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Le Matsutake



Étymologie :


  • TRICHO-, élément formant

Élém. tiré du gr. θ ρ ι ́ ξ, τ ρ ι χ ο ́ ς « poil, cheveu », entrant dans la constr. de termes sc. dont le signifié a un rapport avec les poils, les cheveux et, en sc. nat., avec les cils.

Autres noms : Tricholoma nauseosum ; Tricholoma matsutake ; Champignons des pins.

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Mycologie :


Selon Long Litt Woon, auteure de La Femme et les champignons, Une histoire de deuil et de retour à la vie (Édition originale, 2017 ; traduction française Gaïa Éditions, 2018),


"Le meilleur exemple de différences qui peuvent exister dans les préférences olfactives nationales, c'est cette histoire autour du champignon des pins ou matsutake, Tricholoma matsutake. Il fait partie des champignons les plus chers, et son prix augmente chaque année puisqu'il est de plus en plus difficile à trouver au Japon. Cette espèce a été décrite pour la première fois à la suite d'une découverte faite en 1905 dans le Nordmarka par le Norvégien Axel Blytt. Il devait penser que l'odeur de ce champignon est nauséabonde, car il choisit l'épithète nauseoa. David Arora, un célèbre mycologue américain, a été plus indulgent et a estimé que le matsutake sent "les chaussettes sales", tandis que les Japonais sont d'un tout autre avis. En 1925, S. Ito et S. Imai l'ont décrit et lui ont prêté l'épithète matsutake, "champignon des pins" en japonais. Il est censé avoir une odeur "divine", ce qui apparaît dans le vieil adage japonais : "Pour le parfum, choisissez le matsutake". En 1999, il a été établi, presque comme dans un thriller mycologique, que Tricholoma matsutake au Japon et Tricholoma nauseosum en Norvège n'étaient qu'une seule et même espèce. La coutume scientifique et les règles de nomenclature impliquent que c'est le principe du premier arrivé" qui prévaut. Le premier à avoir décrit le champignon a le privilège de le baptiser. Selon cette tradition, il devait donc s'appeler Tricholoma nauseosum."

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Anna Tsing, dans son article intitulé « Résurgence holocénique contre plantation anthropocénique », (paru dans la revue Multitudes, vol. 72, n°3, 2018, pp. 77-85) considère le matsumake comme un champignon agriculteur :

Le matsutake et la résurgence de l’Holocène

Ma récente recherche a suivi des voies écologiques et commerciales où est impliqué un groupe de champignons mycorhiziens apparentés appelés matsutake. Le matsutake a une odeur puissante très caractéristique. Ce parfum a contribué à en faire un régal gastronomique au Japon. Les prix ont augmenté de façon spectaculaire dans les années 1970 et 1980, alors que l’offre intérieure de matsutake des forêts japonaises a fortement diminué. Et on n’est jamais vraiment parvenu à cultiver le matsutake avec succès. Mais il s’est avéré que des forêts de l’hémisphère nord présentent des écologies favorables à sa croissance, et depuis les années 1980 de puissants flux commerciaux importent au Japon des champignons de forêts d’Amérique du Nord, de Chine, d’Afrique du Nord, d’Europe nordique et d’autres régions.

Le matsutake se développe dans des forêts au pouvoir nutritionnel faible ; là où des sols sont riches, d’autres champignons s’imposent et les déplacent. En Asie de l’Est, ils sont associés aux forêts paysannes où ils dépendent des perturbations générées par les agriculteurs. Ceux-ci percent et dégagent la forêt d’une manière qui avantage le matsutake par rapport à d’autres champignons concurrents. Comment le matsutake rend-il possible la résurgence de l’Holocène ? (…)

