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La Truie




Étymologie :


  • TRUIE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1. 1155 « sorte de catapulte » (Wace, Brut, 3035 ds T.-L.) ; 2. ca 1180 « femelle du porc » (Marie de France, Fables, 21, 3, ibid.) ; 3. a) 1558 désigne un poisson (Guill. Morelius, Verb. latin. Comment. ds Gdf. Compl.) ; b) 1611 truye de mer (Cotgr.). Du b. lat. troja (viiie s. Gl. de Cassel, éd. P. Marchot, 80: troia : suu), d'orig. obsc. Il était tentant de rapprocher le mot de porcus Trojanus relevé une seule fois chez Martial, Saturn., III, 13, 13, formé d'apr. equus trojanus, pour désigner un porc farci, bourré de petit gibier (porcum Trojanum mensis inferant, quem illi ideo sic vocabant quasi aliis inclusis animalibus gravidum ut ille Trojanus equus gravidus armatis fuit) ; de porcus Trojanus, aurait été tiré [porcus de] Troja ; cependant, il s'agit plus vraisemblablement d'un mot de création plaisante que de l'appellation habituelle d'un mets, Ern.-Meillet ; FEW t. 13, 2, p. 314 b. L'examen de l'aire géogr. de truie(dom. gallo-rom. ; Italie du Nord ; de la Catalogne et Sicile), ainsi que la forme troga, relevée par Du Cange, s.v. troga, suggèrent à G. Breuer, ds Z. fr. Spr. Lit. t. 87, 1977, p. 170, un étymon gaul. *trogja, formé du rad. *trŏgh « tirer » (dont sont issus, notamment en a. et m. irl. des termes signifiant « fertile, productif ») et du suff. gaul. -jā .


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Zoologie :


Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt s'intéresse à la communication chez les animaux et chez les plantes :


Chez le porc, c'est le mâle qui produit, par des glandes submaxillaires, des substances odorantes agissant sur la femelle en état d'œstrus. Les truies restent alors immobiles et ne réagissent pas à une pression ou à un choc sur leur arrière-train. Ce comportement des femelles semble avoir été connu depuis fort longtemps par les éleveurs qui notaient qu'une truie non réceptive s'enfuyait lorsqu'on lui appuyait avec vigueur sur l'arrière-train, alors qu'elle restait immobile si elle se trouvait en état d'œstrus. L'odeur en question, bien perçue par l'homme, est la fameuse « odeur de porc » qui condamne les voisins d'une porcherie industrielle à des « embaumements » permanents et particulièrement tenaces.

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Croyances populaires :


Paul Sébillot, auteur de Additions aux Coutumes, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne (Éditeur Lafolye, janv. 1892) relève des croyances liées aux cycles de la vie et de la nature :


Une truie menée au verrat dans le décours aura des porcs.

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Symbolisme :

Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant auteurs du Dictionnaire des symboles (Éditions Robert Laffont, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),


"Si le porc est généralement considéré comme le plus impur des animaux, la truie, en revanche, a été déifiée comme un symbole de fécondité et d'abondance ; ce en quoi elle rivalise avec la vache. Ainsi les Égyptiens représentaient la grande déesse Nout, figurée par la voûte céleste, et partenaire femelle de la hiérogamie élémentaire Terre-Ciel, tantôt sous la forme d'une vache, tantôt sous la forme d'une truie couchée dans les cieux et allaitant ses porcelets, figurés par les étoiles. Divinité sélénique, elle est la mère de tous les astres qu'elle avale et recrache alternativement, selon qu'ils sont diurnes ou nocturnes, pour les laisser voyager dans le ciel. Ainsi, elle avale les étoiles à l'aube et les restitue au crépuscule, tandis qu'elle procède de façon contraire avec son fils le Soleil. Elle est la victime de prédilection offerte à Déméter, la déesse maternelle de la terre. La truie symbolise le principe féminin, réduit à son seul rôle de reproduction."

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Symbolisme celte :

Dans L'Oracle des Druides, Commetn utiliser les animaux sacrés de la tradition druidique, écrit par Philip et Stephanie Carr-Gomm, on apprend que trois mots-clefs sont associés à la Truie (Muc) :


Générosité - Nourriture - Découverte.


