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La Feuille



Étymologie :


  • FEUILLE, subst. fém.

Étymol. et Hist. 1. 1re moitié xiie s. bot. (Psautier Cambridge, 1, 4 ds T.-L.) ; 2. ca 1200 « matière étendue, plate et mince [ici de l'or] » (Escoufle, 8010, ibid.) ; 3. xiiie s. en partic. du papier (Lais et descorts, éd. Jeanroy, Brandin et Aubry, XIX, 14, ibid.) ; 1751 feuilles volantes « petits écrits, brochures » (Voltaire, Lett. Mme Denis ds Littré) ; 1789 feuille « périodique, journal » (Le Moniteur, II, 543) ; péj. 1858 feuille de chou « mauvais journal » (Larchey, Excentr. lang., p. 515) ; 4. 1867 feuilles de chou « oreilles » (Delvau, p. 191). Du b. lat. folia plur. collectif du subst. neutre class. folium « feuille d'arbre, de plante ; de papier ».


Lire également la définition du nom feuille pour amorcer la réflexion symbolique.

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Botanique :

Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque les différents modes de communication chez les animaux et chez les plantes et revient sur le célèbre ouvrage de Goethe sur La Métamorphose des plantes :


Goethe, ayant étudié très attentivement la genèse des formes végétales, arrivait à la conclusion que "dans le végétal tout est feuilles", même si divers organes doivent être considérés comme des feuilles transformées au cours de la croissance et du développement du végétal.

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Croyances populaires :


Selon Jacques Albin Simon Collin de Plancy, auteur d'un Dictionnaire infernal ou recherches et anecdotes sur les démons, les esprits, les fantômes, les spectres, les revenants, les Loups-garoux... en un mot, sur tout ce qui tient aux Apparitions, à la Magie, au Commerce de l'Enfer, aux Divinations, aux Sciences secrètes, aux Superstitions aux Choses mystérieuses et surnaturelles etc., etc., etc. (Mongie, 1818) :


BOTONOMANCIE : - Divination par le moyen des feuilles.

Lorsqu'il avait fait un grand vent pendant la nuit, on allait voir de bon matin la disposition des feuilles tombées, et des charlatans devinaient par-là ce que le peuple voulait savoir. Quand les hommes s'abandonnent à la crédulité superstitieuse, tout leur paraît surnaturel ; et rien ne peut plus arrêter une imagination en délire, qui se noie dans une mer de prodiges.




Symbolisme :


Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision des feuilles mortes :


Hiver - Décembre.

LES FEUILLES MORTES - TRISTESSE ; MÉLANCOLIE.


L'hiver s'avance ; les arbres ont perdu leur verdure après s'être dépouillés de leurs fruits ; le soleil, en se retirant, verse sur les feuillages des couleurs sombres ou mélancoliques ; le peuplier se couvre d'un or pâle et décoloré, tandis que l'acacia reploie ses légères folioles, que les rayons du soleil ne réveilleront plus : cependant le bouleau laisse flotter sa longue chevelure, déjà privée d'ornements, et le sapin, qui doit conserver sa verte pyramide, la balance fièrement dans les airs. On voit le chêne immobile ; il résiste à l'effort du vent, qui ne saurait dépouiller sa tête altière ; mais le roi des forêts cédera au printemps ses feuilles rougies par l'hiver. On dirait tous ces arbres émus de passions différentes ; l'un s'incline profondément, comme s'il voulait rendre hommage à celui que la tempête ne saurait ébranler ; l'autre semble vouloir embrasser le compagnon, l'appui de sa faiblesse, et, tandis qu'ils confondent, qu'ils mêlent leurs rameaux, un troisième s'agite en tous sens, comme s'il était environné d'ennemis : le respect, l'amitié, la haine, la colère, passent tour à tour de l'un à l'autre. Ainsi, battus de tous les vents, et comme agités de toutes les passions, ils font entendre de longs gémissements ; on dirait les murmures confus d'un peuple en alarmes : il n'y a point de voix dominante, ce sont des bruits sourds, profonds, monotones, qui jettent l'âme dans une vague rêverie : souvent on voit tomber sur la terre, déjà privée de sa verdure, des nuages de feuilles mortes ; elles couvrent le sol d'un mobile vêtement. On aime à contempler l'orage qui les chasse, les disperse, les agite, et qui tourmente ces tristes débris d'un printemps qui ne reviendra plus.