L’agriculture dépend des forêts – et les forêts exigent la résilience de la résurgence. Le matsutake nous montre les débuts sans cesse répétés et la logique de ce processus. Les pins établissent un partenariat avec les matsutake, et colonisent le sol minéral mis à nu par les pratiques paysannes. Le matsutake rend les nutriments disponibles pour le pin à partir des sols minéraux; les pins donnent aux matsutake leur dose de glucides. Comme les pins et les matsutake réhabilitent les terres nues en forêts, les arbres feuillus suivent le mouvement et s’installent. Si les agriculteurs ne continuaient pas à perturber la région, les pins finiraient par disparaître. Mais l’exploitation continue par les agriculteurs relance en permanence le besoin d’un renouvellement de la forêt. Les pins et les matsutake se rendent mutuellement service. C’est l’acte d’ouverture de la résurgence de l’Holocène. Si l’on peut dire que les paysages agricoles japonais sont « soutenables », c’est en raison de leur très longue relation avec les pins, les matsutake et la résurgence des forêts, qui rend possible leur mode de vie agricole. (…)

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Symbolisme :


Long Litt Woon, auteure de La Femme et les champignons, Une histoire de deuil et de retour à la vie (Édition originale, 2017 ; traduction française Gaïa Éditions, 2018), précise que :


"Ça [voir ci-dessus] a été un coup dur pour les Japonais, qui le ramassent avec des gants en coton pour éviter que la graisse de leurs doigts ne vienne souiller la qualité du champignon. Pour les Japonais, le matsutake est depuis un toujours un cadeau exceptionnel, réservé aux cérémonies très solennelles, et des poèmes sur ses qualités incomparables ont été écrits dès 759 av. J.-C. Au XIe siècle, on interdisait même aux femmes à la cour impériale japonaise, où le pouvoir masculin avait toujours dominé, de prononcer le mot matsutake. C'est aussi le terme argotique pour désigner le pénis, mais en ce qui concerne le champignon, ce n'est pas la taille qui compte, mais sa jeunesse, sa beauté et sa vigueur. Dans le Japon actuel, le marché est pratiquement insatiable. C'est en partie dû à la croyance que ce champignon aurait chez l'homme des effets comparables à ceux du Viagra. Ça a donc été un affront à l'honneur national japonais que leur matsutake adoré se voie affublé d'un nom scientifique aussi malsonnant. Comment leur trésor national pourrait-il être éternellement désigné comme "champignon nauséabond ? Les lobbyistes japonais se sont alors lancés dans une vaste campagne de relations publiques et ont finalement pu faire accepter que le champignon soir appelé Tricholoma matsutake.

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Clotilde Riotor et Cyprien Tasset présentent dans un article intitulé "Fragile comme un matsutake." (publié dans laviedesidees.fr, le 2 février 2018) le livre marquant de l'anthropologue Anna Lowenhaupt Tsing, à savoir Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, (Paris, La Découverte, 2017, 416 p.) :


[...] L’anthropologue a entendu parler pour la première fois des cueilleurs de matsutake en 1993 par un collègue mycologue, alors qu’elle recherchait justement, à l’époque, un exemple de denrée à forte coloration culturelle faisant l’objet d’une marchandisation mondialisée. Et en effet, dans le Japon médiéval, le matsutake était traditionnellement offert par les paysans à leurs seigneurs. Sous l’ère Edo, il est progressivement devenu une marque de raffinement réservé aux élites, ou encore un symbole du passage à l’automne célébré dans les arts et la poésie. Or, loin d’être tombé en désuétude depuis la modernisation de l’ère Meiji, son usage traditionnel s’est perpétué, voire a été réinvesti. Dans un Japon désormais fortement intégré à l’économie mondialisée, le matsutake est offert sous forme de présents, voire de pots-de-vin, permettant de créer ou d’entretenir des liens personnels. Ce produit est envoyé depuis l’étranger, vendu dans des épiceries fines ou servi dans des restaurants hauts de gamme. À partir des années 1970, il s’est raréfié dans les forêts du Japon, d’où une envolée des prix et des importations.