La carte représente une truie et ses porcelets, devant des champs de blé et d'orge, céréales offertes au pays de Galles par Henwen, la Vieille Truie Blanche. La colline irlandaise de Tara s'élève à l'horizon. On la nommait autrefois Muc Inis, l'île du Cochon, d'après la forme que lui avaient donnée les Thuata De Danann. Du laiteron des champs pousse sur la droite au premier plan ("chardon de la truie" en anglais) et sur la gauche de la belladone que les porcs peuvent, dit-on, manger sans s'empoisonner. Des faines, dont les porcs sont friands, parsèment le sol.

Les nombreux porcelets que la truie met bas à chaque portée symbolisent l'abondance et la fertilité. Cette carte vous appelle peut-être à vous montrer généreux. Grâce à l'amour de la déesse pour toute ses créatures, vous saurez donner sans compter car elle vous fortifiera et vous nourrira en retour. Acceptez la générosité de la nature et son abondance. Sachez que toute vie se renouvelle et que vous n'en serez jamais séparé. Célébrez la vie,n appréciez les beautés et les plaisirs qu'elle offre ; la déesse est généreuse, donnant à tous et régénérant constamment les choses et les êtres.


Renversée, la carte indique que l'image que vous avez de vous-même est peut-être erronée. Selon un vieux dicton gaélique : "Tu croyais chevaucher la truie, mais tu pataugeais dans la boue avec elle.3 La truie peut faire preuve d'avidité et d'"ignorance crasse." Peut-être devez-vous vous sensibiliser à ce qui est invisible et non tout mise sur le physique et l'apparence. Sans la sagesse, la beauté perd son attrait. Selon une autre maxime gaélique, "une jolie femme sans intelligence est comme un bijou d'or au groin d'un porc.3 Le porc, dont les poils servent depuis des siècles à fabriquer les pinceaux pour les artistes et dont le cuir est d'une exceptionnelle douceur, prouve que l'apparence est trompeuse. Ne vous fiez pas aux apparences ; jugez les gens et les choses selon leurs véritables mérites.

La Truie dans la Tradition

Le cochon que j'ai tué l'an passé cette année a mis bas

Énigme traditionnelle

Les dictons, proverbes et énigmes nous ont transmis une grande partie de la sagesse traditionnelle. Les bardes utilisaient en particulier les énigmes pour aiguiser l'esprit de leur public et transmettre des idées de façon humoristique. L'énigme mentionnée ci-dessus se réfère à un arbre taillé à la base qui donne de nouvelles pousses au printemps. Mais derrière l'évidence de la réponse, nous touchons à la signification symbolique et totémique du porc dans la tradition druidique. Cet animal, consacré à la déesse, représente la divinité nourricière et généreuse. On dit souvent dans les contes anciens que c'est un animal magique, qui renaît autant de fois qu'on le tue. Les légendes irlandaises racontent que de grands chaudrons remplis de porc bouilli ou rôti sont toujours prêts dans les demeures des dieux et que des porcs renaissant après chaque abattage en fournissent la viande. Dagda, le dieu-père, possédait dans son Sidh (ou tertre aux fées), des quantités de boissons inépuisables, trois arbres portant continuellement des fruits et un cochon qui ne mourrait jamais et fournissait la nourriture.


Le Porc nourricier

Le porc était pour les Celtes un don envoyé des Dieux ou de la Déesse pour nourrir les hommes. Les Celtes accordaient une grande importance à l'élevage des porcs, ce que note l'écrivain classique Diodore de Sicile : "Le grand nombre de porcs dans leurs troupeaux leur fournit d'énormes quantités de viande salée." Les Celtes laissaient les porcs fourrager dans les forêts pour y empêcher la végétation et les buissons indésirables de croître. Puis au printemps et en automne, ils les conduisaient vers les champs afin qu'ils remuent et fertilisent la terre.