Nos prés ont perdu leur fraicheur.

A peine une fleur isolée

Penche- t- elle un front sans couleur

Dans la solitaire vallée ;

Une obscure et triste vapeur

Voile nos rives désolées ;

Et sur les forêts ébranlées

Les vents soufflent avec fureur.

Ah ! dans les forêts sans ombrage,

Le long des coteaux défleuris,

Le soir, au bruit sourd de l'orage,

Marchant sur de tristes débris,

J'irai voir le dernier feuillage

Tomber sur les gazons flétris.

Cédant à la mélancolie,

Là, des amis que j'ai perdus

J'appellerai l'ombre chérie,

Et, les sens doucement émus,

Je laisserai couler ma vie

En occupant ma rêverie

Des jours où je ne serai plus.

Aimé Marlin, Lettres à Sophie, tome 1.

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Dans son Nouveau Langage des fruits et des fleurs (Benardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1872) Mademoiselle Clémentine Vatteau poursuit la tradition du Sélam :


FEUILLES VERTES : Espérance.


FEUILLES MORTES : Mélancolie ; Tristesse.


De la dépouille de nos bois

L'automne avait jonché la terre ;

Le bocage était sans mystère,

Le rossignol était sans voix.


Triste et mourant à son aurore,

Un jeune homme, seul, à pas lents

Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses premiers ans.


Bois que j'aime, adieu ! je succombe ;

Ton deuil m'avertit de mon sort,

Et dans chaque feuille qui tombe,

Je vois un présage de mort.


Fatal oracle d'Epidaure,

Tu m 'as dit : « Les feuilles des bois «

A tes yeux jauniront encore,

« Et c'est pour la dernière fois ! »


Tombe, tombe, feuille éphémère

Et couvre ce triste chemin !

Cache au désespoir de ma mère

La place où je serai demain. MILLEVOYE (La Chute des feuilles.)

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Dans Physionomies végétales, Portraits d'arbres et de fleurs, d'herbes et de mousses (25 octobre 1899 ; Éditions Héros-Limite, 2012) Jacques Lefrêne (pseudonyme d'Elie Reclus) décrit la feuille qui tombe :

La Mort : Par une matinée ensoleillé d'automne, les hêtres étalaient dans l'azur du ciel leurs branches où l'or pâle se mélangeait à l'or éclatant - un manteau de brocart à côté de robes vertes, de robes pourprées.

L'air semblait immobile, on ne sentait pas la moindre brise. Cependant, çà et là, une feuille se détachait, descendait en tournoyant lentement ; des hauteurs de l'espace aérien elle retournait au sol, y allait croupir, y allait pourrir, chercher des métamorphoses et aller vers un nouvel inconnu. Elle en avait assez, gorgée de soleil et de splendeur, elle saisissait le prétexte d'un insensible vent pour aller à l'abîme, rentrer au gouffre noir.

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Vaut-il mieux mourir ou ne pas mourir ? Vaut-il mieux être chêne ou cyprès, if ou hêtre, un arbre à feuille qui tombent ou bien un arbre à feuillage persistant ? Celles-ci sont immobiles, épaisses, piquantes ; celles-là sont fraîches, gracieusement découpées, légères, de couleurs variées, passant de la gamme rouge- brun au vert, puis aux jaunes des splendeurs automnales. Mobiles les unes, immobiles les autres.

[...]

La Mort satisfaite : Quand les feuilles se préparent à mourir, elles se font belles, se parent de couleurs parfois éclatantes, velours bruns, satins rouges ou mordorés, brocarts citron et orangés, nuances de flamme et de feu, même d'aurore. Parfois, et même souvent, la livrée d'automne est plus éclatante que ne fut la livrée de printemps. Son œuvre accomplie, la feuille est satisfaite et peut se rendre bon témoignage. Après avoir été utile, elle a enfin quelque loisir. - Elle se fait belle pour mourir, meurt avec grâce, meurt avec le plus beau des sourires.

