echappé" , extraite du recueil La Ronde et autres faits-divers (Éditions Gallimard, 1982), J. M. G. Le Clézio évoque une pierre magique :


Les arbustes sont rares. Il y a de longs murs de pierres sèches qui vont jusqu'à l'autre bout du plateau, sans raison. Tayar les suit avec peine. La soif et la faim sont des douleurs lancinantes. Elles jaillissent des pierres tranchantes, du ciel, des arbustes. Tayar s'assoir un instant sur ses talons, pour se reposer, et ses mains touchent les cailloux déjà froids.

Maintenant, il se souvient. C'est son oncle Raïs qui le lui a dit la première fois, mais il le savait déjà, comme si c'était quelque chose qu'il avait appris le jour de sa naissance. Avec hâte, il cherche parmi les pierres, jusqu'à ce qu'il trouve une grande pierre triangulaire. C'est celle-là, celle qu'il a entendu nommer autrefois, la « pierre de la faim ». Son oncle Raïs lui en parlait, il se souvient, il lui montrait la pierre et il riait, et il savait que ça n'était pas une pierre comme les autres., C'était une pierre qui avait un secret, un esprit, quand on la rencontrait sur son chemin.

Tayar défait les boutons de sa chemise-veste réglementaire, et il appuie la pointe de la pierre sur sa peau, là où palpite le nœud de la douleur, tout près de son cœur. Le froid de la pierre le fait tressaillir, mais il serre très fort la pierre entre ses bras, et il appuie. La pointe de la pierre entre dans sa chair. Il serre la pierre si fort qu'il gémit de douleur. Mais ses bras ne s'occupent pas de la douleur.

La pierre est tellement serrée contre son diaphragme que Tayar peut à peine respirer. Il se lève, plié en deux, alourdi, et il recommence à marcher sur le plateau calcaire. Maintenant la pierre l'aide, elle lui donne sa force froide, elle efface la faim et la douleur.

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*

Pascal Lainé, dans son roman Trois petits meurtres... et puis s'en va (Éditions Ramsay, 1985) invente le personnage d'une vieille Anglaise excentrique qui aide le policier Robert Lester et collectionne les cailloux :


" - Quelle splendide journée ! répéta-t-elle avec enthousiasme. J'ai passé l'après-midi dans une grotte, pas loin d'ici. Un endroit magnifique.

- Il faisait beau, là-dedans aussi ? ne put s'empêcher de blaguer Lester.

L'Anglaise le considéra en plissant légèrement les yeux, l'air soupçonneux, et soupesant tout ensemble le bonhomme et la plaisanterie.

Puis elle reprit son sac de toile, et elle en sortit plusieurs grosses pierres aux formes bizarres.

- Je "collecte" les cailloux, dit-elle en souriant. Je vais les "emmener" chez moi, dans le Sussex.

Le policier examina les futurs hôtes de la vieille personne avec un intérêt poli, puis il se présenta.

[...]

Lester n'avait pas l'habitude des envolées, même purement oratoires : il buta du pied contre une pierre et manqua s'étaler sur le ventre.

Le prêtre lui saisit vivement le bras, et le retint :

- Ce caillou vous a épargné un blasphème, dit-il dans un imperceptible sourire.

Il parut lâcher à regret le policier, qui frotta son avant-bras endolori.

- C'est le vin de messe qui vous donne cette santé ? maugréa ce dernier.

Le R. P. Verrier désigna du bras les collines qu'on apercevait à travers les arbres, de l'autre côté de l'allée :

- Je fais encore à bicyclette la tournée de mes fidèles. Et les voies de la Providence, par ici, ne sont pas toujours goudronnées.

[...]

Elle retourna payer le chauffeur, qui proposa de porter les valises dans la maison, mais Mrs. Dupont répondit qu'elle se débrouillerait très bien toute seule.

- Elles sont sacrément lourdes, observa l'homme... Sans vouloir être indiscret, ma petite dame, qu'est-ce que vous avez fourré là-dedans ?

- Des pierres !

Le chauffeur considéra la vieille originale d'un regard de franche réprobation, avant de regagner sa voiture en haussant les épaules.

Mrs. Dupont ouvrit la porte et traîna sa valise de cailloux jusque auprès de la grande vitrine du salon, où s'alignaient déjà des centaines de spécimens, cristaux de roche, améthystes, fossiles de toutes sortes, soigneusement étiquetés et classés."

*

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Dans le roman policier Dans les Vents de Neptune (Éditions Viviane Hamy, 2004), Fred Vargas revisite certains contes :


"- C'est cela Lieutenant. Un petit caillou patient et blanc dans la forêt profonde. Qui nous mènera droit au terrain des opérations, aussi aisément que ceux du Petit Poucet à la maison de l'Ogre.

- Ce n'est pas tout à fait cela, rectifia Mordent, spécialiste des contes et légendes et si possible des récits d'épouvante. Les petits cailloux servaient à retrouver la maison des parents, pas celle de l'Ogre.

- Sûrement, Mordent. Mais nous, nous cherchons l'Ogre. Nous procédons donc autrement . De toutes façon, les six garçons ont bien échoué dans la maison de l'Ogre, non ?

- Les sept garçons, dit Mordent en levant les doigts. Mais s'ils ont trouvé l'Ogre, c'est précisément parce qu'ils avaient perdu les cailloux.

- Eh bien nous, on les recherche.

- Si les cailloux existent, insista Retancourt.

- Bien sûr.

- Et s'ils n'existent pas ?

- Mais si, Retancourt.

[...]

- Fais comme tu l'entends. Cherche-lui son caillou jusqu'au bout du monde, mais ne me demande pas de te suivre en rampant sous les tables.

Retancourt surprit une révolte inattendue dans les yeux du brigadier.

- Je chercherai ce caillou, dit le jeune homme en se levant maladroitement. Et pas parce que toute la Brigade me prend pour un ahuri, toi comme les autres. Mais pas lui. Lui regarde, lui sait. Lui cherche.

Estalère reprit son souffle.

- Il cherche un caillou, dit Retancourt.

- Parce qu'il y a des trucs, dans les cailloux, il y a des couleurs, il y a des dessins, il y a des petites histoires. Et tu ne les vois pas, Violette, et tu ne vois rien."

*

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Asa Larsson dans son roman policier intitulé Le Sang versé (Édition originale, 2004 ; Éditions Albin Michel, 2014 pour la traduction française) évoque elle aussi les ramasseurs, ou plutôt ramasseuses, de cailloux :


La décoration était exclusivement composée d'un grand nombre de cailloux alignés sur les rebords des fenêtres. Certains, ronds et lisses, semblaient doux au toucher, d'autres, fragments de roches noires, incrustés d'yeux de grenat rouges et scintillants, paraissaient rugueux. Posés sur les minéraux, des bouts de bois aux formes étrangement torturées parachevaient le décor. [...]

Elle se demanda si c'était Stensson qui avait ramassé les cailloux et les bois flottés. En général, c'était plutôt un truc de femme de partir se promener sur la plage et de remplir les poches de sa veste de laine jusqu'à les déformer.

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