Le porc, animal important dans la vie quotidienne des Celtes, était honoré et respecté. Il faisait partie de certains rituels. On a retrouvé nombre de porcs enterrés dans un sanctuaire de la fin de l'âge de fer à Hayling Island, dans le Hampshire. A South Cadbury, dans le Somerset, un sanctuaire est relié à une rangée d'ossements de jeunes porcs, veaux et agneaux. Dans le site funéraire de Skeleton Green, dans le Hertfordshire, on a retrouvé enterrés ensemble des porcs et des hommes - ce qui est aussi le cas d'un site mis au jour en France - ainsi que des femmes avec des oiseaux. Dans le temple romano-celtique de Hockwold dans le Norfolk, les quatre colonnes soutenant le toit du sanctuaire intérieur reposent sur des ossements de porcs et d'oiseaux - rappelant peut-être l'association du porc au sexe masculin, et des oiseaux au sexe féminin. Un jeune porc fur aussi enterré rituellement dans une tombe du grand sanctuaire druidique de Chartres, en France, tout comme un porc avec un corbeau à Winklebury, dans le Hampshire.

Toutes ces excavations, utilisées lors des rituels d'action de grâce, symbolisaient de Monde des Profondeurs. Le porc, source essentielle de nourriture et élément indispensable des banquets celtiques de ce monde et de l'au-delà, a été retrouvé enterré entier dans des fosses de France et de Grande-Bretagne. On le destinait sans doute à nourrir les âmes lors de leur voyage dans le Monde des Profondeurs.


La Truie ancestrale

Dans certaines régions de Haute-Écosse, on appelle la truie nourricière Sean-mhair - grand-mère. On nommait autrefois les druides "porcelets", et certaines représentations montrent la déesse sous la forme d'une truie, deux faits prouvant peut-être que la déesse jouait à l'origine un rôle essentiel dans la religion druidique. Les trois puissants troupeaux de porcs d'Angleterre, l'un des premiers poèmes écossais, raconte que Henwen mis bas un louveteau, un aigle, une abeille, un chaton et un grain de blé. On dit que cette truie avait découvert la sagesse en mangeant des faines tombées d'un hêtre, arbre sacré du druidisme symbolisant la science et la tradition. Dans la mythologie écossaise, on trouve aussi Ceridwen "déesse des porcs et de l'orge", chargée d'initier Gwion Bach et de le métamorphoser en barde enchanteur nommé Taliesin. Elle prend parfois la forme d'une truie. Ses néophytes se nomment "porcelets", ses adeptes "pourceaux", son druide "sanglier" ou "sanglier des arbres" et tous ensemble forment le "troupeau de porcs".

Le porc est omnivore : il mange absolument tout ce qu'il trouve. Mais son manque de discernement est compensé par sa capacité à trouver, cachés dans le sol, des aliments très recherchés. On utilise des porcs depuis des siècles en Grande-Bretagne et en Europe pour découvrir les truffes et autres champignons à la chair délicate.

La découverte des trésors enterrés dans la terre est l'une des raisons pour lesquelles le porc est si important dans le druidisme. Sangliers et truies sont consacrés à la déesse, le premier représentant la force brute qui ôte la vie, la deuxième l'énergie qui donne la vie et nourrit. Pour bien comprendre le rôle totémique de ces animaux, nous devons travailler à la fois avec la truie et le sanglier et étudier l'un à la lumière de l'autre."

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Littérature :


Dans La Citrouille a besoin de vous (Anatolia Editions, 1994 pour la traduction française) P. G. Wodehouse dépeint un Lord anglais particulièrement attaché à la truie de son domaine :


Le 20 juillet, l'Impératrice de Blandings, qui d'ordinaire accueillait toujours avec plaisir, pour ne pas dire avec un enthousiasme délirant, sa pâtée quotidienne, refusa pour la première fois de sa vie toute espèce de nourriture. Et dans la matinée du 21 juillet, le vétérinaire appelé d'urgence pour diagnostiquer et soigner cet ascétisme inaccoutumé, fut bien obligé d'avouer à lord Emsworth que le mal dépassait compétences professionnelles;

Avant d'aller plus loin, assurons-nous que nous possédons le calendrier des événements sur le bout du doigt :

18 juillet : Orgie anniversaire de Cyril Wellbeloved.

19 juillet : Incarcération du susdit.

20 juillet : Truie anorexique.

21 juillet : Vétérinaire dépassé.

Bien.

Les propos du vétérinaire firent à lord Emsworth l'effet d'un cataclysme.

[...]