 

L'article du Dictionnaire des symboles (1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant est particulièrement court :


La feuille "participe du symbolisme général du règne végétal. En Extrême-Orient, l'un des symboles du bonheur et de la prospérité. Un bouquet ou une liasse de feuilles désignent l’ensemble d'une collectivité, unie dans une même action et une même pensée.

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Selon Michel Aufray, auteur d'un article intitulé « Note sur les messages de végétaux : quelques exemples océaniens », (Journal de la Société des Océanistes [En ligne], pp. 114-115 | Année 2002) :


La réalité langagière d’une culture ne concerne pas seulement la communication linguistique ; elle recouvre aussi les modes de communication non verbaux, ceux-ci pouvant utiliser divers supports : langage du corps, objets, marques, icônes et signes. Leur existence dans les sociétés océaniennes a souvent été signalée mais, généralement, ces systèmes d’information n’ont suscité qu’un simple intérêt documentaire. Ils mériteraient à notre avis d’être inventoriés et étudiés car ils participent aux échanges sociaux au sein d’une communauté.

Les messages de végétaux, en particulier, tiennent un rôle non négligeable. À la différence de la communication verbale, ils permettent de transmettre une information sans limitation de temps et d’espace. [...]


Les messages secrets

Ce procédé est également employé lorsque l’information à véhiculer est à diffusion restreinte ou doit rester secrète, ainsi les messages échangés entre amoureux. Naguère, en Nouvelle-Calédonie, les garçons et les filles qui ne devaient pas se montrer ensemble en public se fixaient des rendez-vous discrets en plaçant sur les chemins des plantes comme signes de reconnaissance. Georges Henri Luquet a décrit cette pratique :


« Les fleurs et les branches sont également employées par les Canaques, d’une façon curieuse pour leurs déclarations d’amour. Le canaque amoureux creuse sur le chemin de sa tribu un trou large et peu profond ; il y dépose des fleurs, des feuilles et continue sa route. Si le soir, il voit dans le village à la main d’une femme des feuilles ou des fleurs semblables à celles qu’il a mises sur le chemin, il sait que cet amour est partagé » (Luquet, 1926 : 4).


À Maré, ces messages s’appellent ae-len, « pâté de chemin » :

« On met sur le bord du chemin des feuilles dont le nom spécifique commence par le même son que le nom propre de sa personne. C’est un signe pour prévenir ceux qui vous suivent de votre passage, pour voir la direction que vous avez suivie... Le jeune homme déposait son ae-len, sur lequel la fille séduite posait à son tour, ses propres feuilles » (Dubois, 1981 : 17).


On peut penser que c’est par souci de préserver une certaine confidentialité que pour les fêtes, à Tanna, au lieu de commander oralement un chant aux compositeurs, on leur présente des paquets ou des paniers de plantes. Après les avoir examinés, ils en dégagent alors un thème d’inspiration (Bonnemaison, 1986 : 476).

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Symbolisme onirique :


La feuille morte :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


"Les feuilles mortes du rêve sont rarement de celles qu'on ramasse à la pelle ! Parce que la feuille morte du rêve n'est pas une feuille tombée. C'est une feuille qui se détache pour accomplir dans le vent un vol de liberté. État transitoire sans doute, éphémère assurément, mais animé d'un puissant souffle de détachement et de devenir. Une analyse exigeante obligerait à reconnaître trois sortes de feuilles mortes imaginaires. La première serait la feuille tombée, brune, recroquevillée, crispant ses nervures séchées comme une main de sorcière. Celle-là aurait des affinités avec l'image de la mère-terrible, qui n'est peut-être jamais totalement absente du symbolisme de la feuille morte. Mais l'observation montre que ce type de feuille n'apparaît qu'exceptionnellement dans le rêve.