Par ailleurs, ses propriétés biologiques — une prédilection pour les forêts de conifères à sol pauvre, voire dévasté — ouvrent sur un autre thème : celui de la crise écologique. A. Tsing part d’une lecture sombre de cette dernière : si la « fin du monde » évoquée par le titre peut également s’entendre comme ce « bout du monde » où l’ouvrage emmène de fait ses lecteurs (le double sens étant plus perceptible encore dans le titre original, The Mushroom at the End of the World), cet essai se place bien sous un « éclairage apocalyptique » (p. 396), celui des grandes catastrophes qui se profilent dans un monde au climat si perturbé que


[l’] on n’est plus très sûr de savoir si la vie sur Terre restera possible. (p. 21)


Selon l’auteure, prendre la mesure de ce bouleversement nécessite de libérer l’anthropologie de la notion de progrès qui s’y serait tacitement maintenue, quitte à ce que le monde devienne « un endroit terrifiant » (p. 406), où l’on ne sait plus comment « penser la justice » (p. 63). Se défaire des promesses progressistes ne signifie pas, pour Anna Tsing, que les sciences sociales doivent embrasser leur envers, à savoir le récit d’une catastrophe écologique totale. C’est là que les acteurs qui s’affairent autour du champignon prennent toute leur pertinence : ils montrent que, parmi les « ruines », émergent des formes de vie qui, aussi fragiles et imparfaites qu’elles soient, sont des raisons de ne pas désespérer. Le Champignon de la fin du monde cherche moins à démontrer une thèse qu’à indiquer, par les moyens de l’enquête anthropologique, une voie originale entre deux repères : la prise au sérieux de la gravité de l’anthropocène, et le refus d’un catastrophisme total.

[...]

La première partie s’ouvre sur une « ancienne forêt industrielle en ruines » (p. 48) dans l’Oregon. Le matsutake s’y est répandu au XXe siècle à la faveur de l’appauvrissement du sol. Une ruée vers l’« or blanc » (p. 53) a commencé à la fin des années 1980, lorsque les Japonais ont cessé d’importer ce champignon depuis l’Europe, où ses zones de cueillette étaient contaminées par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Depuis lors, ce paysage, pourtant digne d’un « épisode cauchemardesque de science-fiction » (p. 48), voit s’activer chaque année à la recherche du précieux champignon une foule bigarrée de cueilleurs, « anciens combattants blancs handicapés, réfugiés asiatiques, Indiens d’Amérique et Latinos sans papiers » (p. 53). Le soir, de retour au campement, la cueillette du jour est vendue à l’acheteur le plus offrant. Le prix élevé du matsutake permet aux plus assidus d’en tirer un revenu substantiel, qui est parfois même le principal.

La deuxième partie dissipe l’impression que cet objet est anecdotique, en montrant comment ce terrain s’insère dans la reconfiguration de l’économie mondiale en « chaînes d’approvisionnement globales ».

[...]

Le commerce du champignon apparaît dès lors comme la pointe de l’iceberg d’un « capitalisme de captation » dont l’auteure estime qu’il représente une modalité ascendante de l’économie mondiale. L’accumulation par captation est le processus de production de valeur à partir de sites péricapitalistes, dont ceux qui sont fortement dotés en ressources naturelles, pour en tirer du profit. Si A. Tsing nuance ainsi l’idée que la totalité du globe serait soumise au système marchand3 , ses conclusions n’en demeurent pas moins quelque peu pessimistes, puisque les perspectives qu’elle propose ouvrent moins sur un changement radical ou la résistance au capitalisme que sur les modes de vie qui permettent de vivre dans ses marges.

Le reste de l'ouvrage aborde les pratiques liées au matsutake sur les autres terrains : ainsi en Chine, son exploitation contribue à une réorganisation des rôles sociaux sur fond de privatisation d’espaces forestiers. Les histoires de plantes et de paysages qui se déroulent dans ces différentes forêts sont parfois « sans héros humains » (p. 233), comme celle des pins qui ont recolonisé des zones coupées à blanc de la forêt boréale de Laponie finlandaise. Anna Tsing aborde aussi la sociologie des sciences, dans un chapitre sur les différences d’approche scientifique du matsutake entre le Japon — où la recherche prend une tournure plutôt monographique, attentive aux configurations locales et aux savoirs vernaculaires, et les États-Unis — où il est étudié sur le modèle d’une science forestière qui s’est développée pour encadrer l’exploitation industrielle du bois. Elle montre enfin que ce champignon donne lieu à des tentatives visant à faire émerger des « communs latents » (p. 370), comme ces programmes de restauration de zones boisées au Japon, consistant à perturber délibérément les sols, selon l’usage villageois traditionnel. [...]

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