Son euphorie fut de courte durée; Enfin libre de se concentrer sur les problèmes vraiment graves de l'existence, il se rembrunit et se renfrogna. Il sentit s'abattre à nouveau sur lui le nuage qui avait oppressé son âme avant qu'on ne vînt le déranger avec cette histoire de Heacham, d'Angela et de Belford. Chacun des pas qui le rapprochait de l'enclos où résidait l'égrotante Impératrice de Blandings lui paraissait plus pénible que le dernier. Il atteignit enfin l'endroit, et, après s'être appuyé contre la clôture, autour de laquelle sa longue silhouette dégingandée se mit à pendre comme une vieille défroque, il scruta d'un œil morose la vaste étendue de truie qui se trouvait confinée dans l'enclos.

Car en dépit de la diète qu'elle observait depuis quelques jours, l'Impératrice de Blandings était fort loin d'être un animal sous-alimenté et rachitique. Elle ressemblait à un dirigeable agrémenté de deux oreilles et d'une queue, et elle était aussi circulaire que peut l'être un cochon sans aller jusqu'à l'explosion. Ce qui n'empêchait pas lord Emsworth de se lamenter intérieurement en la contemplant et de refuser toute consolation. Dire qu'il aurait suffit qu'elle engloutît encore quelques solides repas pour être sûr que pas un seul porc du Shropshire n'oserait relever la tête en sa présence. Et maintenant, précisément parce qu'elle allait être privée de ces quelques calories supplémentaires, cette bête suprême risquait fort d'être reléguée à la médiocre obscurité d'une simple "Mention honorable". Ah, c'était dut, c'était très dur !

[...]

"Dans ce cas, mon cher garçon, peut-être allez-vous pouvoir me donner un conseil. Cela fait deux jours que ma truie de concours, l'Impératrice de Blandings, décline toute nourriture Or la foire agricole doit avoir lieu mercredi en huit, et je suis fou d'inquiétude."

James Belford fronça les sourcils d'un air pensif.

"Qu'en dit votre porcher ?

- Mon porcher est en prison depuis deux jours. Deux jours !" Pour la première fois il fut frappé par cette coïncidence. "Vous ne pensez quand même pas que son incarcération a un rapport avec la perte d'appétit de l'animal ?

- Bien sûr que si. Je vous parie qu'il lui manque et qu'elle se languit de lui."

Lord Emsworth était stupéfait il ne connaissait pas intimement George Cyril Wellbeloved, mais à le voir, il ne l'aurait jamais cru capable d'exercer un si fatal attrait.

"Elle ne se console sans doute pas de ne plus entendre son appel.

- Son appel ?

- Il a sûrement un cri spécial lorsqu'il l'appelle pour son repas. L'une des premières choses qu'on apprend dans une ferme, c'est la façon d'appeler les porcs. Ce sont des animaux très sensibles. Qu'on oublie de les appeler et ils préféreront se laisser mourir de faim plutôt que de passer à table. Qu'on les appelle par le cri voulu, et ils vous suivront jusqu'au bout du monde en salivant de plaisir.

- Dieu me bénisse ! Ca alors !

- Je vous assure que c'est vrai. Ces appels varient dans les différents Etats d'Amérique. Dans le Wisconsin, par exemple, les mots "Pouic, pouic, pouic" vous mèneront à bon porc, si bous me passer le jeu de mots. Dans l'Illinois, je crois qu'on crie "Brou, brou, brou". Alors que dans l'Iowa, on préfère l'expression "Kuss, kuss, kuss". Si nous passons ensuite dans le Minnesota, nous trouvons la formule "Koche, jkoche, koche" ou encore "Coin, coin, coin", alors qu'à Milwaukee, où une si grande partie de la population est d'origine allemande, on entend encore le bon vieux cri teuton : "Komm Schweine, Komm Schweine." Eh oui, il y a toutes sortes d'appels, depuis le "Frou, frou, frou" du Massachussetts jusqu'au "Laïtou, laïtou, laïtou" de l'Ohio, sans parler de divers petits trucs régionaux, comme par exemple de frapper sur des boîtes de conserve avec une hache ou d'agiter une valise dans laquelle on a mis une poignée de cailloux. J'ai connu un type dans le Nebraska qui appelait ses cochons en frappant sur le bord de l'auge avec sa jambe de bois;

- Que me dites-vous là ?

- Mais il s'est passé une chose épouvantable. un soir, en entendant un pivert en haut d'un arbre, les cochons se sont mis en devoir d'y grimper, et quand le type est arrivé, il les a tous trouvés gisant en rond autour de l'arbre : ils s'étaient cassé le cou.