La seconde image de feuille morte imaginaire, la plus représentative et la plus fréquente, c'est la feuille qui se détache de l'arbre pour se livrer au gré du vent. Ces feuilles qui se confient ainsi au fil d'un imprévisible devenir expriment ne première disposition à l'abandon des acquis, des repères. Elles sont comme les notes libres et légères d'une symphonie à laquelle elles se donnent tout entières. rompant les attaches avec l'arbre qui les a nourries, elles entrent dans une harmonie nouvelle sous la poussée du vent de l'esprit.

Ce n'est certes pas un hasard si ce type de feuilles-là se trouve souvent dans la première séance d'une cure. Celle-ci est bien le lieu d'une attitude nouvelle du patient qui a pris la décision de se livrer au jeu de l'imaginaire. Deux corrélations viennent confirmer ce constat : l'ours et le lapin, l'un et l'autre symbole de début de cycle de transformation, sont étroitement associés à la feuille morte. Le troisième type de feuilles mortes est bien entendu celui qui concerne la couche des feuilles tombées, déjà à demi pourrissantes, proches de l'humus et qui disent le renouvellement éternel des forces de la vie. La couche de feuilles est alors la décomposition nécessaire de ce qui fut et la nourriture de ce qui sera.

Le premier rêve de Cédric donnera le ton. Cette séquence contient les tout premiers mots de sa cure : "Je suis dans la montagne enneigée... la montagne est tout autour de moi, toute blanche... il fait beau... je marche dans la neige. Je vois une aile volante, plus loin, préparée pour que je puisse m'envoler avec... je m'attache dessus et je m'envole.. il fait très froid... il y a du vent, du soleil... je continue mon vol... je descends vers la plaine, très rapidement, comme ne feuille morte... j'approche... ce n'est plus l'hiver, mais l'automne... il fait moins froid... y a plein de feuilles mortes par terre... je ne sais pas où je vais..."

Lorsque le rêveur se fait lui-même feuille morte pour vivre le détachement de la montagne enneigée, symbole de l'immuable, du figé, pour connaître le vol plané, appuyé sur les vents, comment ne pas applaudir à cette première victoire de la dynamique de l'imaginaire ?... Ce n'est pas un événement modeste, c'est déjà le triomphe de la flexibilité sur le figé... Ces images de deltaplane permettant de quitter la montagne sont l'une des expressions courantes de l'entrée dans le processus de transformation.

"Les souvenirs et les regrets aussi..." Il est vrai que toute feuille morte garde une coloration nostalgique. Comment en serait-il autrement, puisqu'elle exprime un instant très particulier du psychisme qui se libère tout juste des états antérieurs jusqu'alors tant protégés et qui n'entre pas sans appréhension dans l'espérance ? "Je ne sais pas où je vais...", dit Cédric. Ses mots disent à la fois la crainte et la confiance que lui inspire la dynamique évolutive.

La feuille morte arrachée par le vent, totalement livrée à la bourrasque, a le destin de la note de musique qui prend valeur comme élément de la symphonie, qui naît, existe t meurt pour composer cette harmonie et... qui trahit celle-ci dès l'instant où elle se prolonge au-delà du vol éphémère prévu pour elle. Rien de saurait mieux exprimer la nocivité d'un réflexe qui porte à vivre dans la mémoire au lieu d'aller vers la réalisation du devenir. Peu de symboles illustrent de manière aussi subtile et aussi totale la force qui échoit à celui qui a compris qu'être c'est devenir, qui admet que la permanence n'est qu'une illustration transitoire qui nourrit l'évolution, qu'l ne peut y avoir de liberté que celle qui s'abandonne au souffle de l'esprit.

La feuille morte du rêve vit une adhésion sans réserve au destin cataclysmique. Elle est le cri d'ne psychologie figée qui n'accepte plus la fallacieuse protection des murs de sa prison, qui rompt ses entraves, prête à mourir à ce qu'elle a voulu trop longtemps rester. La feuille morte, fiancée du vent violent, dit la lassitude d'un psychisme qui s'est épuisé dans un effort permanent de sublimation et qui ressent le besoin de revenir à la terre, au charnel, au corps.

Le symbole, pour cette raison, accompagne aussi beaucoup de rêves de séismes, de bouleversements telluriques ou de dislocation corporelle, qui sont toujours des agents actifs de la régénération psychologique.La feuille morte dit le besoin ressenti par la patient de perdre la tête pour s'arracher enfin aux encombrants repères qui l'ont alourdi.

Armelle, au cours d'un très long rêve dont nous ne rapportons ici que la première séquence, multiplie les images qui, toutes, donnent d'impressionnantes confirmations de ce qui précède. "Je vois un ciel qui s'obscurcit... et du vent et une table avec des objets dessus... et le vent envoie balader une boîte de conserve qui fait du bruit en tombant. C'est l'automne. Il y a des feuilles qui tombent en tournant. Image dune femme aussi, poussée par le vent, dont les cheveux sont entraînés par le vent... la jupe aussi... elle est poussée par le vent... elle avance... elle avance un peu malgré elle... c'est le vent qui la pousse... elle aurait tendance à résister un peu... et elle est poussée... après la tempête, c'est le calme. J'ai l'image du vent qui souffle, figure joufflue qui souffle avec sa bouche... ça amène le mot boucher... je vois un boucher qui coupe une tête... guillotinée !.. Et je vois ces gens dont le corps est enterré, debout... seule la tête dépasse..."

Le vent d'Armelle qui balaie la table des valeurs établies, qui emporte les feuilles et qui pousse la femme qui aurait "un peu tendance à résister" illustre parfaitement le jeu de la dynamique en œuvre dans le rêve éveillé et qui exprime toujours la confrontation des forces évolutives et des résistances.

"Il n'est de bon vent, répète-t-on depuis Sénèque, pour celui qui ne sait où il va !" cette très judicieuse maxime n'a de sens que dans le champ de la pensée rationnelle dominée par la volonté de maîtrise du destin. Elle perd toute valeur pour le sage qui sait combien il est vain de s'opposer au vent de l'esprit et qui reconnaît, avec les rédacteurs de la Bible, que celui-ci souffle où il veut.

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Devant la feuille morte, le traducteur du rêve se souviendra que le symbole peut intervenir dans trois situations. celle, assez rare, où la feuille sèche, recroquevillée, s'apparente à la main de la vieille femme, de la sorcière. Celle où l'épaisse couche des feuilles pourrissantes exprime la nécessaire décomposition de ce qui fut pour assurer les phases de la renaissance de l'être. celle enfin, beaucoup plus fréquente, dans laquelle la feuille se détache de l'arbre pour accomplir son vol, livrée aux caprices du vent et qui expose la conviction qu'il n'y a d'autonomie qu'en raison de la rupture des attaches et de confiance dans 'imprévisible avenir."

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Contes et légendes :


Christian Abry rapporte "La légende des feuilles changées en or à Sixt (Haute-Savoie) : son écriture par un autochtone."

La légende des feuilles changées en or
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(In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, n°2-4/1974. pp. 73-85) :



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Littérature :


Jules Renard dans son roman autobiographique bien connu, Poil de carotte (19 raconte une mémorable tempête de feuilles :


La tempête de feuilles

Il y a longtemps que Poil de Carotte, rêveur, observe la plus haute feuille du grand peuplier.

Il songe creux et attend qu'elle remue. Elle semble détachée de l'arbre, vivre à part, seule, sans queue, libre.

Chaque jour, elle se dore au premier et au dernier rayon du soleil.

Depuis midi, elle garde une immobilité de morte, plutôt tache que feuille, et Poil de Carotte perd patience, mal à son aise, lorsque enfin, elle fait un signe.

Au-dessous d'elle, une feuille proche fait le même signe. D'autres feuilles le répètent, le communiquent aux feuilles voisines qui le passent rapidement.

Et c'est un signe d'alarme, car, à l'horizon, paraît l'ourlet d'une calotte brune. Le peuplier déjà frissonne! Il tente de se mouvoir, de déplacer les pesantes couches d'air qui le gênent.

Son inquiétude gagne le hêtre, un chêne, des marronniers, et tous les arbres du jardin s'avertissent, par gestes, qu'au ciel la calotte s'élargit, pousse en avant sa bordure nette et sombre.