- Ce n'est pas le moment de plaisanter, objecta lord Emsworth douloureusement frappé.

- Je ne plaisante pas. C'est un fait avéré. Vous n'avez qu'à demander à tous les habitants du Nebraska."

Lord Emsworth porta la main à son front enfiévré.

"Mais s'il y a une telle variété de cris, nous n'avons aucun moyen de savoir lequel Wellbeloved...

- Ha, ha ! interrompit James Belford. Attendez. Je ne vous ai pas tout dit. il y a un maître mot.

- Un quoi ?

- La plupart des gens l'ignorent, mais je le tiens de la bouche même de Fred Patzel, le champion des appeleurs de porcs des Etats de l'Ouest. Quel homme, ce Fred ! Je l'ai vu faire sauter des côtelettes de proc hors de leur assiette. Il m'a assuré que tous les porcs, qu'ils aient été dressés à répondre au "Brou-brou" de l'Illinois ou au "Coin-coin" du Minnesota, réagiront instantanément à ce magique assemblage de syllabes. C'est chez les cochons 'équivalent de la poignée de main maçonnique chez nous autres hommes. Criez donc "Coin-coin" dans le Minnesota et "Brou-brou dans l'Illinois, et l'animal se contentera de hausser les sourcils en vous dévisageant froidement. Mais rendez-vous dans l'un ou l'autre Etat et appelez "Co-cho-o-o-nou !"..."

L'expression qui se peignit sur e visage de lord Emsworth était celle d'un naufragé apercevant une bouée de sauvetage.

- Est-ce là le maître mot dont vous me parliez ?

- C'est lui.

- Co... !

- ...cho-o-o-nou !

- Co-cho-o-o-nou !

- Non, vous n'avez pas tout à fait saisi. La première syllabe doit être courte et détachée, la deuxième prolongée et montant jusqu'au fausset, aigu mais bien juste.

- Co-cho-o-o-nou !

- Co-cho-o-o-nou !

- Co-cho-o-o-nou ! iodla lors Emsworth rejetant la tête en arrière et donnant la pleine mesure d'une voix de ténor aiguë et perçante qui congela le sang de quatre-vingt-trois autres conservateurs chevronnés déjeunant à proximité, lesquels se transformèrent illico en vivantes incarnations de l'inquiétude et de la réprobation.

*

*

Pierre Magnan, auteur d'une série de romans policiers dont le héros récurrent est le commissaire Laviolette fait le portrait d'une truie particulièrement douée pour déceler les truffes dans Le Commissaire dans la truffière, truie dont on apprend le décès dans Le Parme convient à Laviolette (Denoël, 2000) :


"Alors je me suis rué vers la maison obscure. Ce n'était pas cela que je cherchais ! J'allais vers les communs, l'étable, le hangar aux machines. un troupeau ensommeillé sonnaillait et j'entendais au fond d'une soue un ronflement de bonheur, de bien-être, de sécurité. Cette soue n'était défendue que par une clenche de bois qui fermait une porte rudimentaire. Je n'ai pas réfléchi ! J'ai arraché la clenche, je me suis trouvé devant une masse de chair rose qui éclairait l'obscurité. J'ai fait en un clin d’œil ce me on grand-père m'avait appris.

- Vous avez tué Roseline ! clama Laviolette.

- Elle sentait la truffe à plein nez ! remarqua le peintre.

- Vous avez tué Roseline ! clama encore Laviolette sur le même ton.

Il s'était mis debout. Il considérait Castor avec terreur, avec répulsion.

- Vous avez osé tuer Roseline !

- Comment savez-vous qu'elle avait un nom ? Pollux ne l'a prononcé qu'une seule fois devant moi.

- A deux ans, elle était capable de caver cinq kilos de truffes en une seule vesprée ! Capable de découvrir un assassin parmi soixante innocents ! Et vous avez tué Roseline !

- A vous entendre, on dirait presque que je suis moi aussi un assassin ?

- Oui ! Et sans doute plus encore que vous ne l'imaginez ! Vous ne lisez jamais aucun journal ? Vous ne branchez jamais votre télévision ?

- Jamais, par la grâce de Dieu.

Castor considérait les yeux exorbités de son visiteur avec la plus vive surprise.

- C'était une vengeance légitime ! Elle avait enlevé mon amour !