D'abord, ils excitent leurs branches minces et font faire les oiseaux, le merle qui lançait une note au hasard, comme un pois cru, la tourterelle que Poil de Carotte voyait tout à l'heure verser, par saccades, les roucoulements de sa gorge peinte, et la pie insupportable avec sa queue de pie.

Puis ils mettent leurs grosses tentacules en branle pour effrayer l'ennemi.

La calotte livide continue son invasion lente. Elle voûte peu à peu le ciel. Elle refoule l'azur, bouche les trous qui laisseraient pénétrer l'air, prépare l'étouffement de Poil de Carotte. Parfois, on dirait qu'elle faiblit sous son propre poids et va tomber sur le village ; mais elle s'arrête à la pointe du clocher, dans la crainte de s'y déchirer.

La voilà si près que, sans autre provocation, la panique commence, les clameurs s'élèvent.

Les arbres mêlent leurs masses confuses et courroucées au fond desquelles Poil de Carotte imagine des nids pleins d'yeux ronds et de becs blancs. Les cimes plongent et se redressent comme des têtes brusquement réveillées. Les feuilles s'envolent par bandes, reviennent aussitôt, peureuses, apprivoisées, et tâchent de se raccrocher. Celles de l'acacia, fines, soupirent; celles du bouleau écorché des plaignent ; celles du marronnier sifflent, et les aristoloches grimpantes clapotent en se poursuivant sur le mur.

Plus bas, les pommiers trapus secouent leurs pommes, frappant le sol de coups sourds.

Plus bas, les groseilliers saignent des gouttes rouges, et les cassis des gouttes d'encre.

Et plus bas, les choux ivres agitent leurs oreilles d'âne et les oignons montés se cognent entre eux, cassent leurs boules gonflées de graines.

Pourquoi ? Qu'ont-ils donc ? Et qu'est-ce que cela veut dire? Il ne tonne pas. Il ne grêle pas. Ni un éclair, ni une goutte de pluie. Mais c'est le noir orageux d'en haut, cette nuit silencieuse au milieu du jour qui les affole, qui épouvante Poil de Carotte.

Maintenant, la calotte s'est toute déployée sous le soleil masqué.

Elle bouge, Poil de Carotte le sait ; elle glisse et, faite de nuages mobiles, elle fuira ; il reverra le soleil. Pourtant, bien qu'elle plafonne le ciel entier, elle lui serre la tête, au front. Il ferme les yeux et elle lui bande douloureusement les paupières.

Il fourre aussi ses doigts dans ses oreilles. Mais la tempête entre chez lui, du dehors, avec ses cris, son tourbillon. Elle ramasse son cœur comme un papier de rue.

Elle le froisse, le chiffonne, le roule, le réduit.

Et Poil de Carotte n'a bientôt plus qu'une boulette de cœur.

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Jean Giono, dans Les Grands Chemins (Éditions Gallimard, 1951, collection folio n°311) est très attentif à toute la vie qui sourd, bruisse et luit dans la nature :


J'arrive dans une petite clairière et je m'assois. Il y a quelques hêtres dont pendant longtemps je regarde les feuilles tomber une à une, sans vent. Elles sont rouges et volent très lentement. D'autres, qui sont tombées de ces jours-ci et dont l'herbe est couverte, se sont gorgées d'humidité et répandent une odeur qui me fait penser à des tas de choses apaisantes. Je resterais là tout le jour.

Peu à peu le soleil illumine tout cet endroit où je me tiens. Dans chaque arbre qu'il touche il précipite une chute de feuilles si épaisse qu'elle fait un bruit de pluie. Les oiseaux arrivent. Il y a ce fameux bleu à gros bec qui cherche les faînes ; il voltige si vite à travers les feuillages dorés qu'on le voit passer comme un fil. Un rouge-gorge, qui a déjà sa tenue d'hiver et qui ressemble à un petit morceau de brique, saute dans l'herbe. Je m'amuse. Je ne me lasse surtout pas de cette odeur de feuille morte te de champignon presque plus agréable que le parfum du tabac.

Puis, je m'en vais, et en partant je fume.

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Dans L'Armée furieuse (Éditions Viviane Hamy, 2011) de Fred Vargas, le commissaire Adamsberg entraîne à sa suite en Normandie son fils Zerk, récemment découvert :


"- [...] Zerk, tu arriveras avec l'autre voiture et le reste des bagages. Là-bas, puisque tu sais te servir d'un appareil, nous dirons que tu fais un stage informel en photographie, en même temps que tu travailles pour une commande en free-lance qui t'oblige à sillonner les environs. Pour une revue, disons, suédoise. Il faut trouver une explication à tes absences. A moins que tu ne penses à mieux ?

- Non, dit simplement Zerk.

- Qu'est-ce que tu pourrais bien photographier ?

- Des paysages ? Des églises ?

- Trop fait. Trouve autre chose. un sujet qui explique ta présence dans les champs ou dans les bois, si on t'y trouve. Tu passeras par là pour rejoindre Mo.

- Des fleurs ? dit Mo.

- Des feuilles pourries ? proposa Zerk.

Adamsberg posa les sacs de voyage près de la porte.

- Pourquoi veux-tu photographier des feuilles pourries ?

- C'est toi qui me demandes de photographier quelque chose.

- Mais pourquoi dis-tu "des feuilles pourries" ?

- Parce que c'est bien. tu sais tout ce qui se trame dans les feuilles pourries ? Dans seulement dix centimètres carrés de feuilles pourries ? Les insectes, les vers, les larves, les gaz, les spores de champignons, les crottes d'oiseau, les racines, les micro-organismes, les graines ? Je fais un reportage sur la vie dans les feuilles pourries, pour le Svenska Dagbladet.

[...]

- Ton gosse travaille avec toi ? demanda-t-il en se dirigeant vers le petit salon. Il veut faire flic ou quoi ?

- Non, il doit faire un reportage sur les feuilles pourries, c'était l'occasion. Pour un journal suédois;

- Les feuilles pourries ? La presse, tu veux dire ? Les journaux ?

- Non, les autres, celles de la forêt.

- Il s'agit du micro-environnement de la décomposition des végétaux, intervint Danglard pour venir en aide au commissaire.

- Ah bien, dit Émeri, choisissant une chaise très droite pour s'asseoir tandis que les quatre autres hommes s'installaient dans les canapés.

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Dans son recueil poétique Notes du ravin (Éditions Fata Morgana, 2016) Philippe Jaccottet évoque la magie des feuilles :


J’assiste avec une sorte de bonheur à l'envol rapide des feuilles détachées des branches par un vent du nord très violent qui fait scintiller celles qui restent encore aux arbres. Cela me rappelle quelque chose à propos des oracles de la Sibylle.

Au chant VI de l'Énéide, en effet, Virgile fait dire à Énée, venu consulter la Sibylle de Cumes : « Seulement, ne confie pas tes vers prophétiques à des feuilles qui peuvent s'envoler en désordre, jouets des vents rapides ».

Ainsi s'enrichit notre vision des choses de ce monde. Ces feuilles éparpillées, « jouets des vents rapides », n'avaient plus été rien que des feuilles ; elles portaient en elles, pour mon regard du moins, l'élan des essors d'oiseaux, leur apparence d'ébriété joyeuse, dans un mouvement d'aventure et de conquête bien plus que de fuite et, surtout, de chute. Ce rapprochement suffisait à expliquer cette « sorte de bonheur » que javais éprouvé, instinctivement, sans chercher plus loin.

Plus tard seulement, le vague souvenir des vers de Virgile viendrait charger ce bref instant d'automne d'un sens plus lourd ; au-delà du monde visible dont font partie les feuilles et les oiseaux, le regard découvrirait en quoi les paroles peuvent leur ressembler, celles de la poésie et celles qu'un dieu arrachait aux lèvres d'une femme élue par lui pour éclairer les consultations sur l'avenir ; paroles comme les feuilles nourries par une sève montant de l'obscur puis livrées au vent, paroles comme les oiseaux lancées en avant d'elles-mêmes, vers l'inconnu qu'elles prétendaient mesurer.

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