- Si je n'avais pas peur qu'on me prenne pour un fou, je vous passerais les menottes, dit Laviolette calmement.

- Quoi ? Pour avoir égorgé une truie ? C'est du dernier loufoque !

- "La prunelle de ses yeux, dit Laviolette. Personne n'a le droit !

Il était allé vers la porte pendant qu'il parlait. Il l'ouvrit posément. Il revint vers Castor au comble de l'étonnement, il lui arracha des mains les deux lettres accusatrices. Sans un mot il lui tourna le dos.

Il était bouleversé comme par la mort d'un proche. Il s'engagea dans le long corridor, il ouvrit sur la rue le portail ancien? Il sortit.

[...]

Son premier regard fut pour la soue, à côté du poulailler où une vingtaine de poules commentaient l'intrusion de cet étranger avec véhémence.

C'était une soue bien aérée, où le soleil passait entre les claies de la barrière et qu'une porte maintenant béante défendait jadis contre le vent coulis de Lure. Laviolette se baissa pour pénétrer dans l'antre. La paille n'en avait plus été changée. Elle était compacte, souillée, agglomérée en un amas sinistre. Laviolette se pencha pour examiner le sol en béton. De grandes traces sèches éclaboussaient jusqu'aux planches des claies, jusqu'à la cuve de la mangeoire. Un carnage avait eu lieu ici.

L'amant de Lemda n'avait donc pas menti. Il était bien venu, voici trois ans, un soir de Noël, pour assassiner Roseline.

Une secrète amitié avait autrefois lié cette énorme truie championne de trufficulture et Laviolette à qui elle avait été d'un grand secours pour découvrir un coupable.

Et voici que Roseline de nouveau avait été au centre d'un drame mais cette fois, c'était elle qui en avait été la première victime.

[...]

- Vous êtes allé jusqu'à la soue de Roseline ? Vous avez compris qu'elle était morte ?

- Je le savais déjà. Je vous en fais toutes mes condoléances.

- Nous l'avons enterrée au pied de notre meilleur chêne truffier. Personne n'a compris. on nous disait : "Que vous êtes couillon ! Vous perdez au moins deux cents kilos de viande. Des jambons comme ça, çà n'existe plus depuis trente ans ! Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Elle n'est pas morte de vieillesse, encore moins de maladie ! Elle est morte saignée, juste comme il fallait. Alors... vous pensez !" Le monde nous croyait comme il est, qu'est-ce que vous voulez faire ?

[...]

Et alors, mon pauvre monsieur, c'est cette nuit-là, juste, qu'ils nous ont tué Roseline, pauvre de nôtres ! Elle avait vingt-cinq ans ! Elle était presque aveugle. On la soignait comme notre fille. L'hiver on la sortait au soleil, j'allais me promener avec elle jusqu'au bois du Déffends ! Et des fois, quand elle se sentait, je la menais aux rabasses. Elle avait encore le cœur d'en caver une ou deux et après elle me regardait, comme un père, comme un ami ! Qu'est-ce qu'elle a pu penser quand elle a vu s'approcher le couteau ? Ah, du travail bien fait monsieur ! Du travail de spécialiste ! Juste un trou précis, juste un coup de lame, on aurait dit que la peau s'était refermée ! Elle s'est traînée dans sa soue pendant peut-être une heure. Elle devait nous chercher, nous appeler ! Et nous, nous étions la messe de minuit !

Il trancha l'air d'un geste rageur.

- Jamais plus, monsieur, jamais plus je ne suis retourné à la messe de minuit ! Nous la gardions comme une relique ! Vous vous rappelez, monsieur, vous qui l'avez connue, comme elle était intelligente ? L'enfant nous en parlait dans toutes ses lettres : "Et Roseline ? Vous la soignez bien au moins ?" Alors on rentre. Alors Francine me dit : "Espère un peu ! C'est Noël pour tout le monde. Je vais faire une crêpe à Roseline. Elle adore ça !" Et la voilà parie la Francine avec sa crêpe encore dans la poêle et qui appelle Roseline en allant vers la soue. Alors monsieur j'ai entendu le plus terrible cri que j'aie entendu de ma vie. Je me jette en avant. Je trouve Francine agenouillée dans le sang rutilant sur les mains sur ses bellures partout et Roseline les pattes en l'air, Roseline morte !"

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